Il estime que ses détracteurs, qui ont fini par l'appeler « au secours » pour sortir de la crise, auraient dû attendre la réunion du conseil national pour trouver une issue. Au lieu de cela, ils ont choisi une autre voie, la direction collégiale, que Mohamed Elyazghi qualifie d'« impasse ».
La nouvelle position de l'ex-chef de file des socialistes risquerait-elle de se répercuter sur sa position au gouvernement ?
M. Elyazghi répond par la négative et affirme qu'il sera toujours ministre d'Etat, aux côtés des quatre autres ministres socialistes, « si l'USFP décide de rester au gouvernement ». Il précise d'ailleurs qu'il remplit ses missions au sein du ministère d'Etat, un département important et dont l'attribution à l'USFP est qualifiée par l'intéressé de « geste » de Sa Majesté le Roi envers l'Union socialiste des forces populaires.
Outre les conditions de son éviction de la direction, le ministre d'Etat évoque également l'avenir de l'USFP et de la gauche en général.
Il se dit pour l'élection, directement par le conseil national, du premier secrétaire et prône toujours l'unification de la gauche soit par la création d'un grand parti, soit par « l'unité de combat ».
Pour Mohamed Elyazghi, qui dévoile aussi les conditions dans lesquelles se sont déroulées les tractations avec Abbas El Fassi, estime que ce gouvernement a « été bien accueilli ». L'ex-premier secrétaire explique d'ailleurs qu'il était « normal » que son parti adopte l'option de la « participation critique » comme cela existe dans les démocraties gouvernées par des coalitions. Une manière comme une autre de lever l'ambiguité quant à une autre lecture qui parle de “soutien critique”.
Serein après son retour des Lieux Saints, il a répondu aux questions des journalistes du Groupe « Maroc Soir ».
L'homme n'a pas perdu de sa verve légendaire et semble même avoir repris du poil de la bête. Il semble surtout décidé à rester au cœur de l'actualité et de la prise de décision au sein de l'USFP. A telle enseigne que, à suivre son argumentaiure et ses prises de positions, que d'aucuns peuvent se poser la question quant à sa véritable place au sein des instances du parti. L'homme reste, fidèle à lui-même et sa stature de politicien qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.
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Mohamed Elyazghi : Je n'ai pas assisté au Conseil national à son départ mais j'y suis allé durant l'après-midi de samedi. Car j'avais dit dans ma lettre adressée, au mois de décembre, au Bureau politique et aux militants, que je ne participerai pas aux réunions du BP jusqu'à la réunion du Conseil national.
Il fallait laisser l'occasion à ces deux instances de débattre. Effectivement, le débat était fructueux et les gens ont pu discuter de toutes les questions qui les intéressent.
Bien entendu, ce qui est arrivé au BP était au cœur du débat du Conseil national.
Il y a eu une demande de plusieurs militants, qui avaient pris la parole dans la journée de vendredi et durant la matinée de samedi, pour que je vienne. La présidence a alors lancé un appel dans ce sens auquel j'ai répondu spontanément en pensant que c'était l'occasion d'expliquer un certain nombre de choses et d'éclairer le Conseil national.
Si j'avais assisté dès le premier jour, les militants auraient considéré qu'il n'y a aucun problème. Ce qui n'est pas le cas. Pour être plus clair, je suis désormais un membre du Conseil national. Le BP s'est déjà réuni et je n'y ai pas assisté.
Comment la crise de l'USFP est-elle intervenue ? Préfigure-t-elle un malaise profond ou une révolution en profondeur et quels sont les forces et les courants qui ont provoqué cette transformation en un débat ouvert ?
Il y a deux choses. D'abord les élections du 7 septembre. Les résultats ont d'abord choqué les militants de l'USFP. Notre classement, qui était en 2002 à la première place bien qu'avec des députés dont le nombre n'est pas énorme et ne répondant pas à nos inspirations, a dégringolé à la cinquième place, mais avec des différences minimes aussi bien en voix qu'en sièges.
Cette situation a provoqué un débat important au sein de toutes les instances du BP jusqu'aux sections. Lorsque S.M. le Roi a désigné Abbas El Fassi pour former le gouvernement, nous avons réuni le Conseil national. Nous sommes le seul parti à avoir réuni son parlement avant la constitution du gouvernement. J'ai dit à Abbas El Fassi lorsqu'il est venu chez moi que je ne peux commencer à débattre avec lui qu'à la fin des travaux du Conseil national. Nous sommes sortis avec deux décisions importantes.
La première est de constituer une commission chargée de l'évaluation des élections qui devait se pencher sur tous leurs aspects et en tirer les conclusions et deuxièmement, on a discuté de la formation du gouvernement. Et là, le Conseil national a été clair, il a mandaté le BP pour mener les consultations en vue de la formation du nouveau gouvernement. Et même cette deuxième décision a été votée: 215 voix pour, 3 contre et 13 abstentions.
Après la constitution du gouvernement, il s'est avéré que des camarades dans le BP estimaient qu'il faut ‘'un choc'' dans le pays et à l'USFP.
Ce choc consistait en un retour à ce qui a été appelé la direction collégiale qu'avait connue l'UNFP en 1959. Je pense que le choc risque d'avoir lieu, mais j'ai peur qu'on entre dans une crise et Dieu seul sait comment on peut s'en sortir.
Devant cette situation, j'ai estimé de mon devoir d'envoyer une lettre au BP et aux militants pour dire que je ne démissionne pas, mais je quitte mon poste de premier secrétaire et gèle mon activité au sein du BP jusqu'à la réunion du Conseil national.
Le contenu de la lettre reste, pourtant, pas suffisamment clair. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur ce sujet ?
J'ai bien expliqué à mes camarades que le chemin que nous empruntons est difficile. Ensuite, au sein du Conseil national, j'ai donné toutes les explications à propos du retour à la direction collégiale et la position que j'ai prise pour sauvegarder l'unité du parti.
Mais on a persisté dans le conflit autour de certaines choses sans importance.
Je tiens à rappeler que nous avons été dans une situation pire que celle d'aujourd'hui. Ma conviction est que la direction collégiale n'est pas la bonne option.
Plusieurs membres du BP vous ont critiqué pour avoir proposé sept départements ministériels à Abbas El Fassi… Sans qu'ils soient informés
de leur nature…
Au contraire. Le fait que j'aie proposé sept ministères a été soutenu par le BP. Lors de ma réunion avec Abbas El Fassi, j'ai évoqué la question du programme dans la mesure où nous avons une plate-forme d'action commune au sein de la Koutla. La question du programme était pour nous essentielle contrairement à l'idée que notre parti se ruait sur les postes. Bien sûr, à l'époque, je ne pouvais pas expliquer quotidiennement l'évolution des négociations.
Quant aux départements ministériels, à l'issue de chaque réunion avec le Premier ministre désigné, j'en faisais état au BP. Mais j'ai bien insisté qu'on puisse avoir une importante présence au sein du gouvernement. Après la discussion du programme, j'ai posé le problème de la restructuration du gouvernement. Abbas El Fassi a répondu que la configuration gouvernementale a été soumise au Souverain et qu'il n'est pas possible de la réviser.
Malgré cela, elle a été révisée au moins dans deux points essentiels. D'abord concernant le département de l'Eau et l'Environnement qui était annexé au ministère de l'Equipement et du Transport et qui, en fin de compte, est revenu au département de l'Energie et des Mines, ce qui est normal et en vigueur dans plusieurs pays. Ensuite, nous avons constaté que le département de la Santé allait devenir un secrétariat d'Etat au sein d'un ministère des Affaires sociales.
C'est impensable car le secteur de la santé est primordial et le Maroc dispose de grandes compétences dans ce domaine.
L'idée circulait à propos d'un choix assez spécial des sept départements pour exclure certaines personnalités de la liste des ministrables USFP comme Fathallah Oualalou et Habib Malki…
Au sein du BP, nous avons décidé, en accord, qu'on ne demandera pas les secteurs de l'Enseignement et des Finances. J'ai donc exécuté la décision du BP malgré le fait que je ne partage pas totalement les raisons qui poussent à ce genre de choses. L'opinion d'un certain nombre de camarades est qu'il faut une sorte d'alternance dans les ministères. Mais l'idée n'était pas pour exclure quiconque car F. Oualalou aurait pu être dans un autre ministère. Effectivement, j'ai discuté avec lui à propos d'autres départements.
Au Conseil national, j'ai dit que lors de la rencontre entre Driss Jettou et Abbas El Fassi, à laquelle était présent F. Oualalou, l'ex-Premier ministre a dit qu'il est difficile d'avoir un prochain gouvernement sans ce dernier. Car F. Oualalou a suivi les réformes dans le secteur financier et c'est lui qui a préparé avec Driss Jettou la loi de finances qui a été présentée au Parlement après la constitution du gouvernement. Effectivement, j'en ai pris conscience et nous avons demandé à avoir le ministère de l'Economie et des Finances, estimant que ce serait peut-être une bonne chose pour le pays.
