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«Sahara : Peu de progrès depuis ….trois décennies»

«Sahara : Peu de progrès depuis ….trois décennies»
A 72 ans, le président Bouteflika, qui prêtera dans les prochains jours serment devant le peuple algérien, devrait sans doute réfléchir à la dernière phrase de ce serment : «je m'engage à œuvrer de toutes mes forces à la réalisation des grands idéaux de justice, de liberté et de paix dans le monde. Dieu en est témoin». Phrase lourde de sens et de responsabilité morale pour un homme qui, certes, a permis un début de réconciliation nationale et le lancement de grands programmes d'infrastructures dans son pays, mais dont l'un des points faibles reste sa diplomatie. L'un de ses ministres, M. Rahhabi avait mis le doigt sur la plaie en déclarant : « Bouteflika président, dit-il, est resté ministre des Affaires étrangères, mais ministre des années révolues.

Quand il est revenu en 1999 après une longue traversée du désert, le monde avait complètement changé, la diplomatie algérienne avait déjà d'autres priorités, celles de la nouvelle époque. Mais lui, il n'avait plus de rapport au temps réel ». Ce temps réel passe aujourd'hui par la résolution du conflit du Sahara, l'un des plus vieux au monde devenu un abcès qui, aujourd'hui lentement et sûrement, est en train de créer une zone grise de terrorisme dans toute la région du Sahel marquée par les kidnappings de touristes ou les trafics d'armes et de drogues. Une situation qu'avait dénoncée Louisa Hannoun, candidate à l'élection présidentielle secrétaire générale du Parti des travailleurs algériens et députée à l'Assemblée populaire nationale algérienne qui avait déclaré lors du caongrès du PTA que «la solution du Sahara se trouve au sein d'un Maroc uni et dans le cadre d'un Maghreb uni. Le PTA est contre tout émiettement des pays maghrébins».

Au lieu de faire circuler ces groupuscules, la grande question d'aujourd'hui, c'est incontestablement la remise en circulation transversale du Maghreb, de sa mémoire historique, de ses savoirs culturels, de ses solidarités et c'est là le vrai défi d'une région paralysée par un conflit qui n'aura que trop duré et sur lequel revient le professeur Abdelmoughit Benmassaoud Trédano, un observateur averti de cette question, directeur du Centre de recherche et d'études en sciences sociales qui vient de publier «La question du Sahara, histoire d'une décolonisation pas comme les autres : repères historiques, décolonisation et autonomie».
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LE MATIN : Depuis 33 ans, le conflit du Sahara qui oppose l'Algérie au Maroc est en passe de devenir l'un des plus anciens au monde, obérant le développement de toute une région. Comment expliquer ce qui s'est transformé en une véritable impasse ?

ABDELMOUGHIT BENMESSAOUD TREDANO :
La question saharienne est là depuis maintenant plus de trente trois ans. Ce conflit artificiel, après les questions palestinienne, chypriote et du Cachemire, est effectivement l'un des plus vieux au monde. Cette longévité est due en partie à sa complexité mais surtout à l'intervention directe du voisin algérien.Il est grand temps aujourd'hui d'essayer de se poser toutes les questions qui expliquent la centralité et la permanence de ce conflit dans la région maghrébine…Pour cela un travail de pédagogie est nécessaire. Il faut certes inscrire le conflit dans le cadre du long processus de décolonisation conduit par l'ONU en évitant cependant les nombreuses confusions qui ont été commises quant à l'applicabilité et la hiérarchie devant exister entre deux principes fondamentaux ayant présidé à la décolonisation, en l'occurrence le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'intégrité territoriale des Etats.

Ce sont précisément ces deux principes de base, le droit des peuples et l'intégrité territoriale qui opposent le Maroc et l'Algérie ?

En fait, il n'y a pas d'opposition. Il y a une résolution que personne ne cite et qui a toute son importance c'est la résolution 1541 du 15 Décembre 1960.Que dit cette résolution ? Un peuple colonisé est censé avoir exercé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans trois situations. La première situation, c'est lorsqu'il intègre un état indépendant, la seconde, lorsqu'il intègre un état dans le cadre d'une fédération et la troisième, et ce n'est qu'un cas parmi les autres, lorsqu'il devient indépendant. Deux cas sur trois donnent lieu, vous le voyez à une intégration.

