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Gérer le dossier des diplômés chômeurs

Le diplôme se trouve dévalorisé sur le marché, voire suscite défiance chez ceux qui y voient un passeport pour une position sociale.

Gérer le dossier des diplômés chômeurs
La valeur des diplômes subit une sérieuse décote puisqu'ils ne sont plus un passeport garanti vers un statut. Pour les jeunes qui ont eu accès facilement aux études supérieures contrairement à leurs aînés, leur investissement scolaire ne pèse pas lourd sur leur réussite sociale. La réponse de l'éditorialiste, pour le moins pessimiste nous interpelle tous : l'école, l'université et les entreprises sont au cœur du débat, mais ni le modèle libéral, ni l'état providence n'ont su pallier ce phénomène ».
Concernant la gestion du dossier de nos diplômés chômeurs au Maroc et après lecture de l'entretien que nous donne Sadik Youssef sociologue et enseignant chercheur à l'université ibn Zhor à Agadir, et membre du groupe de recherche internationale sur le travail dans le monde au CNRS à Paris, nous pourrions aboutir à la même conclusion, celle de l'incapacité de l'Etat et du marché à pallier le phénomène des diplômés chômeurs.

Celui-ci dure depuis plus de 15 ans et après moult colloques, concertations, initiatives, propositions des derniers gouvernements en terme de requalification et amélioration de l'employabilité des diplômés chômeurs, de mise en place de dispositifs de création d'entreprises, de mesures d'insertion. C'est de nouveau le retour à la case départ, sous un slogan décalé par rapport au réel « la fonction publique ou la mort ». Derrière ce slogan se dessine en fait l'échec du politique qui n'a su ni convaincre ni prendre les bonnes décisions, échec de l'enseignement qui a éludé tout esprit d'entreprenariat ou de flexibilité ,qui a désespéré des milliers de familles angoissées par un psychodrame national qui accentue non seulement la fracture sociale mais aussi la fracture intergénérationnelle.
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«Quelle gestion du dossier des chômeurs diplômés ?»

Interview: Youssef SADIK, sociologue

Les diplômés chômeurs, on en voit, on en parle, mais on semble ignorer qui ils sont au juste. Un chercheur perce le mystère. Entretien.

Le Matin : Il y a quelques mois, vous aviez présenté un rapport sur les diplômés chômeurs. Quel en était l'objectif ?

Sadik Youssef :
Le principal objectif était la compréhension et l'interpellation des approches, outils et mécanismes qui ont été mobilisés dans lagestion du problème du chômage des diplômés; ce diagnostic me permettait également d'esquisser quelques pistes de solutions à ce problème.

Mais avant, il serait intéressant de diagnostiquer. Qui sont ces chômeurs diplômés ?

Une première analyse de la base de données relative aux diplômés chômeurs inscrits sur les listes présentées au Premier ministre permet de mentionner quelques caractéristiques saillantes de ce corps social qui rassemble entre 4 à 5000 personnes. Selon l'âge, 68% des inscrits sur les listes sont nés entre 1974 et 1980.
Les jeunes dont la moyenne d'âge se situe entre 28 et 31 ans constituent plus du tiers (35.2%). Selon les disciplines, l'on constate que cinq disciplines seulement accaparent 64% des demandes. Parmi les 25 disciplines recensées, la chimie se place en tête avec 514 (14.9%), les études islamiques au deuxième rang avec 509 demandes (14.7%). 408 des demandes sont déposées par les diplômés en littérature arabe (11.8%), 397 sont diplômés en physique (11.5%) et 381 en biologie (11%). 77.63% des demandes sont formulées par des jeunes ayant obtenu un D.E.S.A. les docteurs se placent au deuxième rang avec 12.34% seulement. Les DESS représentent 6.66% alors que les ingénieurs agronomes représentent 2.52%.
Selon l'année d'obtention du diplôme, 90.7% des demandes appartiennent aux jeunes ayant obtenu leurs diplômes entre 2002 et 2007. Les diplômés entre 2004 et 2006 semblent constituer la majorité des demandes déposées. Ils représentent 63.7% de l'ensemble des demandes.

La gestion publique du dossier est très décriée par les diplômés chômeurs. Quel est leur cahier de doléances ? Et dans un premier temps, que rejettent-ils ?

Au fil du temps, les tensions sont montés d'un cran comme en témoignent les différentes manifestations notamment en face du parlement.
Les diplômés chômeurs considèrent que les solutions envisagées par les pouvoirs publics n'apportant pas un emploi stable et pérenne ne seront pas acceptées.
Pour l'instant, les diplômés chômeurs refusent d'intégrer le secteur privé (qualifié d'instable, de paternaliste et d'exigeant, etc.), de participer à la création d'entreprises, de coopératives ou de toutes autres sortes de structures de production fondée sur le principe de la concurrence et du risque ; la professionnalisation de l'acte de manifester, l'adoption d'une sorte de discours intransigeant vis-à-vis des pouvoirs publics ont permis aux groupes représentants des diplômés chômeurs d'acquérir une certaine légitimité et crédibilité auprès de leur collègues.

Qu'en est-il des programmes de formation comme ceux proposés par Microsoft ou d'autres sociétés d'informatique ?