Pour revenir aux élections du 7 septembre, vous avez dit lors de la dernière réunion du Conseil national que le faible taux de participation a été finalement une bonne chose…
Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que le grand taux d'abstention est un immense point d'interrogation pour l'Etat, les partis politiques et les Marocains en général. Il sonne le glas, si on ne fait pas attention, d'un étranglement de la jeune démocratie que nous avons. Si les Marocains avaient participé à 70% et que les résultats de l'USFP étaient pareils, cela aurait été une vraie catastrophe. A ce moment là, je serais venu avec le BP pour présenter ma démission au Conseil national. On serait alors en face d'un échec net. Tandis que maintenant, tout le monde se demande pourquoi ces électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Il faut peut-être des années pour analyser ce phénomène.
Qu'en est-il du comité de réconciliation qui est intervenu avant le Conseil national ?
Il y avait d'abord une première démarche du BP. Mohamed Seddiki est venu, au nom de ses membres, pour me dire qu'ils ont besoin de mon aide pour remédier à cette situation. J'ai répondu que j'étais disponible, mais qu'il faut reconnaître que ce qui a été fait est une erreur. Par la suite, il y a eu des militants et des membres du Conseil national qui ont effectué une démarche et avec le BP et avec moi pour essayer de voir quelle option adopter. Ils sont arrivés à l'idée que la préparation du prochain congrès serait l'occasion d'un travail que je peux faire à ce moment-là.
Etes-vous avec ceux qui appellent à une démission en bloc du BP le tenant pour responsable, tout autant que le premier secrétaire, dans l'échec
électoral du parti ?
Notre responsabilité est collective car le Conseil national nous a mandatés pour discuter avec le Premier ministre désigné et arriver à des résultats qui soient honorables pour l'USFP. Je me suis à chaque fois réuni avec le BP à l'issue de chaque rencontre avec Abbas El Fassi.
Il y a une seule chose que je me suis permise en prenant une décision en toute responsabilité. C'est celle des noms des ministres que le Premier ministre a présentés à Sa Majesté pour les départements qui nous avaient été attribués.
En effet, beaucoup de membres au BP sont habilités à devenir ministres et aussi des militants dans le Conseil national et nous en avons des dizaines. Si on commence à discuter des noms, je ne pense pas que ce soit une procédure élégante vis-à-vis de gens désignés ou rejetés.
Que reprochez-vous alors au BP et vice-versa ?
Ce que je reproche au BP, c'est de ne pas attendre qu'on réunisse le Conseil national pour présenter les discussions avec le Premier ministre désigné et la constitution du gouvernement. A ce moment-là, le Conseil national pouvait évaluer si nous avons échoué ou gagné. Or, le BP a voulu trancher cette question bien avant. Je pense qu'il s'est engagé dans une politique de règlement de comptes qui ne peut pas aboutir et qui a été déjà rejetée par le Conseil national.
Revenons à la lettre de Mohamed Lahbabi dans laquelle il a soulevé un certain nombre de dysfonctionnements au sein du parti. Pourquoi vous n'avez pas remédié à ces dysfonctionnements avant le 7 septembre ?
Les dysfonctionnements sont apparus durant les élections du 7 septembre. Il ne faut pas oublier que lors de notre septième congrès national, nous avons clarifié nos choix et la base sur laquelle nous avons travaillé. J'ai déclaré, à ce propos, que je n'étais derrière aucune liste noire et ce pour répondre aux allégations concernant l'existence de personnes qui auraient été exclues du congrès. S'il y avait des conflits entre des personnes, vous savez que c'est normal, surtout au niveau organisationnel.
Nous avons défini la stratégie dans le cadre de la Koutla. Car il ne faut pas oublier que plusieurs sont ceux qui voulaient enterrer cette structure. Contrairement à cette volonté et malgré que nos résultats ne soient pas satisfaisants en tant que parti, il ne faut pas perdre de vue que la Koutla reste la première force politique dans le pays. Par ailleurs, au sein de l'USFP, nous avons poussé dans le sens de la stratégie de majorité. Pour être plus clair, la participation au gouvernement ne veut pas dire un changement de position, mais dans un cadre consensuel, on peut arriver à des solutions de juste milieu.
Vous avez annoncé que vous ne briguerez aucun poste de responsabilité au 8e congrès. Qu'allez-vous faire alors après cette étape ?
Mon vœu est de devenir un militant de base. Je pense que dans un parti politique, les militants de base sont importants. Je ne me retirerai pas de la vie politique et je travaillerai pour faire gagner mon parti, voir sa base s'élargir, s'ouvrir sur les jeunes et sur les femmes et réussir les mutations. L'USFP a besoin d'une nouvelle lecture de son référentiel social-démocrate pour qu'elle puisse accueillir le plus grand nombre de jeunes marocains. Nous croyons que l'avenir de ces derniers se trouve dans notre projet de société. Ensuite, nous devons soutenir une réforme globale du parti, que ce soit au niveau de sa structure ou le comportement de ses responsables ainsi que ses rapports avec les citoyens.
Troisièmement, je pense que le parti doit discuter profondément son expérience durant les dix dernières années. Nous avons pris la responsabilité en tant que parti d'initier le pays à la politique de réconciliation en votant pour la Constitution de 1996 et en acceptant d'être à la tête du gouvernement d'alternance consensuelle. Je peux affirmer que Feu S.M. Hassan II nous a donné toute Sa confiance. Nous étions et nous sommes sur le bon chemin avec S.M. le Roi Mohammed VI qui est venu avec une nouvelle philosophie de gouvernance et un nouveau concept d'autorité. Ensuite, nous nous sommes engagés dans une nouvelle phase : celle du gouvernement de Driss Jettou dont nous avons critiqué la formule.
Nous avions estimé qu'il n'y avait aucune raison d'ignorer la méthodologie démocratique. S.M. le Roi a dit en 2005 que cette dernière sera respectée et nous sommes sereins de voir Abbas El Fassi à la tête du gouvernement. Notre congrès doit débattre de tout cela pour définir exactement notre ligne politique à adopter durant cette période. Je ne pense pas que la stratégie du militantisme démocratique, qu'est la nôtre depuis 1975, sera changée durant le prochain congrès. Toutefois, je ferai en sorte que la direction de l'USFP soit renouvelée comme je l'ai expliqué aux camarades au sein du Conseil national.
Ne pensez-vous pas que l'USFP doit revenir à l'opposition pour reconquérir la confiance des électeurs ?
J'ai parlé de cette option au Conseil national dans son avant-dernière réunion. Mais la question: est comment faire l'opposition et vis-à-vis de quoi et avec qui ? Le Conseil national a choisi de persévérer dans le choix de la participation au gouvernement.
Prenant conscience de cela, je ne peux imposer à mon parti une ligne politique pour la simple raison que je ne suis pas satisfait des résultats du dernier scrutin. Or, il ne faut pas oublier que les dernières élections ont souffert de l'utilisation de l'argent. Dans plusieurs circonscriptions, nous étions la victime de cette situation. Car les autorités locales, devant tous les défis et les sondages, avaient peur des résultats des législatives. Et ce contrairement à ce qui s'est passé aux élections de renouvellement du tiers des conseillers où le Conseil constitutionnel a invalidé l'élection de douze conseillers.
L'UNFP avait décidé de ne participer à aucun gouvernement… qui se rappelle aujourd'hui d'une telle formation politique? Il y a des partis qui ont opté uniquement pour l'opposition. Pensez-vous qu'ils ont pu avoir une place sous le soleil ?
Vous avez dit que vous ferez de sorte que soit renouvelée la direction. Mais par quel moyen allez-vous faire entendre votre voix ?
Je défendrai des idées et une façon d'agir. Je suis convaincu que le prochain premier secrétaire doit être élu par le congrès et je vais défendre cette option. Car nos camarades au Parti travailliste espagnol ont suivi cette voie et cela leur réussit bien. Dans le cadre de la refondation du parti, je défendrai un autre candidat.
Quant à moi, je ne me porterai pas candidat.
Qu'est-ce qui est arrivé au juste avec Mohamed El Gahs ?
Après sa démission, Mohamed El Gahs ne s'est jamais exprimé ni au BP ni au Conseil national. Tout ce qu'il a dit je l'ai appris par la presse.
Nous avons alors décidé de refuser sa démission. J'ai entamé des démarches et des discussions en présence de témoins pour qu'il retourne au BP, et c'est ce qu'il m'a promis de faire. Seulement, je lui ai laissé le choix de la date.
Je crois que le moment choisi est celui-là. Mohamed El Gahs doit reprendre ses responsabilités au BP et au Conseil national.
Pourquoi alors avoir opposé une fin de non-recevoir à M. El Gahs pour un portefeuille ministériel ?
Parce qu'il m'a été proposé par une autorité qui n'est pas l'USFP.
Ce n'est pas à quelqu'un d'autre de nous dire voilà l'USFP de mon choix et, d'ailleurs, si on ne l'avait pas proposé, je l'aurais fait.
C'était d'ailleurs la même chose lors de la formation du gouvernement Jettou...
Non, ce n'est pas vrai. Peut-être qu'il n'a pas été proposé par Abderrahman Youssoufi, mais je l'ai retenu.
Pourtant, vous avez accepté, initialement, Touria Jabrane au nom de l'USFP...
Ce n'est pas vrai. On nous a proposé Mohamed El Gahs et Touria Jabrane et j'ai refusé les deux. Pour ce qui est du département de l'immigration, il a été dit que l'USFP pouvait désigner la personne de son choix. Pour la Culture, on a insisté sur Touria Jabrane et j'ai refusé. Sur la liste finale du gouvernement, on a précisé qu'elle était sans étiquette politique.
