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«C'est heureux que le Maroc revienne vers l'Afrique»



«Je suis né avant les indépendances africaines. Il y avait à l'époque, chez les pères de l'indépendance le souci permanent de se doter d'une élite qui allait bâtir les pays d'Afrique »ces premiers propos de Jean Pierre Elong Mbassi , boursier de l'état camerounais éclairent les différentes étapes du long parcours de cet ingénieur urbaniste «taraudé par cette sorte de dette perpétuelle vis-à-vis des peuples africains parce que sans eux, il n'aurait pas pu faire des études d'ingénieur urbaniste».

«C'est heureux que le Maroc revienne vers l'Afrique»
Il passera en effet, dix ans au secrétariat des missions d'urbanisme et d'habitat organisme parapublic français dont l'objectif était d'assister les jeunes états africains à maîtriser la gestion urbaine et municipale, dix autres années à la Banque Mondiale pour s'occuper du premier projet de restructuration d'habitat spontané c'est à dire de bidonvilles qui concernait quelque 300 000 habitants de la zone Nylon dans la ville de Douala. Il est ensuite de 1992 à 2007, chargé toujours par la Banque mondiale du projet d'appui aux collectivités locales pour l'Afrique de l'Ouest et centrale à Cotonou et deviendra ainsi coordinateur régional du programme de développement municipal.
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Interview • Jean-Pierre Elong Mbassi, secrétaire général des Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique

LE MATIN : Nous vivons la célébration de différents cinquantenaires et autres anniversaires qui propulsent le passé toujours présent. Avez-vous la mémoire des premières années d'indépendance en Afrique ?

Jean-Pierre Elong Mbassi :
Aux premières années de l'indépendance, nous avions une élite très active. Les premières élites qui ont occupé des postes de responsabilité étaient enthousiastes dans la création du nouvel état. Si enthousiastes, qu'elles ont prôné l'édification de l'état nation qui permettrait une adhésion collective, comme seule manière d'exister dans le concert des nations. Les dirigeants de l'époque ont gommé tous les particularismes au point que les peuples d'Afrique se sont sentis étouffés par ce nouvel état qui remplaçait la colonisation mais qui ne changeait pas beaucoup par rapport aux pratiques de celle-ci. Les états africains avaient été dessinés par un coup de crayon sur des cartes faites en 1884 en Allemagne mais en réalité, les peuples ont été disséqués, dépecés et je pense par exemple à une région comme le Kenetouko, une région historique de l'Afrique de l'Ouest dépecée entre la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso et le Mali.

Cinquante ans plus tard, quel est l'état des lieux ?

Aujourd'hui les populations ont fini par obtenir la reconnaissance de leurs particularismes. La quête de participation dans la gestion des affaires publiques, la quête de démocratie de proximité ont poussé les états à admettre la décentralisation comme une méthode, une démarche de modernisation des états africains. Ces derniers, dans leur ensemble, ont adopté la politique de décentralisation, c'est une entrée pour refonder et relégitimer les états africains. Ce n'est pas sans risque car les populations, les tribus peuvent prendre la parole de manière revendicatrice, violente et l'état doit savoir gérer ces situations. Il fallait accompagner ce mouvement, cette dynamique et c'est ce que nous avons fait au sein de Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique qui tiendra du 16 au 20 Décembre à Marrakech, la cinquième édition du Sommet d'Africités des journées panafricaines des autorités locales sous le thème « promouvoir le développement durable et l'emploi dans les collectivités locales africaines, dans un contexte de crise mondiale ». On voudrait que la voix des collectivités locales soit entendue dans la recherche des solutions de sortie de crise. Actuellement, il y a un concert qui affirme que les pays africains peuvent s'en sortir par le biais du commerce international. Nous pensons à notre tour que les pays africains doivent redécouvrir l'économie locale. C'est la réponse aux besoins de leurs populations et c'est de cette manière que nous pourrons avoir un développement durable endogène. Nous ne prônons pas l'autarcie, mais en Afrique nous disons «que l'on part à la conquête du monde, à partir de chez soi» .

Tout cela dans un contexte mondial de prédateurs européens, russes, chinois, américains qui font main basse sur ce qui reste comme richesse en Afrique et tout y passe, terres agricoles, richesses minières, fuite des cerveaux ?

Les anciens disent chez nous, «le chemin est difficile, mais c'est la difficulté qui est le chemin». Dans un monde ouvert, on ne vous permettra pas de faire selon votre volonté, vous devez composer mais vous devez être déterminé à avoir un cap, une vision. Comme le dit l'adage, il n'y a pas de vents favorables pour celui qui n'a pas de cap L'élite africaine est interpellée pour toujours inventer un chemin pour que les populations, les jeunes qui vont aujourd'hui jusqu'à sacrifier leurs vies pour émigrer, retrouvent espoir dans l'Afrique. Le paradoxe est là, on se tourne aujourd'hui vers l'Afrique alors que ces jeunes la fuient. Quelque part notre responsabilité est de redonner espoir aux jeunes car l'Afrique et c'est le précédent président américain qui le disait, c'est le continent des possibilités.

