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L'Espagne doit mieux appréhender le Maroc moderne de Mohammed VI

Interview : Ben Ali Mansouri, Président de l'Association socio-culturelle du bassin méditerranéen

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Le Roi d'Espagne, dans cette affaire malheureuse, paraît s'être prêté à une opération de politique intérieure

LE MATIN : Comment analysez-vous la visite du monarque espagnol à Sebta et Mellilia ?

Mansouri Ben Ali :
La condamnation d'un tel acte doit être la plus ferme qui soit. Le peuple marocain dans son ensemble, dans un grand élan d'unité et de mobilisation a tenu à cette occasion à prendre position pour exprimer avec force et détermination qu'il n'acceptait pas cette visite. Mardi dernier, présidant un Conseil de ministres à Casablanca, S.M. le Roi a rendu publique sa position qui a été à la hauteur des sentiments les plus profonds de la communauté nationale. Elle considère que la visite du Roi d'Espagne porte atteinte précisément aux sentiments patriotiques de tous les Marocains et qu'elle ne fait que traduire les séquelles et l'état d'esprit d'une culture coloniale, voire même colonialiste que l'on croyait pourtant révolue depuis longtemps.

La marocanité de Sebta et Mellilia est établie depuis des siècles. Comment expliquez-vous la rigidité anachronique et illégitime de l'Espagne sur ce dossier ?

La marocanité de ces deux villes n'est pas une pétition de principe : bien au contraire, elle est établie par des titres historiques et juridiques. Bien avant l'arrivée de l'Islam au Maroc, Sebta et Tanger relevaient à la fin du VIème siècle d'un gouverneur amazigh Yulyan. C'est lui qui facilita en 711 l'entrée en Andalousie de troupes arabo-amazighes dirigées par Tariq Ibn Zyad. Sous le règne des Idrissides qui ont formé en 788 le premier royaume du Maroc musulman. Et jusqu'au début du XIVème siècle Sebta – malgré les avatars de l'histoire – sera toujours partie intégrante du Maroc. Elle sera occupée par le Portugal, en 1415, marquant ainsi le début de l'expansion coloniale de ce pays en Afrique.

C'est au cours de cette phase, étalée sur tout le XVème siècle, que les Portugais occupent d'ailleurs Ksar Séghir en 1458, puis Anfa en 1468, Asilah et Tanger en 1471, Agadir en 1505, Mazagan ( El Jadida) en 1506, Safi en 1507, Agadir en 1508. Quant aux Espagnols, ils prennent Mellilia en 1497 et l'île avoisinante en 1508. Il faut ajouter une autre séquence décisive : celle de la Bataille des Trois Rois, à Oued El Makhazine, qui a été marquée en 1578 par la mort du Roi portugais Don Sébastien à Ksar El Kébir.

Au Portugal, c'est une crise dynastique qui est ouverte. Philippe II, roi d'Espagne, occupe le Portugal et se fait alors introniser roi d'Espagne et du Portugal en annexant toutes les possessions portugaises en Afrique – dont Sebta… Voilà les faits qui attestent, si besoin était, de la marocanité des deux villes. Il faut mentionner encore le statut colonial qui marque les îles occupées relevant des eaux territoriales marocaines : l'île de Nekkour occupée en 1673 et baptisée Penon d'Alhucemas, la presqu'île de Badis ( Velez de la Gomera), les îles Jâafarines depuis 1848, l'îlot Laïla.

La réaction marocaine a été d'autant plus empreinte de colère et d'indignation que c'est le Roi Juan Carlos lui-même qui a effectué cette visite…

De façon générale, le peuple marocain n'accepte pas qu'un officiel de premier plan vienne sur des terres qui lui appartiennent. Nous n'avons pas admis ainsi la visite du président du gouvernement espagnol actuel, José Luiz Zapatero, dirigeant du Parti socialiste qui s'est rendu à Sebta en février 2006 et, vous le savez, cet acte inamical a été condamné. Notre légitime indignation est d'autant plus forte qu'il s'agissait de Sa Majesté le Roi Juan Carlos II de Bourbon, un Souverain lié à l'auguste Famille royale marocaine, aussi bien au temps de feu S.M. Hassan II pendant des décennies qu'aujourd'hui avec S.M. Mohammed VI.

Des liens personnels qui ont été et demeurent un capital précieux pour consolider les rapports étroits entre les deux peuples et les deux pays. J'ajoute que le Roi d'Espagne, dans cette affaire malheureuse, paraît s'être prêté à une opération de politique intérieure du gouvernement socialiste alors que sa légitimité n'est pas liée à la comptabilité électorale. Voilà pourquoi on ne comprend pas cette instrumentalisation politicienne et électoraliste à cinq mois des prochaines élections législatives espagnoles de mars 2008 alors que les sondages sont défavorables au gouvernement socialiste actuel de Zapatero. Le Roi Juan Carlos s'est distingué depuis son accession au trône en 1975 par le fait d'avoir rétabli et conforté la démocratie en Espagne, par sa magistrature morale et son courage. Ce sont ces traits de sa personnalité que l'on ne trouve pas dans sa visite à Sebta et Mellilia.

Comment s'est articulée la question de la décolonisation de ces deux villes occupées dans la mobilisation du Maroc pour le recouvrement de son intégrité territoriale et de son unité nationale ?

La revendication de la marocanité de Sebta et Mellilia n'a jamais cessé : c'est l'expression d'un droit inaliénable, légitime et indiscutable. Je rappelle à cet égard, par exemple, que le 13 décembre 1960, devant la session de l'Assemblée générale des Nations unies qui devait adopter la résolution 1514 sur l'autodétermination des peuples, le Maroc avait appelé à la fin de la présence coloniale de l'Espagne dans ces deux villes.