L'USFP est connue pour son combat en faveur de la cause féminine. Comment expliquez-vous l'absence de femmes sur la liste des ministres socialistes ?
Je pense que les propositions qui nous ont été faites dans ce sens ont brouillé les pistes. De toutes les manières, il était prévu qu'on mette une femme à un poste ministériel, mais le département en question ne nous a finalement pas été attribué.
Vous, qui êtes les défenseurs de l'alternance au pouvoir, comment acceptez-vous un poste ministériel pour la troisième fois consécutive et d'être ministre pour quinze ans ?
Quand Sa Majesté le Roi a désigné Abbas El Fassi au poste de Premier ministre et qu'il l'a chargé de former un gouvernement, il était naturel que le premier responsable de l'USFP fasse partie de l'équipe gouvernementale.
Quitte à accepter un portefeuille sans missions précises ?
Ce n'est pas vrai. Le ministère d'Etat est un grand ministère et c'est un geste, un signe de Sa Majesté le Roi envers l'USFP. Le Conseil national a adopté la motion comme quoi l'USFP doit être traité non pas uniquement en fonction de ses résultats numériques, mais eu égard aussi à son poids politique.
Qu'est-ce que vous faites exactement au sein de ce ministère ?
Jusque-là, je mène mon rôle de ministre d'Etat conformément au programme que nous avons engagé en tant que gouvernement.
J'étudie toutes les questions qui se posent dans ce programme et je donne mon point de vue notamment lors du premier conseil de gouvernement. J'ai expliqué comment nous allons travailler au sein de ce gouvernement et quels sont les problèmes qui se posent à notre pays. J'assume parfaitement mon rôle de ministre d'Etat et, bien entendu, avec le même franc-parler parce que, moi, je suis au service du peuple marocain.
Justement, quel regard portez-vous sur le travail et l'évolution de ce nouveau gouvernement ? Y a-t-il une cohésion entre les formations qui le composent et existe-t-il des divergences concernant certains aspects de son travail ?
De la cohésion au temps de Driss Jettou ? Eh bien, beaucoup de gens disaient le contraire ! Ce qu'il y a, c'est qu'on a un gouvernement qui a la confiance de Sa Majesté le Roi, qui a la confiance du Parlement et qui a présenté un programme qui a été approuvé. Mais, comme nous sommes un gouvernement de coalition, chacun a quand même sa spécificité sur certaines questions. L'essentiel, c'est que la mission du Premier ministre est de coordonner les choses et, bien sûr, d'éclaircir les différends qui sont quelque chose de naturel entre membres du gouvernement. Une fois la mission et les attributions définies, à ce moment-là, il reste au Premier ministre de régler ces différends. Si ces derniers atteignent des degrés invraisemblables d'incompatibilité, à ce moment-là, chacun tire les conclusions qu'il faut. Mais, tant que ce gouvernement a une majorité qui le soutient, je pense qu'il fera son travail. Bien que, je l'ai dit d'ailleurs au Premier ministre, c'est un gouvernement qui ait été très bien accueilli et notamment par la presse.
Sinon, que pensez-vous de la nouvelle formule du ministère de l'Aménagement de l'espace et le problème des agences ?
Je trouve que c'est une bonne formule. Il faut, à mon avis, rendre justice à Abbas El Fassi. Ce dernier, au moment de la formation du gouvernement, on lui a dit que les agences de développement dépendraient du ministère de l'Aménagement et cela a été écrit noir sur blanc. Sinon, quel intérêt aurait-il à abandonner, lui, la tutelle de ces agences au profit d'un autre département ?! Je ne le vois pas.
Cela ne pose-t-il pas un problème de gestion et de bureaucratie ?
Dans les discussions qu'il a eues, on lui a fait savoir qu'il peut mettre ces agences sous la tutelle d'un autre ministère.
Qu'en est-il alors des revendications de la réforme constitutionnelle et des attributions du Premier ministre ?
S'il y a quelqu'un qui a posé cette question, c'est bien nous. Le premier mémorandum relatif à la question a été celui de l'USFP et de l'Istiqlal en octobre 1991 avec un autre mémorandum de la Koutla en 1992 et un troisième en 1996. Nous n'avons aucun complexe concernant ces réformes constitutionnelles, mais, évidemment, nous avons une position de principe : la réforme ne peut se faire sans consensus entre l'institution monarchique et les forces démocratiques. Je vous rappelle aussi le contenu du dernier discours du Trône et auquel beaucoup de gens n'ont pas prêté, peut-être, l'intérêt qu'il fallait.
Comment Sa Majesté le Roi y a-t-il qualifié la monarchie au Maroc? Il l'avait qualifié de monarchie non exécutive, non législative et non judiciaire. Si la réforme que nous voulons, nous. Du moment que Sa Majesté le Roi a tracé la voie, la réforme constitutionnelle était donc à l'ordre du jour.
Sa Majesté le Roi s'est montré, à maintes reprises, plus progressiste que les partis politiques. Cela n'affaiblit-il pas ces derniers ?
Si c'est le contraire qui s'était passé, cela nous aurait effrayé. Mais, le fait que Sa Majesté le Roi, dans ses discours, tranche des questions pour lesquelles nous avons milité depuis longtemps, cela me rassure complètement et non le contraire. Ce qui aurait pu nous effrayer c'est le cas où le chef de l'Etat n'accepterait pas le modernisme, la démocratie, les libertés et la participation des partis politiques. Grâce à Dieu, ce n'est pas le cas. N'oubliez jamais qu'au début de l'Indépendance il y avait une divergence de fond : feu Hassan II avait une théorie stipulant que l'Etat doit se construire en dehors des partis politiques et qu'il fallait aller vers la démocratie avec beaucoup de précautions. Le projet sociétal auquel appelle Sa Majesté le Roi Mohammed VI me rassure parfaitement et cela nous réconforte dans notre combat pendant de longues années. Cela nous donne raison.
Juste après la formation du gouvernement, vous avez brandi l'option du soutien et votre groupe parlementaire a appliqué la consigne à la lettre lors de la discussion de la loi de Finances. Est-ce qu'il y a un plafond pour cette option et est-ce que cela ne risquerait pas de déboucher éventuellement sur une crise ?
Le communiqué du Bureau politique était conjoncturel comme nous sortons un chaque semaine. Après, j'ai expliqué à la presse ce que j'ai appelé la participation critique et non pas le soutien critique. Cela existe dans toutes les démocraties où il y a des coalitions et chaque jour, par exemple, on se demande si Prodi va avoir, ou non, la voix qui lui manque. Notre groupe parlementaire a bien appliqué précisément le concept véritable de cette participation critique. Il a fait des amendements non pas pour pénaliser le ministre des Finances, mais c'était une conviction chez nous compte tenu de notre programme et de notre engagement à ce que notre groupe parlementaire ne soit pas une chambre d'enregistrement. Nous voulons que ce groupe soit crédible et qu'il emplisse la place. Qu'il ne laisse pas le vide dans le Parlement.
Le ministre des Finances était venu avec d'autres propositions qui tiennent compte de leurs observations et, finalement, tout le monde a voté la loi de Finances. Pour les impôts, il était question pour les banques et les grandes entreprises de baisser l'impôt à 35 % et nous avons refusé cela. Mais, il n'y a pas de plafond à cette participation critique. C'est la procédure idéale dans les pays démocratiques. Nous sommes dans la majorité, nous sommes solidaires au sein du gouvernement, mais, évidemment, nous gardons une liberté de notre parti concernant quelques questions. Pour l'impôt, nous avons accepté qu'il soit baissé pour les petites et moyennes entreprises. Nous avons même proposé des chiffres inférieurs à cela. Ce que nous avons critiqué, par contre, c'est la baisse proposée pour les banques. Il y a eu finalement la proposition du ministre des Finances qui a réglé le problème de manière partielle pour le moment et l'année prochaine lorsqu'on discutera du budget.
Le fait que vous ne soyez plus membre influent au sein de votre parti ne risquerait-il pas de se répercuter sur votre position au sein du gouvernement ?
Si vous qui dites que je ne suis pas un membre influent ! L'influence n'est pas toujours liée à une responsabilité formelle. La question devrait être posée par nos alliés, mais personne ne l'a fait jusque-là. Nous avons participé au gouvernement avec cinq ministres de l'USFP et nous demeurons ces cinq ministres socialistes. Et, même en qualité de simple militant de base, je serai toujours au gouvernement si le parti décide d'y rester.
Pour revenir à l'USFP, pourquoi n'avez-vous pas agi comme Abdelouahed Radi en vous retirant de la direction, mais en restant au sein du Bureau politique ?
Parce que j'ai une conviction : la direction collégiale n'est pas un choix pertinent. La direction collégiale, c'est de l'immobilisme et c'est de l'incapacité de prendre des décisions. J'ai évoqué dans ce sens l'expérience de cette direction collégiale par le passé. Elle n'a pas réussi et, pour l'avenir, je ne crois pas qu'elle marcherait. De ce fait, je ne pouvais cautionner la formule de la direction collégiale. La solution était d'en discuter au sein du Conseil national.