Qu'en concluez-vous en tant que juriste ?

Que le droit des peuples ne signifie pas systématiquement et automatiquement l'indépendance. Quelle est la signification du droit des peuples ? Lorsqu'il y a colonie, la puissance demande l'avis de la population. L'Espagne aurait pu le faire avant 1975. Après le statut a changé, le Maroc a décliné à la Cour internationale de justice un argumentaire historique et juridique qui au nom de l'intégrité territoriale justifiait des droits sur le Sahara. Le Maroc a achevé son intégrité territoriale par étape, récupérant ainsi Tanger en 1957, Tarfaya en 1958, Ifni en 1969 et le Sahara en 1975. Il y a eu des opportunités historiques à deux périodes historiques différentes 1958-1959 que le Maroc n'a pas saisies : je pense à la libération du Sahara par l'armée de libération nationale du Sud et à la période 1969-1973 où des jeunes marocains, futurs fondateurs du polisario se sont présentés à l'Etat marocain et aux partis politiques d'opposition demandant de l'aide pour entamer la libération du Sahara, sans qu'ils soient entendus. L'Etat marocain n'a rien fait pour des raisons qui peuvent être discutées mais qu'il faudrait remettre dans le contexte de l'époque : l'Etat n'a pas pu, ou su ou voulu prendre des initiatives audacieuses parce qu'il n'avait pas de moyens suffisants ou parce qu'il ne pouvait conduire une véritable action de libération nationale.

Il y a eu aussi d'autres opportunités qui n'ont pas produit les résultats escomptés, du moins pour le Maroc ?

Au niveau diplomatique, notamment auprès de l'ONU, le Maroc a laissé passer une résolution, entre 1965 et 1966, séparant le sort d'Ifni du Sahara ; en 1965, le sort des deux territoires était lié mais une année plus tard, une résolution de l'Organisation des Nations unies préconisait deux approches différentes. Pour Ifni : l'Assemblée générale recommandait à l'Espagne des négociations avec le Maroc quant au Sahara, elle préconisait la formule de décolonisation du territoire.Il semble qu'il ne s'agit pas d'erreur diplomatique mais d'une décision prise de commun accord par l'Espagne et le Maroc en vue de faciliter la décolonisation des deux territoires mais par étapes successives. En effet dans la résolution 2072 de 1965, l'Espagne est invitée à entrer en négociation avec le Maroc pour la rétrocession d'Ifni et du Sahara occidental;il y a dans ce texte une triple identification. : la puissance coloniale, le pays qui revendique et le territoire faisant l'objet de cette revendication. En revanche en 1966, en vertu de la résolution 2229, il est proposé la négociation entre le Maroc et l'Espagne pour Ifni et la décolonisation pour le Sahara occidental qui préconise le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Y a-t-il d'autres pays dans le monde qui ont récupéré dans le cadre de l'intégrité territoriale des territoires ?

L'Inde, indépendante fin 1948 a récupéré un petit territoire Goa au début des années 60, La Chine a négocié et récupéré Hong Kong et Macao fin des années 90. Il y a l'exemple de Mayotte qui est un contre exemple significatif, vous avez vu les derniers résultats du référendum qui font de Mayotte le 101 département français. Dans notre contexte régional il ne faut pas oublier que la France qui occupait l'Algérie avait tout à fait intérêt à agrandir son territoire au détriment du Maroc. Un ministre français du nom de Le Vivien a déclaré, il y a quelques années de cela qu'il y avait un traité entre son pays et la Grande Bretagne relatif à ‘l'intégrité territoriale du Maroc. Après cette déclaration, il y eut un tollé du gouvernement algérien. .

Le voisinage algérien est dites vous impraticable et aujourd'hui il n'y a pas de possibilité d'un dépassement réel du blocage actuel ?

