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«Sommes-nous prêts pour un new deal écologique ?»

Seize conventions de partenariat entre le gouvernement et les 16 régions du Royaume seront signées pour la réalisation des projets intégrés dans les secteurs de l'eau et de l'environnement. Abdélkébir Zahoud fait le point.

«Sommes-nous prêts pour un new deal écologique ?»
LE MATIN : Quel diagnostic faites-vous de l'environnement au Maroc ?
ABDELKEBIR ZAHOUD :
Pour préparer l'avant-projet de la charte de l'environnement, nous sommes partis d'un constat : la situation environnementale au Maroc, l'état des lieux que nous en avons dressé montre un environnement fortement dégradé, au point d'impacter la santé des citoyens, ce qui implique qu'il y a urgence. La dégradation de notre capital écologique, l'altération de la qualité de notre milieu naturel, la réduction des ressources naturelles, les pressions sur l'environnement notamment en termes de déchets exigent une profonde réflexion sur les mesures qu'il faudra prendre pour prévenir les conséquences des pollutions sur la santé. D'autant que cette situation risque de s'aggraver davantage avec les conséquences du réchauffement climatique qui malgré les phénomènes dits extrêmes d'inondations que nous subissons, est une réalité scientifique dûment prouvée durant ce dernier siècle.

Certains observateurs ont critiqué les conclusions du Club de Rome ou du rapport Meadows comme étant trop catastrophiques. En d'autres termes, on critique un certain alarmisme de fin de monde en avançant le manque de sérieux des données et des indicateurs de mesure. Je vous pose la question : avons-nous des données fiables et prouvées concernant l'état de notre environnement ?

Nous avons des données scientifiques pour le secteur de l'eau qui dispose de réseaux d'observation et des outils scientifiques de mesure. Même chose pour la mesure de la qualité de l'air avec les stations de l'air mises en place et gérées par la météorologie nationale qui témoignent des indicateurs de dégradation de l'air. Nous publions, pour être tout à fait transparents, des bulletins relatifs à la qualité de l'air constatée dans certaines grandes villes et dans l'avenir, après concertation avec les ministères de l'Intérieur et de la Santé, des bulletins d'alerte seront émis, en cas de forte pollution. Pour le reste, et pour être tout à fait honnêtes, il demeure encore difficile d'apprécier de manière fine tel ou tel phénomène de désertification, d'impact sur la biodiversité, en un mot d'établir une radioscopie précise... Nous ne sommes pas encore équipés de réseaux scientifiques de mesure et d'observation pour apprécier l'état de l'environnement.. Apprécier l'état de l'environnement, ce n'est pas seulement constater la dégradation mais également faire des projections en fonction d'hypothèses. Reste que même en l'absence de ces outils, on se rend compte de visu et sur simple constat des effets de la dégradation de notre environnement notamment sur la santé. D'où l'urgence de mettre la question de l'environnement et du développement durable au cœur de l'action publique. Dans son discours du 30 juillet dernier, Sa Majesté le Roi a donné dans ce sens une orientation précise: « Il appartient aux pouvoirs publics, souligne Sa Majesté, de prévoir le volet protection de l'environnement, dans les cahiers de charges concernant les projets de développement. »

Lors des différentes rencontres de concertation avec les acteurs des 16 régions, la présentation de l'état des lieux de l'environnement a poussé nombre de participants à se demander si le gouvernement et les autres acteurs n'accusaient pas beaucoup de retard dans la politique de préservation de ce patrimoine commun qu'est l'environnement ?

Sans doute, mais nous ne partons pas de zéro. La production législative est conséquente, je pense par exemple à la loi sur l'eau qui consacre une véritable réforme du secteur de l'eau. Le droit à l'eau permet de satisfaire les besoins de la population en eau potable. C'est une valeur sociale importante qui est complétée par la valeur économique de l'eau. L'eau est considérée d'autre part comme une ressource rare, ce qui a permis au législateur de retenir le principe de « pollueur payeur ». L'eau est aussi un bien collectif, d'où la notion de gestion concertée de l'eau notamment par les agences de bassin, lesquels sont gérées par des conseils d'administration avec une participation des usagers de l'eau, des associations, des élus, les utilisateurs. Tous travaillent dans une logique de concertation et de responsabilité pour une bonne gestion de cette ressource. Nous avons également la loi sur l'air, sur les aires protégées, sur les déchets, la loi sur les études d'impact, longuement négociées avec les industriels et les opérateurs économiques. Ces lois conditionnent tous les projets de développement qui peuvent faire l'objet d'une enquête publique. Les décrets d'application sont sortis cette année, nous sommes dans une logique de participation publique où le citoyen a son mot à dire. D'autres lois sont en cours sur le littoral, sur la protection des sols… Le dispositif légal est, on le voit, important et s'accompagne de textes réglementaires.

Les textes ne sont pas toujours suffisants, vous avez évoqué au début de cet entretien la qualité de l'air parfois fortement altérée dans les centres des grandes villes au point où cela occasionne des maladies graves. Que font les pouvoirs publics, pourquoi n'interdit on pas les véhicules qui provoquent une grande pollution ?

La loi sur la qualité de l'air existe, le décret est sorti, il faut maintenant un arrêté d'application. Il y a des mesures préconisées pour les stations fixes concernant les usines par exemple et les stations mobiles relatives aux véhicules. Pour les premières, l'arrêté sera prochainement publié, et pour les stations mobiles l'arrêté est en cours de signature. On pourra alors mesurer la nature des émissions produites par tel ou tel véhicule qui parfois provoquent des pics qui produisent à leur tour un afflux dans les hôpitaux.

Vous avez évoqué à côté de l'arsenal législatif la mise à niveau environnementale. Que voulez-vous dire ?