Pour un aspect purement pratique, qui représentera l'USFP, par exemple, lors de consultations avec sa Majesté le Roi, des éventuelles réunions de la Koutla ou de la majorité ?
C'est Sa Majesté qui inviterait qui il veut. Pour la Koutla, nous avons un secrétariat de six personnes dont je faisais partie. Donc, si la Koutla se réunit, nous allons être ensemble.
Pourquoi avez-vous adhéré au choix de Abbas El Fassi pour refuser des postes ministériels à ceux qui ont perdu les élections et quitte à sacrifier quelqu'un de très proche de vous comme Driss Lachgar ?
D'abord, il faut savoir que cette décision de ne pas désigner de ministres parmi les personnes qui ont perdu les élections est une décision de Sa Majesté le Roi qui en avait informé Abbas El Fassi. Ce dernier est venu me voir et je lui ai dit que pour nous, à l'USFP, nous n'étions pas contre cette méthodologie. Ensuite, il s'était présenté devant le Comité exécutif de l'Istiqlal et c'est là qu'il a été sévèrement pris à parti. Il en a référé de nouveau à Sa Majesté le Roi qui a réaffirmé qu'il n'y aura pas de responsable ayant perdu les élections. « Moi, j'ai respecté la méthodologie démocratique et vous devez en faire de même en tant que partis politiques », lui a répondu le Roi. Ce n'est pas une décision de Abbas El Fassi.
Pour revenir à l'USFP, beaucoup considèrent que l'initiative d'ouverture était un fiasco. Qu'en dites ? Est-ce que vous poursuivez toujours le rêve d'un grand parti de la gauche ?
L'ouverture a été décidée par notre parti et, parmi les cadres, je crois que c'était une réussite. Mais, au niveau des structures régionales, provinciales et locales, cela n'a pas toujours été suivi. On a gagné beaucoup de cadres et beaucoup n'ont pas demandé, par exemple, à se présenter aux élections ou quelque chose de ce genre.
Au contraire, beaucoup d'entre eux sont venus participer avec nous au programme du parti, aux réflexions qu'on engagées à cette occasion et je pense que le parti doit continuer cette politique, analyser les difficultés qu'elle a rencontrées et convaincre, surtout, les militants que c'est la seule voie pour permettre à du sang nouveau et valable d'intégrer ce parti. Pour ce qui est des pôles, nous sommes déjà le pôle social-démocrate et ce dernier doit regrouper toutes les forces de progrès dans ce pays. Maintenant, s'il y a un pôle de droite. Nous, nous sommes le pôle de gauche.
Evidemment, cela dépendra de la volonté des Usfpéistes d'engager la refondation de leur parti et de définir une ligne politique acceptable par l'opinion publique et les forces de progrès et, puis, cela dépendra également de notre capacité à regrouper la famille socialiste. Comme vous le savez, avant de quitter la direction, j'ai lancé un appel important : celui de l'unité, soit l'unité au sein d'un seul parti, soit l'unité de combat. Nos camarades du PSD ont décidé la dissolution de leur parti et ils ont intégré l'USFP, ce qui est un apport important et énorme pour notre parti. Maintenant que chacun a fait son expérience, dans la famille socialiste, il faut discuter pour constituer ce grand parti socialiste et ce pôle essentiel qui permettra à la gauche d'avoir son poids dans le pays et d'influer toutes les transformations que connaît le Maroc.
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Je crois que le Maroc a fait un geste très important qui ne touche pas uniquement le règlement de l'affaire du Sahara, mais également pour permettre au pays l'enracinement de la démocratie. L'autonomie au Sahara, cela veut dire qu'on ouvre des perspectives pour les séparatistes d'intégrer le pays et permettre à tous les réfugiés de rentrer chez eux et donc de participer à la construction de cette région. Deuxièmement, cela veut dire que l'Etat marocain, qui est un Etat centralisé, va devenir un Etat décentralisé. Ce qui l'amènera à s'engager dans cette décentralisation très importante qui a déjà commencé, mais qui est encore timide. Bien entendu, j'aurais souhaité que l'Algérie jouerait un rôle positif dans cette affaire.
Qu'elle pousse et qu'elle encourage les séparatistes à aller dans le sens de cette solution quitte à discuter les détails. Le Maroc ne propose pas un plan d'autonomie en disant que c'était à prendre ou à laisser. Comme l'a dit le chef de la délégation marocaine, c'est un plan que nous acceptons de discuter dans les détails : la formule de l'Exécutif, du Parlement local, des responsabilités… cela aurait pu d'abord régler le problème des Sahraouis parce que la situation dramatique dans laquelle vivent les réfugiés est inacceptable surtout que l'Algérie, qui a un trésor de plus de 100 milliards de dollars, ne dépense pas une seule pièce pour ces populations.
Elle peut donner de l'argent pour la diplomatie, pour le polisario à l'extérieur, pour recevoir les invités, mais, pour les réfugiés, il faut qu'ils aillent quémander. C'est une sorte de mendicité internationale. Ils ont, bien entendu, le soutien des organisations humanitaires en Espagne, en Italie, en Suède et ailleurs, mais, malgré cela, les gens vivent difficilement. Alors, il est impensable et inhumain de laisser ces gens-là vivre comme ils le font. On est à la troisième phase et on va aller vers une quatrième phase de négociations et je pense que, à ce moment-là, il faut que les grandes puissances puissent convaincre et l'Algérie et les séparatistes de ne pas rester dans l'impasse.
Ne peut-on pas parler de régression du rôle de l'USFP dans cette affaire et, par exemple, lors de la crise avec le parti socialiste sénégalais ?
D'abord, je tiens à préciser que nous ne vivons pas de régression dans notre rôle. Peut-être que nous avons des difficultés. Si ce parti sénégalais dispose de quelque force, c'est qu'il est fidèle à ses valeurs et principes et travaille à ce qu'il soit au cœur des réformes et des changements. Pour ce qui est de notre passage de l'opposition au gouvernement, cela est un autre sujet. Pour le Sahara, nous remplissons notre rôle. L'USFP est à l'intérieur du gouvernement. Il donne son avis et formule ses remarques. Quand le plan d'autonomie a été posé, nous avons soumis un mémorandum à Sa Majesté le Roi en tant que partis de la Koutla et nous y avons éclairci quelques points.
Ensuite, en tant que parti politique, nous n'avons jamais déserté le terrain. En tant que premier secrétaire de l'USFP, j'ai pris part à de nombreuses délégations officielles auprès de chefs d'Etat, de ministres des Affaires étrangères ou de parlementaires. Nous ne restons pas les bras croisés. En tant aussi que parti politique, nous disposons d'un cadre important qui est l'Internationale socialiste. N'oublions pas que, malgré la volonté de plusieurs partis comme le parti socialiste suédois, norvégien ou suisse, ces derniers n'ont pas pris position contre le Maroc au sein de l'Internationale socialiste. Comme partis, pris de manière isolée, c'est possible et c'est le cas, dernièrement de l'ANC. Pour ce qui est du parti sénégalais, il vivait, lors des dernières années, une sorte de gestation à propos de cette affaire. Au Sénégal, il ne faut pas oublier que le parti qui soutenait le Maroc était le parti socialiste avec Senghor, puis Abdou Diouf.
Quand Abdoulaye Wade a été élu à la présidence du Sénégal, et au vu des relations construites avec ce pays et un traitement fraternel empreint de camaraderie et un soutien à ce pays pour faire face à ses difficultés malgré la faiblesse de nos moyens, le parti au pouvoir est devenu l'un des défenseurs du Maroc. Le parti socialiste sénégalais se trouve aujourd'hui dans l'opposition et ses espoirs ont été déçus lors des dernières élections. J'ai ouvert un dialogue avec son secrétaire général car nous avons remarqué lors de quelques réunions, et notamment au sein de la commission africaine de l'Internationale socialiste, que le discours du délégué du Sénégal était empreint d'une certaine ambiguïté. J'ai envoyé un mémorandum au secrétaire général de ce parti depuis longtemps et j'en ai envoyé un deuxième au sujet du plan d'autonomie.
Par la suite, je n'ai su ce qui s'était passé qu'une fois aux Lieux Saints et j'ai appris la crise qui a résulté de la présence de la délégation du parti socialiste sénégalais à Tifarity. Lors de mon absence, il y a eu des contacts entre le groupe parlementaire de l'USFP et ce parti pour clarifier les choses. C'est un parti avec lequel nous allons maintenir le dialogue et les contacts car plusieurs partis, membres de l'Internationale socialiste, ne soutenaient pas le Maroc et certains le faisaient mais ne pouvaient pousser toute l'organisation dans ce sens. Il y a encore des gens qu'il faut convaincre et avec qui il faut toujours maintenir le dialogue et c'est ce que nous faisons de manière permanente.
Et avec le polisario ?
Dans le passé, il y avait un dialogue avec des membres de la direction du polisario. Nous avons été les premiers à ouvrir un dialogue avec Omar El Hadrami pour le convaincre que la voie du séparatisme conduisait à une impasse. Personnellement, j'ai contacté bon nombre de dirigeants du polisario pour qu'ils reviennent au Maroc. La situation que vivent les populations à Tindouf est très difficile. Ils vivent sur le territoire d'un autre pays qui finance… Je souhaite que la direction du polisario se libère aussi de cette situation.