Pour accepter des programmes de formation accélérée, les diplômés chômeurs proposent que cela soit considéré comme partie prenante d'un contrat de travail dans le secteur public et ne doit en aucun cas être conçue comme période de test ou de pré-embauche ; de plus, les diplômés chômeurs considèrent que leur cursus scolaire est sanctionné par un diplôme supérieur délivré par l'Etat. La mise en cause de la qualité de ce titre n'est pas sans toucher la crédibilité d'un produit accrédité et délivré par l'Etat.

Avec le précédent gouvernement, quelques centaines de diplômés chômeurs ont pu être recrutés. Depuis, la source des emplois s'est tarie si l'on puisse dire ?

La gestion classique ou plutôt sécuritaire du dossier a longtemps entretenu l'idée selon laquelle l'Etat est en mesure de résoudre rapidement le problème du chômage des diplômés et dispose des moyens pour le faire. C'est une idée qui a été, il faut le souligner, entretenue par les engagements pris par différents gouvernements comme ceux de Abderrahman.Youssoufi et Driss Jettou. Ce qui a amené les diplômés chômeurs à penser que toute autre politique visant des solutions étalées sur le temps est démunie de volonté politique ; Ce postulat est matière à débat puisque les postes de la fonction publique se réduisent en peau de chagrin, et que le droit au travail, s'il peut être reconnu n'équivaut pas au droit à un poste dans l'administration. A ce jour, on constate que les mesures mises en place par les pouvoirs publics manquent d'harmonie et d'efficacité. Les diplômés chômeurs se retrouvent souvent face à une gestion «personnifiée» et «irrégulière/ saisonnière» de leur problème et considèrent donc que l'absence d'un interlocuteur institutionnalisé accroît le risque de non transparence dans la gestion du dossier.
D'autre part, l'approche classique se contentait de gérer le dossier sur la base du diplôme et non pas de la discipline. Les solutions apportées sont identiques quelle que soit la discipline, la compétence et les habilités des candidats ; De plus, cette approche a permis de créer une panoplie de groupes de diplômés chômeurs allant de ceux qui représentent un établissement de formation à ceux qui représentent une région ou une ville, ce qui nous incite à nous interroger sur les fondements constitutifs de ces groupes et sur leur mode de fonctionnement.
Dans le même sens, l'Etat a choisi de s'inscrire dans la même logique prônée par les diplômés chômeurs qui consiste à résoudre le problème à l'échelle nationale et d'une façon centralisée.
En effet, les négociations avec les pouvoirs publics traitent uniquement des dossiers des personnes inscrites sur les listes des mouvements contestataires ayant respecté un certain nombre de normes, l'assiduité en tête.
Ce mode de fonctionnement accroît le sentiment chez les non inscrits qu'ils ne bénéficieront pas des mêmes chances que les autres, donc ils prennent la décision d'aller à Rabat pour appuyer le mouvement et défendre leurs intérêts tout en contrôlant le respect de l'ordre établi.

En tant que sociologue et observateur du monde du travail, quelles propositions pouvez-vous faire ?

Les solutions ne sont pas qu'économiques. Elles sont avant tout politiques et mettent en avant le rôle de l'enseignement public dont certaines filières fabriquent à tour de bras les chômeurs.
Le rôle et l'engagement d'un acteur principal, l'état qui doit veiller à la fois à lancer une dynamique de croissance qui assure l'emploi mais veiller également à la régulation et à la fluidité sociale en préservant l'égalité des chances notamment en termes d'accès à l'emploi. Il faudrait également repenser les différentes formes d'interventions publiques. Je pense à une échelle précise celle de l'ANAPEC. L'on pourrait par exemple permettre à cette structure de participer à la gestion du dossier des diplômés chômeurs tout en intégrant à son niveau des changements en termes de mission, d'image, d'organisation et de gestion des ressources humaines.
Cette institution doit jouer un rôle central notamment en matière de formation et de formation continue. Les demandes d'emploi, tous secteurs confondus, doivent être étudiées et sélectionnées par l'ANAPEC qui, en contrepartie, doit intégrer une démarche individualisée en procédant
par entretien d'embauche qui donnera lieu à une évaluation approfondie des compétences de chacun des candidats et permettra donc de l'orienter selon son profil et selon les besoins exprimés par les recruteurs.

Quelles propositions faites-vous au niveau de l'ordonnancement même du dossier ?

Il faudrait dans un premier temps, mettre fin à l'approche classique qui consiste
à gérer le dossier des diplômés en chômage sans critère de sélection ni mesure de sanction.
En analysant un peu ce qui se faisait auparavant, nous constatons que les mêmes solutions sont apportées aux différentes demandes quelle que soit la discipline, l'âge, la date d'obtention du diplôme, etc. A titre d'exemple, les 10 ingénieurs agronomes attendront les mêmes solutions que les 509 diplômés en études islamiques! En termes de gouvernance, une telle démarche n'est pas sans entretenir les doutes largement répandus sur le professionnalisme et l'efficacité des solutions jusque là proposées par les pouvoirs publics.

On pourrait également créer des cellules de réflexion ou des groupes ad hoc pour chacune des cinq disciplines les plus représentées en y invitant, à côté des représentants de la Primature, des ministères de l'Intérieur et de l'Emploi, les autres acteurs directement impliqués, notamment les représentants des établissements de formation, les professeurs responsables des Unités de Formation et de Recherche, les représentants des secteurs publics ou privés directement ou indirectement concernés par l'emploi des jeunes ayant un diplôme dans l'une des cinq disciplines les plus représentées.

(*) Propos recueillis par Farida Moha
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