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La crise et après ?

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Le livre que Jacques Attali, tout à sa fécondité, a publié il y a quelques semaines, au titre quasi provocateur «La crise et après ?» est décidément devenu un livre fétiche. Les libraires marocains, peu habitués à un tel engouement, sont harcelés de demandes et de sollicitations. Ce qui démontre le vieux principe que l'économie c'est la rareté, celle-ci justifiant l'intérêt du produit et éventuellement la cherté de celui-ci. Le livre tombe à point nommé, opportunément parce que la crise financière et économique mondiale continue d'alimenter un débat intense, à la fois dans les chaumières, les bureaux et les usines.

Or, les langues ne cessent de se délier au Maroc sur la thématique de la crise. D'aucuns ne semblent guère s'accommoder de l'absence de crise sur notre économie, estimant que celle-ci reste si dépendante, si intégrée et consubstantiellement au réseau international pour ne pas subir les retombées. D'autres en revanche, sacrifiant à une rhétorique où transpire un optimisme de bon aloi, soutiennent que le Maroc résiste aux bourrasques, du fait de son système endogène qui a un effet protecteur.

C'est donc une vision manichéenne qui est à l'œuvre. Elle fait déferler des analyses antinomiques, d'autant plus opposées qu'il n'est pas nécessaire de l'adopter. Car les deux positions se trouvent en fin de compte justifiées. Le Directeur des études et des prévisions financières (DEPF), Mohamed Chafiki, estime que «les réformes que le Maroc a mises en œuvre pendant les dernières années nous ont préparés à mieux résister à la crise économique mondiale». Son optimisme est toutefois vite nuancé et tempéré, parce qu'il affirme ensuite «que l'impact est certes global, mais différencié». La réforme est ainsi le pilier, le socle de protection et de croissance. Cela dit, il rappelle deux éléments essentiels à ses yeux, sans lesquels il ne saurait y avoir de réforme: la confiance des opérateurs et la mission de l'Etat. Celui-ci, sans pour autant sacrifier à cette image caricaturale de «Léviathan» proposée par Thomas Hobbes, reste le seul rempart et, comme la crise actuelle en témoigne, la seule forteresse inexpugnable contre les dérives. Encore faut-il lui laisser les coudées franches pour réguler et restructurer.

La crise que le monde traverse de nos jours est une crise majeure, historique. Financière au départ, elle est devenue économique ensuite et aujourd'hui sociale. Elle frappe de plein fouet les programmes environnementaux et la confiance de toutes et de tous. Sans doute, est-elle la pire de l'histoire de l'humanité, parce que la télévision et l'effet de contagion aidant, elle n'épargne aucun secteur.

Ils ont tort ceux qui, en Occident notamment, croient la limiter et la forclore à des «subprimes», aux dérapages des marchés asiatiques et à la bulle Internet. Comme si l'on s'attaquait à ceux qui ont seuls profité du système et comme si on épargnait le système lui-même, basé sur une désastreuse course au profit et une logique du «bénéfice immédiat». L'Etat pourvoyeur a vu son rôle critiqué et sa mission démantelée pendant des années au profit des tenants du «moins d'Etat» et du libéralisme à tous vents. Aujourd'hui encore, ceux qui en appellent à l'intervention de l'Etat pour une même régulation croient lui tracer les limites aussitôt que la crise financière et économique sera surmontée. L'Etat intervient, certes, mais devrait se retirer du champ de profit après la crise.

C'est ce que certains décrivent comme une tentation de «socialiser les pertes avant de privatiser les bénéfices» ! Tout se passe comme si le système financier, les marchés des capitaux continuaient à bénéficier d'une immunité à toute épreuve. Il ne faut tout de même pas se tromper de méthodes. C'est sous un gouvernement de transition socialiste -celui de Abderrahmane El Youssoufi- que le plus gros des privatisations a été réalisé dans notre pays, que le vent du libéralisme dogmatique a soufflé fort et profondément. C'est encore un ministre des Finances socialiste qui a poussé sur des chapeaux de roues le développement des marchés et de la Bourse, donnant libre cours à ce qu'on appelle la «dérégulation sauvage», à quelques tripatouillages qui ont coûté, on a beau le nier, leurs carrières à certains responsables à la tête de la Bourse et du CDVM. Si le marché boursier marocain avait eu le malheur d'être un peu plus significatif, autrement dit un peu plus gros en volume et fluide en transactions, nous n'en serions pas là, «protégés», à l'abri de la tempête parce que les spéculateurs – ceux-là même qui ont retiré leurs billets après le mini- scandale de septembre dernier – n'ont jamais cessé de rôder autour de notre modeste Bourse.

On en vient au postulat suivant: la crise est internationale, ses retombées et la gestion de celles-ci ne sauraient, en revanche, n'être que nationales. La confiance préservée des opérateurs, le langage ressassé de cette même confiance sont nécessaires mais peu suffisants pour nous faire épargner quelques conséquences. Les secteurs du textile, de l'automobile, du tourisme et les transferts des MRE constituent aujourd'hui les handicaps majeurs qui, quelque part, montrent, en même temps qu'une dépendance accentuée, la fragilité de notre économie. Si le secteur du bâtiment et de l'immobilier en Espagne connaît sa plus grande récession, mettant au chômage des dizaines de milliers de travailleurs, il ne faut guère oublier que parmi ces derniers, il existe des Marocains qui avaient l'habitude de transférer une grande partie de leur argent à leurs familles au Maroc.

La crise les empêcherait-elle de continuer à le faire? Le Comité de veille stratégique mis en place pour accompagner les entreprises est une option majeure. Cependant, il serait également bien inspiré à se pencher sur le cas –quand bien il ne serait pas imminent ni très urgent– du statut de contributeur des travailleurs marocains à l'étranger. L'Etat régulateur et harmonisateur devrait donc reprendre ses droits et la réforme, en effet, être son arme absolue. Rien ne remplacera une telle éthique. Alors la crise serait mieux profilée, mieux ciblée et combattue.
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