La nouvelle position de l'ex-chef de file des socialistes risquerait-elle de se répercuter sur sa position au gouvernement ?
M. Elyazghi répond par la négative et affirme qu'il sera toujours ministre d'Etat, aux côtés des quatre autres ministres socialistes, « si l'USFP décide de rester au gouvernement ». Il précise d'ailleurs qu'il remplit ses missions au sein du ministère d'Etat, un département important et dont l'attribution à l'USFP est qualifiée par l'intéressé de « geste » de Sa Majesté le Roi envers l'Union socialiste des forces populaires.
Outre les conditions de son éviction de la direction, le ministre d'Etat évoque également l'avenir de l'USFP et de la gauche en général.
Il se dit pour l'élection, directement par le conseil national, du premier secrétaire et prône toujours l'unification de la gauche soit par la création d'un grand parti, soit par « l'unité de combat ».
Pour Mohamed Elyazghi, qui dévoile aussi les conditions dans lesquelles se sont déroulées les tractations avec Abbas El Fassi, estime que ce gouvernement a « été bien accueilli ». L'ex-premier secrétaire explique d'ailleurs qu'il était « normal » que son parti adopte l'option de la « participation critique » comme cela existe dans les démocraties gouvernées par des coalitions. Une manière comme une autre de lever l'ambiguité quant à une autre lecture qui parle de “soutien critique”.
Serein après son retour des Lieux Saints, il a répondu aux questions des journalistes du Groupe « Maroc Soir ».
L'homme n'a pas perdu de sa verve légendaire et semble même avoir repris du poil de la bête. Il semble surtout décidé à rester au cœur de l'actualité et de la prise de décision au sein de l'USFP. A telle enseigne que, à suivre son argumentaiure et ses prises de positions, que d'aucuns peuvent se poser la question quant à sa véritable place au sein des instances du parti. L'homme reste, fidèle à lui-même et sa stature de politicien qui ne se laisse pas marcher sur les pieds.
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Interview : Mohamed Elyazghi, ex-premier secrétaire de l'Union socialiste des forces populaires
Le Matin : Pourquoi vous n'avez pas assisté à la dernière réunion du Conseil national ?Mohamed Elyazghi : Je n'ai pas assisté au Conseil national à son départ mais j'y suis allé durant l'après-midi de samedi. Car j'avais dit dans ma lettre adressée, au mois de décembre, au Bureau politique et aux militants, que je ne participerai pas aux réunions du BP jusqu'à la réunion du Conseil national.
Il fallait laisser l'occasion à ces deux instances de débattre. Effectivement, le débat était fructueux et les gens ont pu discuter de toutes les questions qui les intéressent.
Bien entendu, ce qui est arrivé au BP était au cœur du débat du Conseil national.
Il y a eu une demande de plusieurs militants, qui avaient pris la parole dans la journée de vendredi et durant la matinée de samedi, pour que je vienne. La présidence a alors lancé un appel dans ce sens auquel j'ai répondu spontanément en pensant que c'était l'occasion d'expliquer un certain nombre de choses et d'éclairer le Conseil national.
Si j'avais assisté dès le premier jour, les militants auraient considéré qu'il n'y a aucun problème. Ce qui n'est pas le cas. Pour être plus clair, je suis désormais un membre du Conseil national. Le BP s'est déjà réuni et je n'y ai pas assisté.
Comment la crise de l'USFP est-elle intervenue ? Préfigure-t-elle un malaise profond ou une révolution en profondeur et quels sont les forces et les courants qui ont provoqué cette transformation en un débat ouvert ?
Il y a deux choses. D'abord les élections du 7 septembre. Les résultats ont d'abord choqué les militants de l'USFP. Notre classement, qui était en 2002 à la première place bien qu'avec des députés dont le nombre n'est pas énorme et ne répondant pas à nos inspirations, a dégringolé à la cinquième place, mais avec des différences minimes aussi bien en voix qu'en sièges.
Cette situation a provoqué un débat important au sein de toutes les instances du BP jusqu'aux sections. Lorsque S.M. le Roi a désigné Abbas El Fassi pour former le gouvernement, nous avons réuni le Conseil national. Nous sommes le seul parti à avoir réuni son parlement avant la constitution du gouvernement. J'ai dit à Abbas El Fassi lorsqu'il est venu chez moi que je ne peux commencer à débattre avec lui qu'à la fin des travaux du Conseil national. Nous sommes sortis avec deux décisions importantes.
La première est de constituer une commission chargée de l'évaluation des élections qui devait se pencher sur tous leurs aspects et en tirer les conclusions et deuxièmement, on a discuté de la formation du gouvernement. Et là, le Conseil national a été clair, il a mandaté le BP pour mener les consultations en vue de la formation du nouveau gouvernement. Et même cette deuxième décision a été votée: 215 voix pour, 3 contre et 13 abstentions.
Après la constitution du gouvernement, il s'est avéré que des camarades dans le BP estimaient qu'il faut ‘'un choc'' dans le pays et à l'USFP.
Ce choc consistait en un retour à ce qui a été appelé la direction collégiale qu'avait connue l'UNFP en 1959. Je pense que le choc risque d'avoir lieu, mais j'ai peur qu'on entre dans une crise et Dieu seul sait comment on peut s'en sortir.
Devant cette situation, j'ai estimé de mon devoir d'envoyer une lettre au BP et aux militants pour dire que je ne démissionne pas, mais je quitte mon poste de premier secrétaire et gèle mon activité au sein du BP jusqu'à la réunion du Conseil national.
Le contenu de la lettre reste, pourtant, pas suffisamment clair. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur ce sujet ?
J'ai bien expliqué à mes camarades que le chemin que nous empruntons est difficile. Ensuite, au sein du Conseil national, j'ai donné toutes les explications à propos du retour à la direction collégiale et la position que j'ai prise pour sauvegarder l'unité du parti.
Mais on a persisté dans le conflit autour de certaines choses sans importance.
Je tiens à rappeler que nous avons été dans une situation pire que celle d'aujourd'hui. Ma conviction est que la direction collégiale n'est pas la bonne option.
Plusieurs membres du BP vous ont critiqué pour avoir proposé sept départements ministériels à Abbas El Fassi… Sans qu'ils soient informés
de leur nature…
Au contraire. Le fait que j'aie proposé sept ministères a été soutenu par le BP. Lors de ma réunion avec Abbas El Fassi, j'ai évoqué la question du programme dans la mesure où nous avons une plate-forme d'action commune au sein de la Koutla. La question du programme était pour nous essentielle contrairement à l'idée que notre parti se ruait sur les postes. Bien sûr, à l'époque, je ne pouvais pas expliquer quotidiennement l'évolution des négociations.
Quant aux départements ministériels, à l'issue de chaque réunion avec le Premier ministre désigné, j'en faisais état au BP. Mais j'ai bien insisté qu'on puisse avoir une importante présence au sein du gouvernement. Après la discussion du programme, j'ai posé le problème de la restructuration du gouvernement. Abbas El Fassi a répondu que la configuration gouvernementale a été soumise au Souverain et qu'il n'est pas possible de la réviser.
Malgré cela, elle a été révisée au moins dans deux points essentiels. D'abord concernant le département de l'Eau et l'Environnement qui était annexé au ministère de l'Equipement et du Transport et qui, en fin de compte, est revenu au département de l'Energie et des Mines, ce qui est normal et en vigueur dans plusieurs pays. Ensuite, nous avons constaté que le département de la Santé allait devenir un secrétariat d'Etat au sein d'un ministère des Affaires sociales.
C'est impensable car le secteur de la santé est primordial et le Maroc dispose de grandes compétences dans ce domaine.
L'idée circulait à propos d'un choix assez spécial des sept départements pour exclure certaines personnalités de la liste des ministrables USFP comme Fathallah Oualalou et Habib Malki…
Au sein du BP, nous avons décidé, en accord, qu'on ne demandera pas les secteurs de l'Enseignement et des Finances. J'ai donc exécuté la décision du BP malgré le fait que je ne partage pas totalement les raisons qui poussent à ce genre de choses. L'opinion d'un certain nombre de camarades est qu'il faut une sorte d'alternance dans les ministères. Mais l'idée n'était pas pour exclure quiconque car F. Oualalou aurait pu être dans un autre ministère. Effectivement, j'ai discuté avec lui à propos d'autres départements.
Au Conseil national, j'ai dit que lors de la rencontre entre Driss Jettou et Abbas El Fassi, à laquelle était présent F. Oualalou, l'ex-Premier ministre a dit qu'il est difficile d'avoir un prochain gouvernement sans ce dernier. Car F. Oualalou a suivi les réformes dans le secteur financier et c'est lui qui a préparé avec Driss Jettou la loi de finances qui a été présentée au Parlement après la constitution du gouvernement. Effectivement, j'en ai pris conscience et nous avons demandé à avoir le ministère de l'Economie et des Finances, estimant que ce serait peut-être une bonne chose pour le pays.
