Menu
Search
Jeudi 18 Avril 2024
S'abonner
close
Jeudi 18 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

«Le Maroc est-il prêt pour une régionalisation avancée ?»

No Image
LE MATIN : L'actualité montre l'exemple de la Belgique dont il faut souligner les dérives actuelles et les menaces de division. La régionalisation ne comporte-t-elle pas le risque d'affaiblir l'Etat ?

ABDELGHANI ABOUAHANI :
Chaque pays a ses spécificités et son histoire. Au Maroc, il ne faut pas opposer la région à l'Etat ou l'inverse. Bien au contraire : la construction de la région fait partie du processus de construction de l'Etat. Une région forte est une contribution pour la construction d'un Etat solide et consolidé dont les différentes composantes régionales mobilisent leurs potentialités économiques, sociales et culturelles pour le développement de tout l'ensemble national.
La régionalisation élargie permet de corriger les travers du centralisme, d'élargir les niveaux de participation et d'enclencher un cercle vertueux : plus les élites locales participent à l'élaboration des politiques publiques, plus elles adhèrent à ces politiques et plus ces politiques répondent à des besoins réels et auront des effets bénéfiques sur les populations concernées.
La régionalisation contribue ainsi à une meilleure gouvernance territoriale. Elle devient un outil pour rendre plus efficient les politiques publiques et permet de réduire le décalage entre les programmes nationaux et les réalités sur le terrain. En donnant l'initiative à l'échelon régional, on se donne les moyens pour mobiliser les potentialités de chacun, pour se mettre à l'écoute des besoins de chaque échelon administratif et pour mieux cibler les politiques publiques locales. Le développement de la régionalisation permet de remobiliser les élites régionales (économiques, politiques et culturelles), de les faire sortir de l'attentisme, de la passivité où elles se trouvent aujourd'hui et de leur redonner l'initiative dans le processus du développement régional et national.

Le Maroc est-il prêt pour une régionalisation élargie ?

Le débat sur la régionalisation élargie peut trouver sa justification, au delà des raisons conjoncturelles liées à la question saharienne, dans les mutations profondes qu'a connues le territoire et la société marocaine durant les trois dernières. Deux paramètres importants justifient la nécessité de revoir l'organisation régionale,la nouvelle configuration du territoire national, et le renforcement des collectivités locales,

Comment se présente la nouvelle configuration du territoire national ?

Depuis 1971, le territoire national a été profondément modifié. Avec la récupération des provinces sahariennes, les régions qui se trouvaient auparavant au sud se situent actuellement au centre ce qui impose nécessairement un nouveau découpage régional. En outre cet événement a aussi un impact économique considérable puisque nous assistons au développement, autour de l'axe TAN-TAN - LAAYOUNE - DAKHLA à la fois de l'industrie phosphatière, de la pêche maritime et la région offre des potentialités touristiques considérables. Depuis 1970, la population marocaine n'a cessé de croître passant de 15 millions à plus de 30 millions actuellement. Dans le même temps la croissance urbaine ne s'est pas du tout ralentie. De 35% en 1971, le taux d'urbanisation est passé à 51 %. L'une des conséquences importantes entraînées par cette urbanisation rapide est la diversification de l'armature urbaine. Certes l'axe Kénitra - Rabat - Casablanca maintient sa prééminence. Mais. De nouveaux pôles d'urbanisation se renforcent, je citerai au Nord-Est autour du binôme Oujda - Nador, au Nord-Ouest autour du triangle Tanger - Tétouan ­Larache, au Centre Sud autour d'Agadir et à l'extrême Sud autour de l'axe Tan Tan-Laâyoune ­Dakhla .
Dans le même temps les villes impériales Fès-Meknès-Marrakech loin de décliner, connaissent une véritable renaissance et s'imposent comme des pôles économiques structurant leur région autour du tourisme, de l'artisanat et des services. Cette nouvelle armature urbaine s'est développée autour des grands projets industriels comme ceux liés aux plans sucriers et cimentiers, à la valorisation des produits phosphatiers et miniers, à la sidérurgie et aux projets de zones industrielles. Elle s'est également développée autour des projets d'équipement en infrastructures tels que les ports, les aéroports, le réseau autoroutier, routier et ferroviaire, les barrages; les projets d'aménagement hydro agricoles et leur périmètre irrigué ;les zones d'aménagement touristiques; le développement de la pêche; les grands équipements de formation comme les universités, les instituts de formation de cadres et les centres de formation professionnelle. Tous ces éléments structurants doivent être pris en considération dans toute stratégie prospective visant à réorganiser l'espace national d'autant plus que tous les projets susmentionnés ont été réalisés dans une optique de régionalisation et d'aménagement du territoire et ont effectivement induit de profondes mutations dans l'armature urbaine du pays.

Les collectivités locales sont-elles en mesure d'accompagner le processus de régionalisation ?