Pour la seule dernière décennie, il y a eu plusieurs options proposées. Celle appelée la troisième voie ou solution politique que le Secrétaire général de l'ONU avait proposée en juin 2001, pour approbation par les parties concernées. Le Maroc y avait adhéré, l'Algérie quant à elle avait exprimé ses critiques les plus fermes.Le plan Baker II est venu en 2003-04 pour réinstaller la région dans l'impasse totale.Durant l'année 2005 en invitant les parties, d'une manière implicite, à adhérer à une solution politique, certaines puissances se sont convaincues que le référendum tel qu'il était conçu dans le plan de règlement de l'ONU (1988) ne pouvait qu'être source de déstabilisation.Après plus d'une année de gestation, en avril 2007, le Maroc propose à l'ONU une formule d'autonomie au territoire saharien. Solution que refuse l'Algérie. Depuis, quatre rounds (Juillet 2007 – Mars 2008) de contacts ont eu lieu entre le Maroc et le polisario sous l'égide de l'ONU avec la participation de la Mauritanie et de l'Algérie, pour trouver une voie vers une solution définitive de la question saharienne et cela sans aucun résultat. Toutefois, le mois d'avril 2008 a constitué dans l'histoire de la médiation onusienne dans ce dossier, un véritable tournant;en effet, dans une réunion à huis clos du Conseil de sécurité organisée le 21 avril 2008,
Peter van Walsum, le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU dans
le conflit portant sur le territoire saharien, est sorti de la langue de bois habituelle dans les organisations internationales. Il a estimé, sur la base d'un argumentaire convaincant, que l'indépendance dudit territoire n'était pas, à ses yeux, «un objectif atteignable». La déclaration de Peter van Walsum, n'a pas laissé l'Algérie indifférente. Loin s'en faut. Et comme à l'accoutumée, les dirigeants algériens sortent les grands moyens pour bloquer le processus; un tollé est organisé contre lui par l'Algérie et le polisario sous prétexte que le diplomate onusien est sorti de sa neutralité. Et le résultat ne se fait pas attendre. Même si au départ,l'ONU a soutenu sa démarche, son départ n'était qu'une question de temps. On ne connaït que trop la capacité de nuisance de l'Algérie.
En effet, quelques mois plus tard, en août 2008, ledit représentant partait. Mais ce qui ressort de cette période de vacance de médiation c'est que beaucoup d'observateurs estiment que le nouveau représentant du Secrétaire général, en l'occurrence Christopher Ross, ne doit pas revenir au point de départ c'est-à-dire soutenir la thèse du référendum et de l'hypothèse de l'indépendance ;d'ailleurs, il semble que le Maroc a lié l'acceptation dudit représentant à la nécessité de donner une suite aux progrès réalisés dans la médiation onusienne.Il n'en demeure pas moins, et ce malgré l'adhésion créée autour de la proposition marocaine et le soutien presque unanime de la communauté internationale, que le départ du diplomate onusien a réinstallé, à nouveau, la région dans l'expectative.

Médiation ou non, l'impression qui résulte après 33 années d'enlisement c'est que toute proposition faite par le Maroc est rejetée ?

Il ne s'agit pas seulement de propositions déclinées par le Maroc. Salah Dembri qui est un haut responsable du ministère algérien des Affaires étrangères avait suggéré il y a une décennie de cela au Maroc de négocier avec le polisario dans le cadre de l'autonomie. L'entretien avait été publié dans le journal l'Opinion. Quand le Maroc a proposé le plan d'autonomie, les algériens ont tout rejeté . La seule proposition qu'il retiennent est celle de l'autodétermination, celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'indépendance bien sûr.

Est-ce à dire que le Maghreb est condamné à l'immobilisme pour des décennies encore ?

Personne ne peut afirmer que le pouvoir algérien peut résister à l'évolution observée au niveau régional et international. Les autres composantes du Maghreb ne peuvent continuer, non plus, à ignorer les profondes mutations que connaît la rive nord de la Méditerranée. Ensuite, on peut soutenir qu'il y a un espoir parce que certaines puissances, les Etats Unis en tête, ont un intérêt certain à pacifier la région. Le soutien américain, par le biais de l'exécutif et de son institution législative, 170 parlementaires à la proposition marocaine n'est pas chose marginale.