Pour revenir aux élections du 7 septembre, vous avez dit lors de la dernière réunion du Conseil national que le faible taux de participation a été finalement une bonne chose…
Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que le grand taux d'abstention est un immense point d'interrogation pour l'Etat, les partis politiques et les Marocains en général. Il sonne le glas, si on ne fait pas attention, d'un étranglement de la jeune démocratie que nous avons. Si les Marocains avaient participé à 70% et que les résultats de l'USFP étaient pareils, cela aurait été une vraie catastrophe. A ce moment là, je serais venu avec le BP pour présenter ma démission au Conseil national. On serait alors en face d'un échec net. Tandis que maintenant, tout le monde se demande pourquoi ces électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Il faut peut-être des années pour analyser ce phénomène.
Qu'en est-il du comité de réconciliation qui est intervenu avant le Conseil national ?
Il y avait d'abord une première démarche du BP. Mohamed Seddiki est venu, au nom de ses membres, pour me dire qu'ils ont besoin de mon aide pour remédier à cette situation. J'ai répondu que j'étais disponible, mais qu'il faut reconnaître que ce qui a été fait est une erreur. Par la suite, il y a eu des militants et des membres du Conseil national qui ont effectué une démarche et avec le BP et avec moi pour essayer de voir quelle option adopter. Ils sont arrivés à l'idée que la préparation du prochain congrès serait l'occasion d'un travail que je peux faire à ce moment-là.
Etes-vous avec ceux qui appellent à une démission en bloc du BP le tenant pour responsable, tout autant que le premier secrétaire, dans l'échec
électoral du parti ?
Notre responsabilité est collective car le Conseil national nous a mandatés pour discuter avec le Premier ministre désigné et arriver à des résultats qui soient honorables pour l'USFP. Je me suis à chaque fois réuni avec le BP à l'issue de chaque rencontre avec Abbas El Fassi.
Il y a une seule chose que je me suis permise en prenant une décision en toute responsabilité. C'est celle des noms des ministres que le Premier ministre a présentés à Sa Majesté pour les départements qui nous avaient été attribués.
En effet, beaucoup de membres au BP sont habilités à devenir ministres et aussi des militants dans le Conseil national et nous en avons des dizaines. Si on commence à discuter des noms, je ne pense pas que ce soit une procédure élégante vis-à-vis de gens désignés ou rejetés.
Que reprochez-vous alors au BP et vice-versa ?
Ce que je reproche au BP, c'est de ne pas attendre qu'on réunisse le Conseil national pour présenter les discussions avec le Premier ministre désigné et la constitution du gouvernement. A ce moment-là, le Conseil national pouvait évaluer si nous avons échoué ou gagné. Or, le BP a voulu trancher cette question bien avant. Je pense qu'il s'est engagé dans une politique de règlement de comptes qui ne peut pas aboutir et qui a été déjà rejetée par le Conseil national.
Revenons à la lettre de Mohamed Lahbabi dans laquelle il a soulevé un certain nombre de dysfonctionnements au sein du parti. Pourquoi vous n'avez pas remédié à ces dysfonctionnements avant le 7 septembre ?
Les dysfonctionnements sont apparus durant les élections du 7 septembre. Il ne faut pas oublier que lors de notre septième congrès national, nous avons clarifié nos choix et la base sur laquelle nous avons travaillé. J'ai déclaré, à ce propos, que je n'étais derrière aucune liste noire et ce pour répondre aux allégations concernant l'existence de personnes qui auraient été exclues du congrès. S'il y avait des conflits entre des personnes, vous savez que c'est normal, surtout au niveau organisationnel.
Nous avons défini la stratégie dans le cadre de la Koutla. Car il ne faut pas oublier que plusieurs sont ceux qui voulaient enterrer cette structure. Contrairement à cette volonté et malgré que nos résultats ne soient pas satisfaisants en tant que parti, il ne faut pas perdre de vue que la Koutla reste la première force politique dans le pays. Par ailleurs, au sein de l'USFP, nous avons poussé dans le sens de la stratégie de majorité. Pour être plus clair, la participation au gouvernement ne veut pas dire un changement de position, mais dans un cadre consensuel, on peut arriver à des solutions de juste milieu.
Vous avez annoncé que vous ne briguerez aucun poste de responsabilité au 8e congrès. Qu'allez-vous faire alors après cette étape ?
Mon vœu est de devenir un militant de base. Je pense que dans un parti politique, les militants de base sont importants. Je ne me retirerai pas de la vie politique et je travaillerai pour faire gagner mon parti, voir sa base s'élargir, s'ouvrir sur les jeunes et sur les femmes et réussir les mutations. L'USFP a besoin d'une nouvelle lecture de son référentiel social-démocrate pour qu'elle puisse accueillir le plus grand nombre de jeunes marocains. Nous croyons que l'avenir de ces derniers se trouve dans notre projet de société. Ensuite, nous devons soutenir une réforme globale du parti, que ce soit au niveau de sa structure ou le comportement de ses responsables ainsi que ses rapports avec les citoyens.
Troisièmement, je pense que le parti doit discuter profondément son expérience durant les dix dernières années. Nous avons pris la responsabilité en tant que parti d'initier le pays à la politique de réconciliation en votant pour la Constitution de 1996 et en acceptant d'être à la tête du gouvernement d'alternance consensuelle. Je peux affirmer que Feu S.M. Hassan II nous a donné toute Sa confiance. Nous étions et nous sommes sur le bon chemin avec S.M. le Roi Mohammed VI qui est venu avec une nouvelle philosophie de gouvernance et un nouveau concept d'autorité. Ensuite, nous nous sommes engagés dans une nouvelle phase : celle du gouvernement de Driss Jettou dont nous avons critiqué la formule.
Nous avions estimé qu'il n'y avait aucune raison d'ignorer la méthodologie démocratique. S.M. le Roi a dit en 2005 que cette dernière sera respectée et nous sommes sereins de voir Abbas El Fassi à la tête du gouvernement. Notre congrès doit débattre de tout cela pour définir exactement notre ligne politique à adopter durant cette période. Je ne pense pas que la stratégie du militantisme démocratique, qu'est la nôtre depuis 1975, sera changée durant le prochain congrès. Toutefois, je ferai en sorte que la direction de l'USFP soit renouvelée comme je l'ai expliqué aux camarades au sein du Conseil national.
Ne pensez-vous pas que l'USFP doit revenir à l'opposition pour reconquérir la confiance des électeurs ?
J'ai parlé de cette option au Conseil national dans son avant-dernière réunion. Mais la question: est comment faire l'opposition et vis-à-vis de quoi et avec qui ? Le Conseil national a choisi de persévérer dans le choix de la participation au gouvernement.
Prenant conscience de cela, je ne peux imposer à mon parti une ligne politique pour la simple raison que je ne suis pas satisfait des résultats du dernier scrutin. Or, il ne faut pas oublier que les dernières élections ont souffert de l'utilisation de l'argent. Dans plusieurs circonscriptions, nous étions la victime de cette situation. Car les autorités locales, devant tous les défis et les sondages, avaient peur des résultats des législatives. Et ce contrairement à ce qui s'est passé aux élections de renouvellement du tiers des conseillers où le Conseil constitutionnel a invalidé l'élection de douze conseillers.
L'UNFP avait décidé de ne participer à aucun gouvernement… qui se rappelle aujourd'hui d'une telle formation politique? Il y a des partis qui ont opté uniquement pour l'opposition. Pensez-vous qu'ils ont pu avoir une place sous le soleil ?
Vous avez dit que vous ferez de sorte que soit renouvelée la direction. Mais par quel moyen allez-vous faire entendre votre voix ?
Je défendrai des idées et une façon d'agir. Je suis convaincu que le prochain premier secrétaire doit être élu par le congrès et je vais défendre cette option. Car nos camarades au Parti travailliste espagnol ont suivi cette voie et cela leur réussit bien. Dans le cadre de la refondation du parti, je défendrai un autre candidat.
Quant à moi, je ne me porterai pas candidat.
Qu'est-ce qui est arrivé au juste avec Mohamed El Gahs ?
Après sa démission, Mohamed El Gahs ne s'est jamais exprimé ni au BP ni au Conseil national. Tout ce qu'il a dit je l'ai appris par la presse.
Nous avons alors décidé de refuser sa démission. J'ai entamé des démarches et des discussions en présence de témoins pour qu'il retourne au BP, et c'est ce qu'il m'a promis de faire. Seulement, je lui ai laissé le choix de la date.
Je crois que le moment choisi est celui-là. Mohamed El Gahs doit reprendre ses responsabilités au BP et au Conseil national.
Pourquoi alors avoir opposé une fin de non-recevoir à M. El Gahs pour un portefeuille ministériel ?
Parce qu'il m'a été proposé par une autorité qui n'est pas l'USFP.
Ce n'est pas à quelqu'un d'autre de nous dire voilà l'USFP de mon choix et, d'ailleurs, si on ne l'avait pas proposé, je l'aurais fait.
C'était d'ailleurs la même chose lors de la formation du gouvernement Jettou...
Non, ce n'est pas vrai. Peut-être qu'il n'a pas été proposé par Abderrahman Youssoufi, mais je l'ai retenu.
Pourtant, vous avez accepté, initialement, Touria Jabrane au nom de l'USFP...
Ce n'est pas vrai. On nous a proposé Mohamed El Gahs et Touria Jabrane et j'ai refusé les deux. Pour ce qui est du département de l'immigration, il a été dit que l'USFP pouvait désigner la personne de son choix. Pour la Culture, on a insisté sur Touria Jabrane et j'ai refusé. Sur la liste finale du gouvernement, on a précisé qu'elle était sans étiquette politique.
