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Arganeraies, démographie, émigration et mutations

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L'importance numérique de la population et sa répartition dans l'espace présentent un grand intérêt géographique dans la mesure où la pression démographique figure parmi les facteurs ayant occasionné un déséquilibre socio-économique des arganeraies.


La croissance démographique galopante entraîne une multiplication des usagers de la forêt, ce qui engendre une intensification de la pression sur le milieu provoquant sa dégradation.

Déjà, en 1977, E. P. Eckholm constatait que « l'accroissement rapide de la population dans les cinquante dernières années a multiplié les besoins en bois de chauffage, en pâturage et en terres défrichées. Les forêts qui couvraient auparavant un tiers du territoire du Maroc [...] n'occupent plus à présent que 11 % de ce territoire ».
La croissance démographique se traduit donc par l'accroissement des besoins de la population en terrains de culture et d'habitat prélevés du domaine forestier. La raréfaction de plus en plus des terres cultivables, conjuguée aux besoins croissants d'une population galopante, a abouti à des pressions insupportables sur les forêts d'arganier.

Si un certain équilibre a été maintenu pendant longtemps entre le niveau de population et le niveau des ressources, il a été fortement perturbé par une croissance démographique élevée et une stagnation de la production agricole. Cet espace ne pouvant plus nourrir sa population, une des solutions a été l'exode.

Lorsque la population s'accroît au-delà des ressources disponibles, elle est condamnée à émigrer ou à mourir sur place. Malthus (1798) a rendu cette évidence célèbre. D. Noin (1970) va d'ailleurs dans ce sens qui explique que quand la pression démographique se fait sentir, et que les potentialités agricoles se trouvent limitées, la conquête de nouveaux espaces ou l'émigration deviennent une nécessité. Cette alternative est à notre sens justifiée au niveau des arganeraies marocaines.

Dans ces dernières régions à structure économique traditionnelle, le phénomène a pris des dimensions considérables. La part réduite des terres agricoles par habitant, l'insuffisance des ressources en eau, le morcellement de la propriété, etc., ne permettent pas le maintien sur place d'une population nombreuse. Un certain mode de valorisation de l'élément humain se met donc en place. Les adultes, surtout les hommes, partent ailleurs à la quête de nouvelles ressources.

Avec ces départs massifs, ces régions ont connu un certain vieillissement de la population, et un nombre excessif de femmes. Cela représente un grand problème aussi bien au niveau des zones de refoulement (manque de main-d'œuvre) qu'au niveau des zones de réception : éclatement de la famille, problèmes moraux, etc.

Sur le plan social, l'injection massive des revenus a entraîné la monétarisation des rapports sociaux et fait disparaître les anciennes formes de solidarité. Il s'ensuit la disparition progressive des valeurs traditionnelles qui faisaient la cohésion du groupe. Avec l'émigration, les gens se libèrent des traditions et leur mentalité change, l'émigré acceptant facilement que ses filles aillent à l'école.

De son côté, la femme travaille rarement la terre et s'occupe essentiellement de la maison. Devant la désaffection des jeunes pour le travail agricole, la dévalorisation de certains métiers et la scolarisation des enfants, les exploitations connaissent une baisse importante de leur productivité. Par l'intermédiaire des émigrés, la campagne s'aligne sur la ville qui devient une nécessité.

L'émigration est aussi, à la fois un facteur de restructuration, beaucoup d'émigrés, pauvres au départ, ont réintégré leurs douars après avoir fait fortune à l'extérieur, et un des moyens de rétablissement de l'équilibre population/ressources, en raison des importants revenus qu'elle draine. Les revenus migratoires ont joué un rôle décisif dans l'ascension sociale des familles. A l'ancienne stratification à deux niveaux, « grand » et « petit », se substitue celle à plusieurs degrés : grands agriculteurs ou éleveurs, commerçants, travailleurs émigrés et les autres.

Sur le plan des paysages, la conséquence la plus visible est la modernisation de l'habitat, qui se présente soit sous forme dispersée, reflétant la fragilité des relations avec le douar et exprimant l'esprit d'individualisme, soit sous forme groupée, en donnant naissance à de véritables quartiers modernes.

Jadis, les arganeraies constituaient parfois l'unique recours pour la survie des populations. A l'heure actuelle, la pression démographique, le développement d'une agriculture capitaliste et la constitution de grands troupeaux grâce aux capitaux rapatriés ont tendance à détruire ce patrimoine.

A partir des années 1970, l'irrigation moderne a commencé à prendre place dans ces régions. Les apports financiers de l'émigration ont permis aux familles d'investir dans l'installation de motopompes. L'expansion de ces pratiques associée aux sécheresses a eu pour conséquences un rabattement très spectaculaire du niveau de la nappe phréatique et la salinité des sols. De nombreux puits traditionnels ont tari et des superficies arboricoles ont été abandonnées. Chaque année, de nouvelles parcelles meurent, favorisant ainsi la progression de l'ensablement.

A ces pratiques agricoles et pastorales s'ajoutent les prélèvements de bois. D'une certaine façon, la monétarisation de l'économie villageoise oblige les plus pauvres à disposer à leur tour de revenus qu'ils se procurent par le commerce du bois qui s'opère parfois par camions entiers.

L'arganier constitue le dernier rempart contre la désertification. Si l'indice démographique continue à grimper, l'avenir que se réservent les arganeraies sera sombre. Il faut identifier les causes de la dégradation et mettre l'accent sur les réformes sociales et économiques. Indira Gandhi disait : « La pauvreté est la pire des pollutions ». L'équilibre naturel ne sera pas préservé si les racines de la pauvreté ne sont pas extirpées.

Hassan Faouzi
Docteur en géophysique et aménagement de l'espace Laboratoire CERPA, Université Nancy 2
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