Cette revendication n'a jamais varié d'un pouce devant les instances internationales compétentes. En 1986, au moment de l'adhésion de l'Espagne à la Communauté européenne, le Royaume a tenu à formuler ses réserves sur tous les traités et conventions conclus par Madrid avec l'Union européenne dans la mesure où les deux villes de Sebta et Mellilia ne pouvaient être intégrées dans l'espace européen du fait du contentieux avec Rabat. En 1987, feu S.M. Hassan II avait proposé la mise sur pied d'une Cellule de réflexion sur le statut de ces enclaves, une initiative qui a été réaffirmée par S.M. le Roi Mohammed VI. J'ajoute encore que le Traité d'amitié, de coopération et de bon voisinage signé avec l'Espagne le 11 juillet 1991 prévoit instamment la mise en place de procédures et d'instruments de dialogue et de coopération de nature à réguler les différends. C'est là un processus par étapes qui a fini par porter ses fruits parce que le Royaume a été occupé par deux puissances européennes, chacune avec son protectorat. Il ne reste aujourd'hui que Sebta, Mellilia et les îles avoisinantes. C'est le dernier vestige d'une occupation coloniale.

Précisément, suivant quelles modalités devrait se faire cette récupération ?

Sur la base de ce principe à faire admettre, celui de la marocanité des deux villes occupées. En prenant en compte cette légitime revendication du Maroc, c'est évidemment le dialogue conséquent qui doit primer. La diplomatie a des ressources pour mettre en place les voies et les moyens d'une finalisation définitive de ce dossier. Il n'est pas question, bien entendu, de ne pas considérer ce contentieux comme un tout englobant le statut de Sebta, Mellilia et des îles. Et la manœuvre qui voudrait distinguer Sebta, Mellilia et les îles suivant un calendrier dilatoire n'est ni recevable ni acceptable.

Quelle est la vision royale dans ce domaine ?

Cette vision s'articule autour de plusieurs axes stratégiques. Le premier d'entre eux est la marocanité des deux villes. C'est un droit sacré, inaliénable et imprescriptible. Le deuxième est la nécessité incontournable d'un dialogue fécond, constructif, sérieux et responsable pour clore définitivement ce dossier qui empoisonne les relations bilatérales. Comme l'a souligné S.M. le Roi Mohammed VI, lors du Conseil des ministres du 6 novembre dernier, ce « dialogue responsable doit garantir nos droits de souveraineté et prendre en compte les intérêts de l'Espagne ».

Il s'agit également « d'assurer une exploitation optimale de toutes les potentialités prometteuses et de toutes les opportunités de coopération efficiente qui s'offrent » pour reprendre encore les propres termes du communiqué officiel rendu public par Sa Majesté le Roi. Enfin, je voudrais ajouter et mettre en exergue ce troisième axe de la stratégie de S.M. le Roi : la promotion socio-économique des provinces du Nord et du Rif. Dès les premiers mois de son intronisation, S.M. Mohammed VI a défini et mis en œuvre cette priorité. C'est un immense chantier que l'on trouve dans cette région. Cette démarche volontariste et prospective va opérer la mise à niveau des provinces concernées et tarir les pôles commerciaux que constituent Sebta et Mellilia.

Quelle est la politique des autorités espagnoles envers les Marocains de ces deux villes ?

La tâche inscrite à l'ordre du jour depuis des années reste le statut des dizaines de milliers de Marocains qui se trouvent dans ces deux villes occupées. Les pouvoirs publics devraient arrêter un programme spécifique en leur faveur, une sorte d'INDH adaptée à leur situation particulière. Pourquoi ne pas construire un lycée avec internat à proximité de Sebta et Mellilia pour y accueillir, en terre marocaine, les centaines de jeunes qui ne trouvent pas dans les villes occupées des structures d'enseignement d'accueil ? Pourquoi ne pas prévoir une structure regroupant des services administratifs ouverts les samedis et dimanches pour faciliter l'obtention de toutes sortes de papiers nécessaires : actes de naissance, attestations, mariages, cartes d'identité, etc.

C'est vous dire qu'il faut davantage se préoccuper des conditions de travail, de séjour et de la vie de cette communauté. Les autorités espagnoles veillent de manière particulière à « gommer » tout ce qui peut être une trace de marocanité en leur accordant la nationalité et en les considérant seulement comme des « musulmans de Sebta et de Mellilia ». C'est précisément ce lien religieux qui doit être redéployé pour que nos ressortissants se réinsèrent plus activement dans la citoyenneté marocaine. Le rôle des pouvoirs publics doit être relayé su le terrain par le tissu associatif. La promotion de la langue arabe, à côté de l'amazigh, est un vecteur essentiel de cette politique. Du fait de la politique d'exclusion et de brimades des autorités locales espagnoles, le risque est grand de voir une partie de notre communauté être instrumentalisée par les mouvances de fanatisme et de l'extrémisme. Tel est aussi l'enjeu aujourd'hui.


La crise actuelle ne va-t-elle pas peser sur les relations économiques entre les deux pays ?

L'Espagne est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger au Maroc avec près de 8 milliards de dirhams en 2006. Des centaines d'entreprises espagnoles sont installées dans le Royaume et leur nombre croît d'année en année. Au plan touristique, enfin, l'attractivité du Maroc est forte en Espagne. Cette crise va être surmontée et nous faisons confiance à l'Espagne pour la transcender et pour s'engager de plain-pied dans une grande démarche tournée vers l'avenir. L'Espagne doit mieux appréhender le Maroc de Mohammed VI qui est un pays fortement engagé dans un processus de développement et de modernité. C'est une nouvelle grille de lecture qui doit être faite de notre pays.
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