L'USFP est connue pour son combat en faveur de la cause féminine. Comment expliquez-vous l'absence de femmes sur la liste des ministres socialistes ?
Je pense que les propositions qui nous ont été faites dans ce sens ont brouillé les pistes. De toutes les manières, il était prévu qu'on mette une femme à un poste ministériel, mais le département en question ne nous a finalement pas été attribué.
Vous, qui êtes les défenseurs de l'alternance au pouvoir, comment acceptez-vous un poste ministériel pour la troisième fois consécutive et d'être ministre pour quinze ans ?
Quand Sa Majesté le Roi a désigné Abbas El Fassi au poste de Premier ministre et qu'il l'a chargé de former un gouvernement, il était naturel que le premier responsable de l'USFP fasse partie de l'équipe gouvernementale.
Quitte à accepter un portefeuille sans missions précises ?
Ce n'est pas vrai. Le ministère d'Etat est un grand ministère et c'est un geste, un signe de Sa Majesté le Roi envers l'USFP. Le Conseil national a adopté la motion comme quoi l'USFP doit être traité non pas uniquement en fonction de ses résultats numériques, mais eu égard aussi à son poids politique.
Qu'est-ce que vous faites exactement au sein de ce ministère ?
Jusque-là, je mène mon rôle de ministre d'Etat conformément au programme que nous avons engagé en tant que gouvernement.
J'étudie toutes les questions qui se posent dans ce programme et je donne mon point de vue notamment lors du premier conseil de gouvernement. J'ai expliqué comment nous allons travailler au sein de ce gouvernement et quels sont les problèmes qui se posent à notre pays. J'assume parfaitement mon rôle de ministre d'Etat et, bien entendu, avec le même franc-parler parce que, moi, je suis au service du peuple marocain.
Justement, quel regard portez-vous sur le travail et l'évolution de ce nouveau gouvernement ? Y a-t-il une cohésion entre les formations qui le composent et existe-t-il des divergences concernant certains aspects de son travail ?
De la cohésion au temps de Driss Jettou ? Eh bien, beaucoup de gens disaient le contraire ! Ce qu'il y a, c'est qu'on a un gouvernement qui a la confiance de Sa Majesté le Roi, qui a la confiance du Parlement et qui a présenté un programme qui a été approuvé. Mais, comme nous sommes un gouvernement de coalition, chacun a quand même sa spécificité sur certaines questions. L'essentiel, c'est que la mission du Premier ministre est de coordonner les choses et, bien sûr, d'éclaircir les différends qui sont quelque chose de naturel entre membres du gouvernement. Une fois la mission et les attributions définies, à ce moment-là, il reste au Premier ministre de régler ces différends. Si ces derniers atteignent des degrés invraisemblables d'incompatibilité, à ce moment-là, chacun tire les conclusions qu'il faut. Mais, tant que ce gouvernement a une majorité qui le soutient, je pense qu'il fera son travail. Bien que, je l'ai dit d'ailleurs au Premier ministre, c'est un gouvernement qui ait été très bien accueilli et notamment par la presse.
Sinon, que pensez-vous de la nouvelle formule du ministère de l'Aménagement de l'espace et le problème des agences ?
Je trouve que c'est une bonne formule. Il faut, à mon avis, rendre justice à Abbas El Fassi. Ce dernier, au moment de la formation du gouvernement, on lui a dit que les agences de développement dépendraient du ministère de l'Aménagement et cela a été écrit noir sur blanc. Sinon, quel intérêt aurait-il à abandonner, lui, la tutelle de ces agences au profit d'un autre département ?! Je ne le vois pas.
Cela ne pose-t-il pas un problème de gestion et de bureaucratie ?
Dans les discussions qu'il a eues, on lui a fait savoir qu'il peut mettre ces agences sous la tutelle d'un autre ministère.
Qu'en est-il alors des revendications de la réforme constitutionnelle et des attributions du Premier ministre ?
S'il y a quelqu'un qui a posé cette question, c'est bien nous. Le premier mémorandum relatif à la question a été celui de l'USFP et de l'Istiqlal en octobre 1991 avec un autre mémorandum de la Koutla en 1992 et un troisième en 1996. Nous n'avons aucun complexe concernant ces réformes constitutionnelles, mais, évidemment, nous avons une position de principe : la réforme ne peut se faire sans consensus entre l'institution monarchique et les forces démocratiques. Je vous rappelle aussi le contenu du dernier discours du Trône et auquel beaucoup de gens n'ont pas prêté, peut-être, l'intérêt qu'il fallait.
Comment Sa Majesté le Roi y a-t-il qualifié la monarchie au Maroc? Il l'avait qualifié de monarchie non exécutive, non législative et non judiciaire. Si la réforme que nous voulons, nous. Du moment que Sa Majesté le Roi a tracé la voie, la réforme constitutionnelle était donc à l'ordre du jour.
Sa Majesté le Roi s'est montré, à maintes reprises, plus progressiste que les partis politiques. Cela n'affaiblit-il pas ces derniers ?
Si c'est le contraire qui s'était passé, cela nous aurait effrayé. Mais, le fait que Sa Majesté le Roi, dans ses discours, tranche des questions pour lesquelles nous avons milité depuis longtemps, cela me rassure complètement et non le contraire. Ce qui aurait pu nous effrayer c'est le cas où le chef de l'Etat n'accepterait pas le modernisme, la démocratie, les libertés et la participation des partis politiques. Grâce à Dieu, ce n'est pas le cas. N'oubliez jamais qu'au début de l'Indépendance il y avait une divergence de fond : feu Hassan II avait une théorie stipulant que l'Etat doit se construire en dehors des partis politiques et qu'il fallait aller vers la démocratie avec beaucoup de précautions. Le projet sociétal auquel appelle Sa Majesté le Roi Mohammed VI me rassure parfaitement et cela nous réconforte dans notre combat pendant de longues années. Cela nous donne raison.
Juste après la formation du gouvernement, vous avez brandi l'option du soutien et votre groupe parlementaire a appliqué la consigne à la lettre lors de la discussion de la loi de Finances. Est-ce qu'il y a un plafond pour cette option et est-ce que cela ne risquerait pas de déboucher éventuellement sur une crise ?
Le communiqué du Bureau politique était conjoncturel comme nous sortons un chaque semaine. Après, j'ai expliqué à la presse ce que j'ai appelé la participation critique et non pas le soutien critique. Cela existe dans toutes les démocraties où il y a des coalitions et chaque jour, par exemple, on se demande si Prodi va avoir, ou non, la voix qui lui manque. Notre groupe parlementaire a bien appliqué précisément le concept véritable de cette participation critique. Il a fait des amendements non pas pour pénaliser le ministre des Finances, mais c'était une conviction chez nous compte tenu de notre programme et de notre engagement à ce que notre groupe parlementaire ne soit pas une chambre d'enregistrement. Nous voulons que ce groupe soit crédible et qu'il emplisse la place. Qu'il ne laisse pas le vide dans le Parlement.
Le ministre des Finances était venu avec d'autres propositions qui tiennent compte de leurs observations et, finalement, tout le monde a voté la loi de Finances. Pour les impôts, il était question pour les banques et les grandes entreprises de baisser l'impôt à 35 % et nous avons refusé cela. Mais, il n'y a pas de plafond à cette participation critique. C'est la procédure idéale dans les pays démocratiques. Nous sommes dans la majorité, nous sommes solidaires au sein du gouvernement, mais, évidemment, nous gardons une liberté de notre parti concernant quelques questions. Pour l'impôt, nous avons accepté qu'il soit baissé pour les petites et moyennes entreprises. Nous avons même proposé des chiffres inférieurs à cela. Ce que nous avons critiqué, par contre, c'est la baisse proposée pour les banques. Il y a eu finalement la proposition du ministre des Finances qui a réglé le problème de manière partielle pour le moment et l'année prochaine lorsqu'on discutera du budget.
Le fait que vous ne soyez plus membre influent au sein de votre parti ne risquerait-il pas de se répercuter sur votre position au sein du gouvernement ?
Si vous qui dites que je ne suis pas un membre influent ! L'influence n'est pas toujours liée à une responsabilité formelle. La question devrait être posée par nos alliés, mais personne ne l'a fait jusque-là. Nous avons participé au gouvernement avec cinq ministres de l'USFP et nous demeurons ces cinq ministres socialistes. Et, même en qualité de simple militant de base, je serai toujours au gouvernement si le parti décide d'y rester.
Pour revenir à l'USFP, pourquoi n'avez-vous pas agi comme Abdelouahed Radi en vous retirant de la direction, mais en restant au sein du Bureau politique ?
Parce que j'ai une conviction : la direction collégiale n'est pas un choix pertinent. La direction collégiale, c'est de l'immobilisme et c'est de l'incapacité de prendre des décisions. J'ai évoqué dans ce sens l'expérience de cette direction collégiale par le passé. Elle n'a pas réussi et, pour l'avenir, je ne crois pas qu'elle marcherait. De ce fait, je ne pouvais cautionner la formule de la direction collégiale. La solution était d'en discuter au sein du Conseil national.
Pour un aspect purement pratique, qui représentera l'USFP, par exemple, lors de consultations avec sa Majesté le Roi, des éventuelles réunions de la Koutla ou de la majorité ?
