Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

Une pédagogie de la crise

No Image
Chaque jour que Dieu fait, d'interminables images se succèdent pour nous décrire les effets contradictoires de la crise financière et économique mondiale. Les usines automobiles qui ferment aux Etats-Unis, au Japon et en Corée, une envolée de chômage spectaculaire sans précédent, des plans de sauvetage qui se succèdent, s'annoncent et se modifient du jour au lendemain, bref, une chape d'inquiétude sans commune mesure qui est jetée sur la face du monde. Sans espoir autre que l'attente et l'expectative, sans autre perspective que la rigueur la plus extrême. Dans cette crise qui a fait déjà ses graves premières victimes, à commencer par ceux qui ont perdu leurs fortunes, l'opinion publique ne réussit pourtant pas à faire la part réelle des choses. Elle reste totalement incompréhensible et quasi imperceptible pour certains, pour lesquels la « lingua economica », façonnée à coups de jargons, demeure un mystère impénétrable.

La question est lancinante : comment le monde en est-il arrivé à cette situation ? Pourquoi le système auquel se sont identifiées pendant des décennies entières des générations d'hommes et de femmes s'est-il effondré pendant le laps de trois à quatre semaines ? La technologie, surtout celle qui s'est emparée comme un messie des places financières sans exceptions, vantant la bourse, les marchés financiers et le capitalisme nouveau, nous rattraperait-elle aussi facilement et prendrait-elle sa revanche parce que nous en avons abusé ? Est-il vrai que la crise la plus grave de l'histoire de l'humanité-elle dépasserait en gravité celle de 1929 -, a pour origine une simple perfidie : les «subprimes», ce que les spécialistes dénomment «produits toxiques», caractérisée par le surendettement des classes moyennes américaines pour financer l'acquisition de leurs logements ? Si cette hypothèse conserve une valeur chez les experts économiques, tentés d'en faire la seule explication à une tragédie annoncée à l'échelle planétaire, alors c'en est fini de notre destin. Nous serions, donc, autrement dit l'humanité entière de quelque 6 milliards sur terre, serait dépendante d'un dérisoire anachronisme qui se réduit au statut social des classes moyennes des Etats-Unis. La trappe financière à fait plonger ses prestidigitateurs et ses adeptes, mais elle a surtout remis en cause le dogme qui est demeuré inscrit sur le fronton de l'humanité : l'illusion partagée du gain.

On s'est d'autant plus fié au marché, on n'a cessé de louer pendant des années ses bienfaits et ses vertus, on en a fait une arme politique et idéologique-notamment contre les systèmes collectivistes et communistes-, que même ceux qui se réclament du socialisme en ont épousé les idéaux et le profit aviné. Economie de marché ou société de marché ? Cette querelle de chapelle et de puristes, mettant face à face les dogmatiques du libéralisme et ceux du social-libéralisme, n'est en vérité qu'un trompe-l'œil. On conviendra que la notion de marché, qui a gagné tous les esprits, devrait impliquer une judicieuse répartition des richesses. Ce qui suppose une capacité de régulation et de réglementation à tous les niveaux.

 La régulation, conduite par l'Etat, s'appuie notamment sur une volonté politique qui met davantage en avant la priorité d'une juste répartition des ressources-et des fruits de la croissance- et de l'éradication des obstacles, dont la fraude et la manipulation. Jusqu'ici, aucun garde-fou n'a pu être imaginé contre la folie des spéculations et des opérations frauduleuses qui ont conduit à l'émergence-à la barbe des Etats- de gros manipulateurs comme Madof et ses modèles un peu partout. Comment y faire face ? La solution ne tombe pas d'elle-même, les Etats n'ont d'autre choix que de reprendre ce qui leur a constamment appartenu, à savoir le contrôle, le pouvoir de légiférer et de surveiller les mécanismes de l'évolution économique et financière dans les règles strictes de droit.

Il est nécessaire, et la communauté mondiale n'a pas d'autre choix, de rétablir le droit de regard de l'Etat, seul entre autres susceptibles de mettre un frein aux dérives des systèmes financiers et des marchés des capitaux. L'Etat, qui incarne la stabilité des nations, le fonctionnement régulier des institutions et de la société, qui est aussi porteur du projet démocratique d'égalité et de progrès, est également source de justice. Mieux encore : de justice sociale et économique. La crise actuelle se caractérise, entre parenthèses, par la perte aggravée des droits économiques de millions de citoyens, victimes du surendettement, du chômage et de la perte du pouvoir d'achat. Leur statut social change du jour au lendemain, leurs plans de carrière et d'existence se volatilisent. Seule une nouvelle gouvernance des systèmes financiers est en mesure d'apporter une partie de la réponse aux attentes angoissées d'aujourd'hui. Autrement dit, en dehors et même contre les tenants du capitalisme, il est nécessaire de moraliser ce dernier, de mettre en place des mécanismes de prévoyance, les limites et les « border line ».

Quitte à heurter les puristes du « privé pour le privé », du « libéral pour le libéral », l'Etat doit être à même d'intervenir, de remettre les choses à leur place. Cette vertu appartient à l'Etat et à lui seul et la crise actuelle démontre chaque jour la probité et la pertinence d'un tel impératif. Parce que face au désastre, dépouillés et même livrés à eux-mêmes, les citoyens, qu'ils soient épargnants ou non, sont aussi désarmés et n'ont que l'Etat et l'autorité publique pour les défendre. La crise d'aujourd'hui peut, en revanche, se révéler comme une pédagogie, une sorte de retour aux sources et aux origines de l'Homme : sobriété, simplicité et une éthique de solidarité qui incite à davantage de sagesse qu'au fol réflexe compulsif d'achat et d'enrichissement. Le monde n'a-t-il pas besoin d'une pédagogie de la crise ?
Lisez nos e-Papers