Le Maroc l'a compris en tant que pays africain. Par le biais de visites officielles, de création de fondations, de joint-venture de sociétés, on assiste à un retour du Royaume dans son espace naturel, l'Afrique qui constitue comme il aimait à le déclarer ses racines. Comment voyez-vous cela ?

Les pays d'Afrique du Nord ont une image mitigée de l'Afrique du Sud du Sahara. La revendication de l'africanité de l'Afrique du Nord est à géométrie variable et ce n'est pas toujours plaisant pour les africains. Le feuillage a souvent caché les racines alors même que l'on sait que l'arbre ne tient que par ses racines. Le feuillage est utile pour chercher l'oxygène mais si les racines ne sont pas saines et fortes, c'est l'arbre qui s'écroule. C'est heureux qu'aujourd'hui le Maroc revienne en Afrique, investisse, ouvre ses écoles aux jeunes africains. Je peux vous dire que l'Afrique le lui rend bien, car les africains du sud du Sahara aiment le Maroc. On aime beaucoup le Maroc et on aimerait bien que le Maroc affirme son africanité y compris en direction de sa population qui doit être imprégnée de son africanité.

Pour bien vous comprendre, faites-vous référence à la migration subsaharienne et au rôle de gendarme que l'Europe veut faire jouer au Maroc ?

Tout à fait! Toute la politique de l'Europe qui consiste à faire du Sahara une mer intérieure et à couper ce continent en deux en faisant miroiter à la face méditerranéenne qu'elle serait moins africaine que le reste est dangereuse. C'est au Maroc et aux pays méditerranéens de refuser cette césure qui nous renvoie au dépeçage de l'Afrique de 1884. Le Maroc doit rester solidaire de son espace naturel comme vous dites et vigilant pour son image en Afrique.

Vous connaissez bien le Maroc pour y avoir vécu en 1975 et pour y être retourné récemment. Quelle comparaison faites-vous entre ces deux Maroc ?

Je connaissais le Maroc pour avoir travaillé avec ses architectes, ses urbanistes, pour avoir fait de la formation. En 1975, le Maroc ressemblait aux autres pays africains avec beaucoup de pauvreté, bidonvilles, un système dur, qui ne permettait que peu de liberté et de respiration et qui rendait la vie difficile aux Marocains. N'oublions pas, que nous étions aux lendemains des années de plomb qui avaient marqué l'évolution politique du pays. Je reviens en 2008 dans un pays qui a fait des efforts immenses pour sortir la population de la pauvreté et des programmes comme l'INDH en témoignent même s'il reste encore beaucoup à faire .J'ai travaillé dans des projets d'éradication de bidonvilles en Afrique et j'ai été sensible aux évolutions urbaines au Maroc .Celles ci se manifestent par la disparition importante des bidonvilles, par le programme de villes sans bidonvilles. Au point de vue des libertés publiques les efforts sont appréciables, il y a au moins les libertés démocratiques formelles qu'il s'agit de faire encore évoluer. Au forum du développement urbain qui s'est tenu récemment à Skhirat j'ait dit qu'un voyage de 5000 km commence par le premier pas, dans la bonne direction. Quand on a fait le premier pas dans la bonne direction ce qui n'est pas facile et c'est le cas du Maroc, il reste encore à cheminer les 4999 km. Le travail est titanesque, difficile et il faut persévérer. La conduite est délicate, elle interpelle la sagesse des dirigeants.

Sur ce travail, il y a le chantier de la décentralisation et de la régionalisation, d'immenses chantiers problématiques tant dans les risques qu'ils contiennent que dans leurs déclinaisons. Quel est votre sentiment sur cette question de décentralisation au Maroc ?

