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«Le grand bond des provinces du Sud en termes de développement humain»

Emmanuel Dierckx de Casterlé, de nationalité belge, est l'ancien représentant au Maroc du Programme des nations unies pour le développement (PNUD), il est maître en économie, spécialiste de développement humain avec dit il «40 années au service de l'Afrique» dans le cadre des Nations unies. Il est aujourd'hui résident au Maroc un pays qu'il a sillonné de long en large dans le cadre de ses missions.

«Le grand bond des provinces du Sud en termes de développement humain»
Emmanuel Dierckx de Casterlé auteur du «Rapport sur le Développement humain dans les provinces du sud du Royaume, Acquis et perspectives» 1975-2010
Il se définit comme «un observateur extérieur et indépendant, familier du développement humain» qui a, à travers un rapport, observé un développement humain «important» dit il dans les régions du Sud marqué par une classe moyenne éduquée et par de fortes aspirations. Il a présenté une synthèse de ce rapport intitulé «Rapport sur le développement humain dans les provinces du Sud du Royaume Acquis et perspectives» lors de la dernière rencontre internationale sur le développement humain au Maroc organisée par le HCP, en partenariat avec le PNUD et avec la participation de l'OCDE, la Division Statistique des Nations unies et EUROSTAT et d'institutions nationales en charge de la statistique dans le monde comme l'INSEE français, l'IBGE brésilien.

Que dit il dans ce rapport ? En 1975 au moment de leur réintégration au Maroc, les provinces du Sud avaient un IDH comparable à celui des pays les moins avancés. A cette époque, l'IDH de ces régions était inférieur de 6% à celui du Maroc et de 51% à celui de l'Espagne. Une décennie plus tard, l'IDH des régions du Sud rattrapait la moyenne de l'ensemble du pays.
Depuis 1990, ces régions constituent à coté du grand Casablanca et Rabat Salé Zemmour Zaier, les seules régions ou l'IDH est supérieur à la moyenne nationale. La première conclusion à tirer dit il, c'est que la pauvreté n'est pas une fatalité et que grâce à une politique volontariste déterminée, on peut créer une dynamique économique qui peut franchir le seuil de l'irréversibilité en tenant compte de l'éducation, la santé, les problématiques d'environnement, la lutte contre la pauvreté, la répartition des richesses et les droits humains.

La publication de ce rapport intervient avec le lancement d'un grand chantier celui de la régionalisation qui comme le souligne le Souverain «constitue un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale, une option pour la rénovation et la modernisation des structures de l'Etat et la consolidation d'un développement intégré, prélude à une nouvelle dynamique de réforme institutionnelle profonde».
Une dynamique qui devrait reposer dans le Sud sur une avancée économique et sociale mais qui devra poser la question de la montée des pouvoirs locaux, de l'efficacité de l'action publique, de la reconnaissance des cultures locales et de la construction démocratique qui seule peut apporter des réponses aux problèmes de développement humain.
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Dans un entretien accordé au Matin, Emmanuel Dierckx Casterlé se livre à l'exercice de l'observateur extérieur qui a vu les choses évoluées.

LE MATIN : C'est le premier rapport qui sous l'aspect du développement humain, c'est-à-dire l'IDH fondé sur la santé et l'éducation, présente les régions du Sud. Au moment où la commission présidée par M. Azziman planche sur la régionalisation, la méthode est inédite ?

Emmanuel Dierckx de Casterlé :
L'aspect régionalisation est très important mais la question qu'il faut se poser c'est, quels instruments faut-il pour une bonne régionalisation ? La nouvelle carte de la pauvreté de 2007 vient corroborer le rapport qui a tenu compte de la carte de la pauvreté de 2004 et du recensement officiel de la même année. Dans le rapport, toutes les sources utilisées sont citées.

Au terme de votre rapport, à quel constat avez-vous abouti ?

Je suis un observateur extérieur et indépendant, familier du développement humain. Ce que j'observe, c'est le développement humain important dans les régions du Sud et la cohérence entre les différents indicateurs. J'ai démontré que les 9 provinces des 3 régions du Sud, zone de couverture de l'Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud du Royaume, correspondent à un modèle futur dans la régionalisation. Tous les indicateurs, toutes les tendances montrent une politique volontariste du Maroc qui en 1975 a dû tout construire, les Espagnols n'ayant rien laissé en termes d'infrastructures ou de logements. Le Maroc a investi massivement dans les infrastructures : ports, routes, aéroports, hôpitaux, écoles. La couverture d'électricité, l'offre sanitaire, l'offre d'éducation est plus élevée dans le Sud que dans de nombreuses autres régions. Le travail de recherche effectué a permis d'établir un indicateur de développement humain considéré comme élevé et témoigne du chemin parcouru depuis 1975 où plus de 50% de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté et où l'analphabétisme était quasi généralisé. Aujourd'hui, ces régions constituent après le grand Casablanca et Rabat salé Zemmour Zaer, les seules régions où l'indicateur de développement humain est supérieur à la moyenne nationale comme l'indiquent les rapports nationaux de 2003et 2005 de développement humain conjointement réalisés par le HCP et le PNUD. Dans tous mes tableaux relatifs au préscolaire, à la scolarité qui atteint 80%, à l'espérance de vie, ces régions viennent en troisième position devançant de manière appréciable les autres régions.