Il est incontestable que le processus de décentralisation et de déconcentration entamé depuis l'adoption de la charte communale de 1976, malgré les imperfections qui l'ont caractérisée, a profondément modifié le paysage institutionnel durant les trois dernières décennies. Le pouvoir provincial et communal apparaît aujourd'hui comme un acteur incontournable dans toute politique de développement local et régional. S'affirmant comme des gestionnaires de nombreux projets de développement local, les collectivités locales ont renforcé leur rôle d'acteurs dynamiques dans la politique d'aménagement du territoire. L'expérience de la décentralisation et de déconcentration, malgré ses limites,» a sans doute fait émerger une élite formée d'élus, de responsables administratifs, qui maîtrisent toutes les complexités de la gestion des affaires locales et qui fourniraient demain les cadres de la Région rénovée devenant ainsi les principaux agents du développement régional.

Quel est le modèle de régionalisation qui conviendrait le mieux au Maroc ? Va-t-on avoir un régime uniforme ou une régionalisation à géométrie variable ?

Compte tenu de la spécificité des provinces sahariennes et de l'offre d'autonomie qui est déjà faite par le Maroc, le modèle qui conviendrait le mieux pour notre pays, est un modèle de régionalisation basé sur un régime général avec un ou des statuts spéciaux. Le régime général s'appliquerait à l'ensemble des régions. Le régime spécial quant à lui, s'appliquerait aux provinces sahariennes. Sur le plan du droit comparé, cette situation se retrouve dans plusieurs pays, comme l'Espagne ou la France pour ne citer que ces deux pays voisins. La dualité du régime juridique est une technique institutionnelle qui permet de tenir compte de la spécificité ethnique ou culturelle de certaines régions et de leur donner de l'autonomie tout en les rattachant à l'ensemble national.

Quelle serait alors la physionomie du nouveau pouvoir régional ? 

Compte tenu des traditions administratives marocaines, le transfert des pouvoirs vers les régions sera probablement progressif et graduel. L'autonomie régionale sera fondée autour d'un exécutif bicéphale : Le wali de région et le Président du conseil régional.. Le Wali de région représente l'Etat, veille au maintien de l'ordre et la sécurité et assure la coordination des services de l'Etat qui opèrent dans la région. Le président du conseil régional exécute les délibérations du Conseil régional. La région aura donc son propre exécutif. Le président du CR doit avoir suffisamment de compétences non seulement pour faire prévaloir le point de vue des élus régionaux, mais aussi et surtout pour influer sur la conception et l'exécution des politiques nationales qui concernent sa région. Les fonctions de WALI et du président de région doivent être complémentaires. Le président de région doit avoir suffisamment de pouvoir pour non seulement bien exprimer les besoins de la région mais aussi contribuer à transformer les besoins en projets et en politiques publiques régionales et à faire participer la région à leur réalisation. Pour sa part le wali doit avoir suffisamment de pouvoirs pour mobiliser les services de l'Etat pour la réalisation des programmes de développement définis avec la région.

Comment alors s'organisera la répartition des compétences entre l'Etat et la Région ?

La répartition des compétences entre l'Etat et la région pourrait se faire sur la base de critères suivants. L'Etat définit les cadres nationaux des politiques publiques. La région adopte les mesures d'application et d'adaptation des politiques publiques nationales. Si ce principe est admis, cela reviendrait à reconnaître aux différentes composantes du pouvoir régional, un pouvoir réglementaire d'application des programmes cadres définis par le pouvoir central.
Dans les domaines relevant de sa compétence, le Conseil régional peut voter des mesures réglementaires d'application. De même le Wali peut prendre des arrêtés réglementaires ou circulaires d'application des lois nationales.

Est-ce qu'on s'oriente vers une régionalisation des politiques publiques ?

La régionalisation élargie devrait conduire à corriger les défauts de l'organisation territoriale actuelle et à réduire le niveau du centralisme excessif dont tout le monde se plaint mais qui perdure et qui contribue à en réduire l'efficacité de nombreux projets de développement sur le terrain. Dorénavant l'échelon régional devra contribuer à définir activement les politiques publiques. Tous les programmes d'équipement d'infrastructures (les routes, les autoroutes, les ports, les aéroports, les gares), tous les projets sociaux d'habitat, de santé, d'enseignement, doivent être définis, en concertation avec le niveau régional et approuvé par le Conseil Régional et le Wali de la région. De même l'implantation des grands services publics, comme les hôpitaux, les complexes administratifs, les universités, les équipements sportifs, devrait être définie avec la région. Tous les grands ministères devraient être représentés au niveau des régions par des Directions et organisées sous forme de pôles techniques, qui établiraient leurs programmes d'action en concertation permanente avec le wali, le président et le Conseil régional.
La nouvelle réforme impliquerait une rupture avec le type de programmation pratiquée jusqu'à présent au Maroc. C'est ainsi que les politiques publiques nationales devraient régionaliser leurs objectifs et fonder leurs prévisions sur une localisation des investissements et des emplois. Elles devraient assurer la coordination et la mise en cohérence entre les différents plans économiques et sociaux élaborés par les régions. L'objectif est d'arriver à une « régionalisation des politiques publiques nationales» et à une «nationalisation des politiques publiques régionales ». Des liens organiques devraient associer l'Etat aux régions dans toutes les phases d'élaboration des politiques publiques.
Lisez nos e-Papers