Quelles sont les raisons qui font durer un différend qui s'enlise ?

Nous relevons trois séries de facteurs qui ont constitué autant d'éléments de blocage.La première est liée aux deux protagonistes. La seconde s'explique par une attitude circonspecte des puissances vis-à-vis de ce conit. Enn, la position ambiguë voire négative des organisatrices régionales et internationales n'ont fait que compliquer sa compréhension et rendu difcile les conditions de sa solution.. Tout discours sur le Sahara fait par un marocain, est plus ou moins considéré comme inspiré par notre nationalisme voire un chauvinisme. Tout écrit sur la question peut paraître forcément et systématiquement d'inspiration nationaliste. Au-delà de cette dimension qui est, par ailleurs non contestable bien établie, le Maroc a un dossier historiquement et juridiquement bien fondé et argumenté.
Mais le problème est ailleurs.

Vous expliquez cet « ailleurs »dans un de vos ouvrages par la vision bismarckienne de l'Algérie ?

Je me souviens des propos de Paul Balta, cet ancien correspondant du Monde à Alger pendant la période de la présidence de Boumediene, rapporte des propos très édifiants; en effet il afirme avoir réalisé, avec le responsable algérien 52 heures d'interview pendant tout son séjour en Algérie1.Il en ressort la vision suivante : Au Maghreb, l'ancien président algérien Houari Boumediene (1965-77), se considérait comme Bismarck, et l'Algérie comme la Prusse du Maghreb; et donc c'est à lui que devrait revenir la conduite de l'unité du Maghreb. Le dirigeant algérien considérait que l'Algérie dispose d'un certain nombre d'atouts pour pouvoir être la locomotive du Maghreb. En effet, toujours selon la vision de son président d'alors, l'Algérie est un pays ayant eu un passé révolutionnaire: 1,5 millions de chouhada, comme elle dispose d'énormes ressources pétrolières, de l'industrie industrialisante, à l'instar des pays socialistes, une aura diplomatique... Seul obstacle à cette ambition régionale : le Maroc; et une récupération du Sahara par ce dernier lui donne une profondeur territoriale et donc plus de poids. Enfin, il importe de souligner que pendant longtemps, L'Algérie utilisait le dossier saharien comme une carte contre le Maroc. Après, en plus de l'utilisation comme carte contre le Maroc, l'affaire saharienne est devenue une carte interne algérienne notamment depuis le mois d'octobre 1988.

Dans son dernier rapport, Ban Ki-moon faisant appel à la bonne volonté des protagonistes note qu'il y a eu peu de progrès dans l'affaire du Sahara. Vous suivez cette affaire depuis sa genèse, comment peut-on avancer dans ce dossier ?

Il faut d'abord partir de l'idée que le référendum est impraticable, que le Maroc persévère et bataille pour le plan d'autonomie qui ne lèse aucune partie et qui représente une solution appropriée. L'Union européenne et la nouvelle administration américaine peuvent également jouer un rôle dans la solution évitant ainsi la déstabilisation d'une région de plus en plus gangrenée par les phénomènes de terrorisme, de trafic d'armes et de drogue dans les confins sahéliens et sahariens. Les états Unis, il faut le souligner ont fait le choix pour le Maghreb, ils n'ont pas intérêt à ce qu'une solution vienne déstabiliser le Maroc et ceci dans leur propre intérêt dans la région. Il faut d'autre part, que le Maroc consolide davantage ses relations avec l'Espagne à l'aide d'une stratégie d'état avec toutes les composantes de la société civile, avec les universités, les opérateurs économiques, les ONG. Mais tout cela passe aussi par une évolution de notre diplomatie qui doit être plus militante et mieux armée pour plaider son argumentaire en faisant notamment appel à la société civile et aux universitaires et chercheurs en premier lieu. Dans les années 75, ce sont les étudiants qui en Europe étaient en première ligne pour la défense du dossier du Sahara.
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