Soyons plus précis : quand vous évoquez les provinces du Sud, de quoi s'agit-il ?

Des provinces qui couvrent rappelons le, prés de 60% de la superficie du Maroc soit 416.474km2 organisées en trois régions, la région de Guelmim Smara qui comprend les provinces d'Assa Zag, Guelmim, Esmara, Tan Tan et Tata, la région de Laayoune Boujdour Sakia El Hamra qui regroupe les provinces de Laayoune, Boujdour et la région de Oued Dahab Lagouira qui comprend les provinces d'Aoussared et d'Oued Eddahab.

Au-delà des infrastructures, comment expliquez-vous cette dynamique ?

Il y a plusieurs explications. Il faut remarquer qu'il s'agit de tout un processus de développement qui a traversé des cycles d'inflexion et de reprise. Ce que l'on peut dire c'est que le développement des provinces du sud a été une priorité dés 1975.En 1977 il y a eu un département chargé des affaires sahariennes pour coordonner les actions sectorielles de l'Etat dans ces régions. En 1992, ce ministère a disparu laissant place à une administration dédiée et dépendant du Premier ministre.
En 2002, une structure nouvelle est créée, l'Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du sud du Royaume qui met en place de nouveaux concepts et une nouvelle approche dans la conduite de l'action publique dans ces régions fondée sur le partenariat et l'implication des acteurs locaux et des habitants dans la définition des actions et priorités. Le développement s'est appuyé sur une stratégie qui intègre l'emploi,le pouvoir d'achat, l'habitat, les services sociaux de base, les équipements collectifs. Mais pas seulement. Je m'explique. La grosse faille des pays en voie de développement et d'avoir marginalisé la femme et si l'on pouvait corriger cet élément, les autres indicateurs s'en ressentiraient. Si l'on fait de la discrimination positive au niveau de la lutte contre la pauvreté, la santé, l'éducation, on arriverait à des correctifs rapides et efficaces.
Dans le Sud, j'ai remarqué qu'il y dans la pratique un taux plus élevé de femmes qui parlent l'arabe et les langues étrangères français et espagnol que dans les autres régions. Le nombre de femmes qui ont fait le cursus primaire et secondaire et même supérieur est beaucoup plus élevé que dans le reste du Royaume même si la plupart des femmes ne travaillent pas ! On remarque que le taux démographique qui a beaucoup baissé est le même que dans les autres régions témoignant ainsi de cette transition démographique qui est réelle et qui donne 20 ans de grâce avant d'avoir à affronter les problèmes que posent une société gériatrique où le troisième âge est prépondérant !

Quand vous évoquez les cycles d'inflexion et de reprise, est-ce que vous entendez par là qu'il s'agit d'un développement en dents de scie ?

J'évoquerais plutôt des revers de médaille. Je suis économiste et nous avons une théorie économique qui parle de pôles de développement qui attirent très fortement les régions voisines. Quand j'étudie les éléments de migration internes entre les régions, le recensement nous fournit des taux de migration interne beaucoup plus important dans le Sud qu'ailleurs. Par exemple, nous avons un pourcentage dans la région de Dakhla de 20% de nouveaux venus entre les deux derniers recensements et de 15% dans la région de Laayoune, alors que le taux pour l'ensemble du pays est de 4% !

Cela s'explique par cette politique de nouvelles frontières et cette ruée vers l'eldorado, toute chose étant par ailleurs relative !