C'est Sa Majesté qui inviterait qui il veut. Pour la Koutla, nous avons un secrétariat de six personnes dont je faisais partie. Donc, si la Koutla se réunit, nous allons être ensemble.
Pourquoi avez-vous adhéré au choix de Abbas El Fassi pour refuser des postes ministériels à ceux qui ont perdu les élections et quitte à sacrifier quelqu'un de très proche de vous comme Driss Lachgar ?
D'abord, il faut savoir que cette décision de ne pas désigner de ministres parmi les personnes qui ont perdu les élections est une décision de Sa Majesté le Roi qui en avait informé Abbas El Fassi. Ce dernier est venu me voir et je lui ai dit que pour nous, à l'USFP, nous n'étions pas contre cette méthodologie. Ensuite, il s'était présenté devant le Comité exécutif de l'Istiqlal et c'est là qu'il a été sévèrement pris à parti. Il en a référé de nouveau à Sa Majesté le Roi qui a réaffirmé qu'il n'y aura pas de responsable ayant perdu les élections. « Moi, j'ai respecté la méthodologie démocratique et vous devez en faire de même en tant que partis politiques », lui a répondu le Roi. Ce n'est pas une décision de Abbas El Fassi.
Pour revenir à l'USFP, beaucoup considèrent que l'initiative d'ouverture était un fiasco. Qu'en dites ? Est-ce que vous poursuivez toujours le rêve d'un grand parti de la gauche ?
L'ouverture a été décidée par notre parti et, parmi les cadres, je crois que c'était une réussite. Mais, au niveau des structures régionales, provinciales et locales, cela n'a pas toujours été suivi. On a gagné beaucoup de cadres et beaucoup n'ont pas demandé, par exemple, à se présenter aux élections ou quelque chose de ce genre.
Au contraire, beaucoup d'entre eux sont venus participer avec nous au programme du parti, aux réflexions qu'on engagées à cette occasion et je pense que le parti doit continuer cette politique, analyser les difficultés qu'elle a rencontrées et convaincre, surtout, les militants que c'est la seule voie pour permettre à du sang nouveau et valable d'intégrer ce parti. Pour ce qui est des pôles, nous sommes déjà le pôle social-démocrate et ce dernier doit regrouper toutes les forces de progrès dans ce pays. Maintenant, s'il y a un pôle de droite. Nous, nous sommes le pôle de gauche.
Evidemment, cela dépendra de la volonté des Usfpéistes d'engager la refondation de leur parti et de définir une ligne politique acceptable par l'opinion publique et les forces de progrès et, puis, cela dépendra également de notre capacité à regrouper la famille socialiste. Comme vous le savez, avant de quitter la direction, j'ai lancé un appel important : celui de l'unité, soit l'unité au sein d'un seul parti, soit l'unité de combat. Nos camarades du PSD ont décidé la dissolution de leur parti et ils ont intégré l'USFP, ce qui est un apport important et énorme pour notre parti. Maintenant que chacun a fait son expérience, dans la famille socialiste, il faut discuter pour constituer ce grand parti socialiste et ce pôle essentiel qui permettra à la gauche d'avoir son poids dans le pays et d'influer toutes les transformations que connaît le Maroc.
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Sur la question du Sahara
Comment évaluez-vous actuellement le dossier du Sahara ?Je crois que le Maroc a fait un geste très important qui ne touche pas uniquement le règlement de l'affaire du Sahara, mais également pour permettre au pays l'enracinement de la démocratie. L'autonomie au Sahara, cela veut dire qu'on ouvre des perspectives pour les séparatistes d'intégrer le pays et permettre à tous les réfugiés de rentrer chez eux et donc de participer à la construction de cette région. Deuxièmement, cela veut dire que l'Etat marocain, qui est un Etat centralisé, va devenir un Etat décentralisé. Ce qui l'amènera à s'engager dans cette décentralisation très importante qui a déjà commencé, mais qui est encore timide. Bien entendu, j'aurais souhaité que l'Algérie jouerait un rôle positif dans cette affaire.
Qu'elle pousse et qu'elle encourage les séparatistes à aller dans le sens de cette solution quitte à discuter les détails. Le Maroc ne propose pas un plan d'autonomie en disant que c'était à prendre ou à laisser. Comme l'a dit le chef de la délégation marocaine, c'est un plan que nous acceptons de discuter dans les détails : la formule de l'Exécutif, du Parlement local, des responsabilités… cela aurait pu d'abord régler le problème des Sahraouis parce que la situation dramatique dans laquelle vivent les réfugiés est inacceptable surtout que l'Algérie, qui a un trésor de plus de 100 milliards de dollars, ne dépense pas une seule pièce pour ces populations.
Elle peut donner de l'argent pour la diplomatie, pour le polisario à l'extérieur, pour recevoir les invités, mais, pour les réfugiés, il faut qu'ils aillent quémander. C'est une sorte de mendicité internationale. Ils ont, bien entendu, le soutien des organisations humanitaires en Espagne, en Italie, en Suède et ailleurs, mais, malgré cela, les gens vivent difficilement. Alors, il est impensable et inhumain de laisser ces gens-là vivre comme ils le font. On est à la troisième phase et on va aller vers une quatrième phase de négociations et je pense que, à ce moment-là, il faut que les grandes puissances puissent convaincre et l'Algérie et les séparatistes de ne pas rester dans l'impasse.
Ne peut-on pas parler de régression du rôle de l'USFP dans cette affaire et, par exemple, lors de la crise avec le parti socialiste sénégalais ?
D'abord, je tiens à préciser que nous ne vivons pas de régression dans notre rôle. Peut-être que nous avons des difficultés. Si ce parti sénégalais dispose de quelque force, c'est qu'il est fidèle à ses valeurs et principes et travaille à ce qu'il soit au cœur des réformes et des changements. Pour ce qui est de notre passage de l'opposition au gouvernement, cela est un autre sujet. Pour le Sahara, nous remplissons notre rôle. L'USFP est à l'intérieur du gouvernement. Il donne son avis et formule ses remarques. Quand le plan d'autonomie a été posé, nous avons soumis un mémorandum à Sa Majesté le Roi en tant que partis de la Koutla et nous y avons éclairci quelques points.
Ensuite, en tant que parti politique, nous n'avons jamais déserté le terrain. En tant que premier secrétaire de l'USFP, j'ai pris part à de nombreuses délégations officielles auprès de chefs d'Etat, de ministres des Affaires étrangères ou de parlementaires. Nous ne restons pas les bras croisés. En tant aussi que parti politique, nous disposons d'un cadre important qui est l'Internationale socialiste. N'oublions pas que, malgré la volonté de plusieurs partis comme le parti socialiste suédois, norvégien ou suisse, ces derniers n'ont pas pris position contre le Maroc au sein de l'Internationale socialiste. Comme partis, pris de manière isolée, c'est possible et c'est le cas, dernièrement de l'ANC. Pour ce qui est du parti sénégalais, il vivait, lors des dernières années, une sorte de gestation à propos de cette affaire. Au Sénégal, il ne faut pas oublier que le parti qui soutenait le Maroc était le parti socialiste avec Senghor, puis Abdou Diouf.
Quand Abdoulaye Wade a été élu à la présidence du Sénégal, et au vu des relations construites avec ce pays et un traitement fraternel empreint de camaraderie et un soutien à ce pays pour faire face à ses difficultés malgré la faiblesse de nos moyens, le parti au pouvoir est devenu l'un des défenseurs du Maroc. Le parti socialiste sénégalais se trouve aujourd'hui dans l'opposition et ses espoirs ont été déçus lors des dernières élections. J'ai ouvert un dialogue avec son secrétaire général car nous avons remarqué lors de quelques réunions, et notamment au sein de la commission africaine de l'Internationale socialiste, que le discours du délégué du Sénégal était empreint d'une certaine ambiguïté. J'ai envoyé un mémorandum au secrétaire général de ce parti depuis longtemps et j'en ai envoyé un deuxième au sujet du plan d'autonomie.
Par la suite, je n'ai su ce qui s'était passé qu'une fois aux Lieux Saints et j'ai appris la crise qui a résulté de la présence de la délégation du parti socialiste sénégalais à Tifarity. Lors de mon absence, il y a eu des contacts entre le groupe parlementaire de l'USFP et ce parti pour clarifier les choses. C'est un parti avec lequel nous allons maintenir le dialogue et les contacts car plusieurs partis, membres de l'Internationale socialiste, ne soutenaient pas le Maroc et certains le faisaient mais ne pouvaient pousser toute l'organisation dans ce sens. Il y a encore des gens qu'il faut convaincre et avec qui il faut toujours maintenir le dialogue et c'est ce que nous faisons de manière permanente.
Et avec le polisario ?
Dans le passé, il y avait un dialogue avec des membres de la direction du polisario. Nous avons été les premiers à ouvrir un dialogue avec Omar El Hadrami pour le convaincre que la voie du séparatisme conduisait à une impasse. Personnellement, j'ai contacté bon nombre de dirigeants du polisario pour qu'ils reviennent au Maroc. La situation que vivent les populations à Tindouf est très difficile. Ils vivent sur le territoire d'un autre pays qui finance… Je souhaite que la direction du polisario se libère aussi de cette situation.