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Le nouveau désordre monétaire

Harold James
Professeur d'histoire et d'affaires internationales à l'université de Princeton et professeur Marie Curie au European University Institute à Florence. Son dernier livre s'intitule The Creation and Destruction of Value [Création et destruction de la valeur].

Le nouveau désordre monétaire
Les devises ont à nouveau plongé dans le chaos, renforçant la demande pour une révision de l'ordre monétaire international. Le déclin rapide du dollar et de la livre, mais aussi du renminbi – désormais plus dépendant du dollar que jamais – engendre des tensions. Quelques spectres des années 1930 sont également de retour – notamment, la crainte d'avantages inégaux dans les échanges à cause de la dévaluation compétitive. Le secrétaire au Trésor américain Timothy Geithner a déjà accusé la Chine de manipuler sa devise.

Il existe deux méthodes très différentes pour déterminer les devises correctement. La première est d'organiser une conférence internationale pendant laquelle des experts proposent des modèles pour calculer les taux de changes et où les responsables politiques négocient la donne. Le seul exemple positif d'un tel arrangement sont les Accords de Bretton Woods signés en 1944. Or, même à l'époque, les taux de changes fixés à la conférence se sont avérés irréalistes. Il a ensuite fallu céder à une grande vague de changements de parité (et de maintenance des contrôles du change).

Les autres conférences consacrées aux devises se sont soldées par de lamentables échecs. Le président Richard Nixon a salué en 1971 l'accord de Smithson comme «l'accord monétaire le plus important de l'histoire mondiale». Ce dernier a cependant vite été réduit en miettes, et le monde est passé à un système de flottement généralisé.

En 1987, la Conférence du Louvre n'a même pas donné lieu à un accord sur ce qui avait été conclu. Certains participants ont cru s'entendre sur une sorte de semi fixation des taux de change sous forme de zone cibles, mais la puissante Bundesbank allemande n'a jamais partagé cette interprétation. L'histoire nous montre que toute négociation collective sur les devises ou pour trouver une nouvelle méthode d'aborder les réserves a peu de chances de réussir.

La seconde –et meilleure– méthode sont des accords décidés dans chaque pays pour décider de la meilleure base pour adopter une politique monétaire. Si ces accords remportent une vaste adhésion et sont cohérents entre eux, un système monétaire international stable en résultera. Ce consensus est illustré par deux modèles. Dans un premier temps, il y a un siècle, la confiance reposait sur l'or; dans le cas de la récente vague de mondialisation, elle a reposé sur le pouvoir intellectuel de l'être humain à résoudre les problèmes. La fin de l'inflation et «la grande modération» des trois dernières décennies ont été essentielles à la libéralisation de beaucoup de régions du monde et à la naissance d'une confiance, d'un commerce et d'une prospérité accrus. Lors de la dernière période, la quête pour un ordre monétaire a connu deux phases : lors des premières tentatives pour décider un étalon pour une politique monétaire stable, l'emphase était mise sur la cible monétaire. Lors de la deuxième phase, plus réussie, un nombre croissant de pays a, de manière explicite ou implicite, adopté des cibles d'inflations. Mais cibler l'inflation n'a jamais été un concept très évident, et la crise financière l'a discrédité. En 2003, Ben Bernanke, gouverneur de la Federal reserve des Etats-Unis à l'époque, a déclaré que beaucoup d'Américains voyaient ceci comme une méthode «étrangère, impénétrable, voire légèrement subversive.»

Cette pensée est encore plus prégnante aujourd'hui.
Il y a toujours eu un doute quant à la marge que les banques centrales devaient avoir pour corriger ou limiter les bulles du prix des actifs, lorsqu'il n'y avait pas de hausse appropriée au niveau général de l'inflation. La montée du prix des actifs a conduit à une hausse générale du pouvoir d'achat, car de nombreux détenteurs de titres souhaitaient (et pouvaient) emprunter plus. Beaucoup d'Européens ont essayé, ces dernières années, d'avancer qu'une politique monétaire devrait aussi prendre en compte l'évolution du prix des actifs, à l'opposé des universitaires et des décideurs politiques américains, qui demeuraient très réticents à cette approche. Le problème est que le prix des actifs et l'inflation des prix à la consommation peuvent prendre des directions différentes, comme cela s'est produit dans les années 2000, et que tenir compte des deux facteurs donnerait lieu à des recommandations politiques incohérentes. Par conséquent, les banques centrales ont pris le risque de ne plus paraître à même de suivre des directives clairement formulées. Et la crédibilité associée à un simple règlement a disparu.

La sagesse nous a gagné après la crise financière. Elaborer une politique monétaire est un procédé désormais plus complexe, mais aussi nettement plus policé, ce qui explique pourquoi nous sommes davantage sujets au chaos, puisque les approches nationales peuvent varier du tout au tout.
La Fed et la Bank of England seront, semble-t-il, les deux institutions les moins touchées par l'émergence de nouveaux types de bulles d'actifs dans les marchés de valeurs ou de matières premières. Mais la Banque centrale européenne (BCE) a du souci à se faire. Tandis que des divergences font surface, la demande pour un débat politique plus large sur la monnaie et pour un engagement dans l'élaboration d'une politique se fera de plus en plus sentir. Le Comité de politique monétaire de la Bank of England a souvent été présenté comme un pionnier en matière de politique monétaire transparente. Mais, dès le début, la transparence qui résultait de la publication précoce du nom des personnes en faveur ou opposées à l'augmentation des taux a conduit le public à identifier les membres du comité comme des faucons ou des colombes. Si l'on sait déjà qui va voter pour telle mesure, la demande pour un débat public sur qui choisir augmentera : pourquoi ne pas élire le Comité de politique monétaire, puisqu'il est en effet un gouvernement monétaire? En Europe, un débat similaire sur la responsabilité politique des banques centrales a prévalu, même avant la création de la BCE.

Les tensions entre les divers avocats de solutions différentes vont conduire à une demande pour davantage d'influence politique. Cet exercice ressemble à une répétition tragique de l'entre-deux guerre, lorsqu'il était impossible d'atteindre un consensus sur les politiques et sur des accords cohérents entre eux. Là aussi, on a reproché aux banques centrales européennes la désintégration de leurs accords (à l'époque de l'étalon-or). Et la nationalisation de la banque centrale a fait partie du programme de la gauche française ou britannique.
Ce qui, à son tour, a fait place à une manipulation des devises dans l'intérêt des exportateurs, des entreprises et des syndicats. En a découlé un chaos monétaire international – exactement le chemin que nous prenons maintenant.
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