A l'investiture du gouvernement actuel et suite aux Orientations royales, il a été demandé de prendre en compte les questions de l'environnement. En un mot, il s'agit de ramener les limites de dégradation à des limites acceptables et supportables. Nous pourrions y arriver vers 2014 grâce à un programme ambitieux de mise à niveau environnemental de notre pays. A titre d'exemple et pour arriver à ce qui est supportable, il faut fermer les décharges sauvages, réhabiliter les décharges opérationnelles et créer d'autres décharges contrôlées, en d'autres termes faire une gestion des déchets compatibles avec les normes et standards internationaux. Autre exemple relatif à la qualité de l'air : toutes les villes vont être dotées dans un proche avenir de stations de mesure et de surveillance de la qualité de l'air et chaque fois que nous atteindrons le pic, l'alerte sera donnée et le wali donnera ses instructions pour limiter les dégâts en termes de santé. Pour l'assainissement liquide, nous assurerons le branchement au réseau de toutes les entités et les eaux usées seront traitées.

Le programme de mise à niveau qui intègre le programme national d'assainissement liquide, le programme national de gestion des déchets ménagers et assimilés, le programme national de lutte contre la pollution de l'air, le programme national de dépollution industrielle, le programme de mise à niveau environnementale des écoles rurales, le programme de mise à niveau environnementale des mosquées et des écoles coraniques, sont aujourd'hui traduits en plans d'action qui sont signés avec les provinces. Cette politique fondée sur une approche partenariale s'est traduite par la signature des conventions pour la réalisation des différents programmes environnementaux entre le gouvernement et les différentes régions du Royaume, en présence de Sa Majesté le Roi le 14 avril 2009 à Fès. Nous avons commencé avec Khouribga, Benslimane, Ifrane, Kalaat Saragnha, Benguerrir, Marrakech. D'autre part, toutes les villes seront dotés d'observatoires de surveillance de l'environnement qui réaliseront chaque année un état de l'environnement dans les régions en collaboration avec le réseau d'observation des autres structures eaux et forêts, hydraulique, météo, agriculture. Cet observatoire sera géré de manière collégiale, avec un tiers des membres du gouvernement, un tiers de la région, collectivités locales, communes et administrations territoriales et le dernier tiers, aux centres universitaires, ONG, centres de recherche. Les observatoires de Marrakech, Ifrane, Rabat, Benslimane sont prêts et nous permettront d'agir ensemble, en partenariat avec les acteurs précités.

L'urgence d'agir est partagée par l'ensemble des acteurs qui ne remettent pas en cause le diagnostic mais qui parfois ne comprennent pas les enjeux de l'exercice de la concertation. Que pouvez-vous leur répondre ?

Que dans cette question complexe du développement durable qui doit intégrer l'efficacité économique et la solidarité sociale, nous devons créer une dynamique qui nous permette de progresser ensemble, dans la prise en compte de l'environnement qui se situe au-delà du champ de compétence du seul département de l'Environnement. Nous voulons avec tous les acteurs, réfléchir, penser et proposer un système de protection durable de l'environnement. Les concertations dans les 16 régions et avec les différentes communautés d'ingénieurs, de topographes, des entrepreneurs, demain avec les architectes et les médecins autour de l'avant-projet de la charte de l'environnement nous ont permis une remontée des attentes et des besoins. Le travail n'est pas terminé car beaucoup de groupes professionnels, de réseaux d'expertise manifestent le besoin de participer à ce processus. Nous les écouterons et prendrons en compte leurs recommandations qui formeront une base d'idées, de connaissances pour construire ce système de protection durable de l'environnement.

Peut être une première conclusion ou un ressenti général sur ce vaste chantier de la concertation ?

Ce que l'on peut dire à l'heure actuelle c'est que le document de la charte de l'environnement a trouvé un vaste écho dans la prise de conscience collective en faveur de l'environnement. Les recommandations qui ont été faites et qui seront faites sont importantes pour nous, car elles constituent la trame des plans d'action pour l'habitat écologique, le transport propre, l'énergie, l'exploitation et l'utilisation rationnelle des ressources naturelles. Pour chaque thème, les recommandations sont un gisement de propositions pour les futures mesures qui seront prises. Cette approche qui s'appuie sur une démarche participative de dialogue, de débat et de négociation marque un tournant dans la logique habituelle de l'administration : les propositions des différents acteurs du secteur privé, des collectivités locales, des syndicats seront une force de proposition pour dessiner les contours d'une croissance qui met au cœur de ses problématiques la question du développement durable.

C'est un vaste chantier défini dans ses grandes lignes par sa Majesté le Roi et qui appelle à la responsabilité de chacun et de tous, à la créativité de tous. Le site Internet fonctionne bien, les structures permanentes constituées des représentants des différents départements ministériels sont sur le grill, elles se réunissent périodiquement sous la présidence du SG du ministère de l'Environnement. Nous poursuivons les rencontres avec les associations autour de cet avant-projet de 17 chapitres, qui constituent la structure de la charte de l'environnement. Nous avons une remontée extrêmement dense en termes de recommandations que nous retenons et traitons au sein de la cellule de rédaction constituée par une quarantaine de permanents, des professionnels, notamment des juristes, des sociologues… qui consacrent leur énergie en y mettant toute leur intelligence et en ne perdant pas de temps. Nous savons en effet que face aux enjeux de l'environnement, le temps nous fait défaut. Nous n'avons plus le temps de reporter à demain cette question de préservation de l'environnement, car tout retard a un coût en termes de santé, en termes financier, en coût social. Le Maroc a d'autre part signé de nombreuses conventions et a toujours honoré ses engagements internationaux, il doit rester au diapason des préoccupations écologiques mondiales.
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