A mon arrivée au Maroc, à l'époque des premiers maires élus, j'ai travaillé sur Sefrou dirigé par le maire qui était Mr Yakhlef, un historien socialiste. J'ai d'abord rendu visite au super caïd et j'ai décliné mon vœux de voir le maire .Je me souviens de sa réaction de rejet : « le maire n'est rien disait-il, il n'a aucune prérogative, aucun pouvoir ! C'est avec nous qu'il faut traiter !!» C'était l'état d'esprit de l'époque. Aujourd'hui les choses ont changé, les nouvelles lois ont approfondi les processus de décision des CL même si le chemin est semé d'embûches. La première de ces embûches est de subordonner la volonté politique à la compétence technique. Beaucoup disent « il ne faut pas aller trop vite parce que les CL n'ont pas les compétences techniques nécessaires » .Ce discours, nous le connaissons, c'était celui du Roi des Belges qui refusait l'indépendance du Congo, sous prétexte qu'il n'y avait pas les compétences nécessaires. Non le pouvoir n'est pas un corollaire de la maîtrise technique. Il faut qu'au Maroc, l'on fasse le pari que les CL peuvent prendre en mains leur destin et que les services de l‘Etat soient à leurs côtés pour apporter de l'aide et non pour remettre en cause la délégation de pouvoir politique ou le processus lui-même.

Etant entendu que le rôle de l'Etat reste important comme on le constate avec cette crise financière internationale ?

Tout à fait. Un état légitime est un état dont on a besoin en terme de régulations, de solidarités, de redistribution de richesse, de tout ce qui fonde la communauté nationale.

Pour revenir à l'actualité et avant de dire un mot sur l'édition de Marrakech, peut-on remonter le fil de la genèse des Sommets d'Africités ?

Le sommet Africités de Marrakech qui se tiendra du 16 au 20 Décembre achève le tour de toutes les sous régions de l'Afrique : Afrique du Nord avec Marrakech , après Abidjan en Afrique de l'Ouest , Windhoek en Afrique australe , Yaoundé en Afrique centrale et Nairobi en Afrique de l'est .Le sommet Africités 1 s'est tenu à Abidjan en 1998.Il avait pour thème « reconnaître le rôle des Cl dans le développement de l'Afrique ». Ce sommet avait vu l'émergence du mouvement municipal africain sur la scène régionale et internationale. Africités 2 s'est tenu à Windhoek en Mai 2000avec pour thème «Financer les collectivités locales africaines pour assurer le développement durable du continent» Les participants ont mis en place, le Conseil des Communes et Régions d'Afrique (CCRA) et la Conférence panafricaine de la décentralisation et du développement local «CADDEL», instance intergouvernementale regroupant des ministres chargés de la supervision administrative , technique des CL avec pour objectif de placer la décentralisation parmi les priorités de l'agenda politique africain. Africités 3 à Yaoundé en Dec 2003 avait pour thème « accélérer l'accès des services de base au sein des CL africaines ». Ce sommet a été un moment d'unification du mouvement municipal africain avec la mise en place de Cités et gouvernements locaux unis d'Afrique ». Lors de ce sommet, la décentralisation et le renforcement des CL dans la perspective de l'amélioration des conditions de vie des populations et la participation des citoyens ont été au cœur des débats de même que la participation de l'Afrique au mouvement municipal mondial et au Congrès fondateur des cités et gouvernements locaux unis à Paris de Mai 2004 .
Africités 4 s'est tenu à Nairobi en septembre 2006 avec pour thème « construire des coalitions pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement au sein des CL » Ce sommet a confirmé l'alliance entre les CL africaines et les institutions du système des Nations unies et a confirmé le système de structuration du système municipal africain. Africités 5 à Marrakech permettra, de construire l'alliance avec les acteurs économiques et renforcera la participation des autorités locales à l'Union africaine. Nous attendons beaucoup de ce sommet.

Vous avez suivi une journée d'évaluation du programme d'Agenda 21 local dans les provinces du Sud du Royaume. Ce programme avait déjà été déployé à Meknès, Marrakech et à Agadir. Un mot sur ces outils innovants destinés à renforcer la décentralisation et à appuyer les municipalités ?

Il faut conjuguer l'enthousiasme que j'ai évoqué avec la compétence technique. Il faut qu'il y ait des outils définis pour donner un cadre d'intervention des collectivités locales. Une des questions de fond que nous devons nous poser c'est : est ce que le développement durable ne doit pas faire partie de la manière dont nous abordons les stratégies de développement? Nous avons Agenda 21 qui permet de regarder les stratégies de développement sous le prisme de la durabilité qui permet de préserver nos actifs naturels qui permettront à leur tour de maintenir pour nos enfants la même capacité que nous avons par rapport à la nature. Tout ce que nous faisons part et revient à la nature et l'esprit d'Agenda 21 doit habiter totalement nos pays. Un pays comme le Maroc qui dépend de l'eau, du tourisme doit rester extrêmement attentif sur la question des actifs naturels. Il y va de sa survie .Ce souci de développement durable est infusé à travers l'exercice d'Agenda 21. Il doit être pérenne car il faut respecter la nature et les générations futures. Il ne faut pas sacrifier l'avenir pour le présent, il ne faut pas que demain l'on ne soit plus en situation de vivre.
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