Oui ! L'attrait des régions du sud s'explique au regard des investissements considérables qui y sont réalisés notamment en terme d'élargissement de l'accès à l'emploi, aux services sociaux et à l'infrastructure de base. Mais cet afflux de population qui a des conséquences sur l'emploi et sur l'offre sanitaire et éducative et sur l'habitat nécessite une planification stratégique faute de quoi l'attractivité de ces régions et donc le développement humain risque d'en pâtir.
Il faut anticiper les pressions que les évolutions migratoires font peser sur ces régions. Toujours sur cette question de revers, Il y a un décalage interne entre les régions. Celle de Guelmim que je connais bien est à la traîne et les indices des espaces ruraux tirent vers le bas.
En parlant de développement régional dans son dernier discours, le Souverain a évoqué cet aspect de subsidiarité et de solidarité. Il faut un bon découpage des régions afin d'assurer à chacune des moteurs économiques qui puissent opérer cette redistribution à l'intérieur des régions et continuer à développer les infrastructures. Ce faisant, on assure un développement sur une base géographique ce qui permet à l'ensemble des populations de mieux s'intégrer par le biais notamment de l'exogamie, de la migration, des alliances matrimoniales. J'évoque cette question car il faut rappeler que prés de 200 000 personnes sur les 800 000 que comptent ces régions parlent le Hassania. Si les autorités ont décidé de mettre sur pied 3 régions c'est qu'il y a une volonté d'intégrer les populations au Maroc et de développer Tata grâce à la dynamique de Dakhla. Une politique de régionalisation fondée sur un découpage pertinent permet une dilution des pôles trop identitaires. On fait également en sorte que les propriétés gagnantes soient utilisées au moins à l'intérieur de ces régions.

Avec 2,7% de la population, ces régions produisent dites-vous 4% de la richesse nationale. Comment expliquez-vous cette dynamique alors que dans un premier temps on a toujours présenté ces régions comme des régions assistées ?

Il y a un potentiel de dynamique économique et sociale dans le tourisme, les phosphates et le secteur de la pêche. Par exemple à Dakhla, il y a un potentiel d'1 million de tonnes de poissons que l'on peut débarquer.
Or le poisson c'est l'or blanc, c'est une richesse exceptionnelle et actuellement on débarque moins de la moitié de ce potentiel ! Il y a l'artisanat sahraoui qui est produit sur place que l'on voit partout qui peut être un moteur de développement. Des camélodromes sont créés et sont une source de revenus.
Il y a donc toute une dynamique qui est créée et qui est le résultat de l'effort de l'Etat qui a été massif, volontaire et bien inspiré car les résultats en termes de croissance économique sont bien là. La partie agricole du PIB national est importante. Reste une question qui est posée : l'agriculture de subsistance est en train de compter ses jours or, elle intéresse des millions de paysans qui doivent être intégrés. Dans les provinces du sud on va sortir rapidement du primaire pour entrer dans le secondaire et tertiaire. On peut travailler sur des projets de société de savoir, je pense à l'Offshoring, aux Technopolis, aux calls-centers aux sociétés des nouvelles technologies car ces régions qui attendent les investissements du privé sont prêtes à décoller dans ce sens. Il y a une offre qui est là, présente pour les gens éduqués et les sociétés de Casablanca s'y intéressent déjà.

Scolarité qui augmente, transition démographique. Qu'en est-il de la pauvreté ?

La pauvreté telle qu'elle a été calculée dans la première carte de pauvreté par le HCP a donné lieu à l'INDH ; le HCP travaille sur une deuxième carte de la pauvreté présentée récemment lors de la rencontre internationale sur le développement humain organisée par M. Lahlimi et qui donne les mêmes résultats quant aux régions les moins pauvres qui sont Laâyoune, Dakhla même si Guelmim est un peu en retrait.
Ce qui est intéressant à voir, c'est l'évolution, le rythme du taux de diminution du taux de pauvreté qui est plus important que dans le reste du pays. Sur 20 ans, dans les trois régions du sud, les résultats sont remarquables avec un niveau de pauvreté qui était en 1984 de prés de 30% l'un des plus élevé du pays et qui est passé en 2004à 9,8% soit le taux le plus bas du Royaume.
Ainsi la pauvreté a reculé de plus de 66% sur 20ans dans les provinces du sud soit deux fois plus qu'à l'échelle nationale. Le rythme de décroissement de la pauvreté est supérieur, ce qui ne veut pas dire que la pauvreté a disparu.
Il faut au contraire multiplier les réseaux sociaux pour un travail de proximité auprès des vieux, des veuves, des foyers pauvres. Je donne dans le rapport beaucoup de tableaux comparatifs et j'explique les indicateurs utilisés comme l'indicateur Gini. La dynamique de réduction de la pauvreté montre qu'il faut corriger les dysfonctionnements régionaux, insuffler une dynamique plus forte dans les provinces de la région de Guelmim plus vulnérables et ruralisées La volonté d'encadrer les provinces du Sud, de les faire monter au niveau national est là, il faut assurer une même mise à niveau d'ensemble.

Je vous pose de nouveau la question, à quelles conclusions aboutissez-vous après ce constat sur la baisse de la pauvreté ?

Les provinces du Sud ont déjà atteint selon mes calculs, le niveau que le Maroc souhaite atteindre en 2015 et qui correspond aux objectifs du Millénaire ! Dans 5 ans le souhait du Souverain d'atteindre ce niveau sera exaucé dans les régions de Casablanca, Rabat et les provinces du sud. Quand le développement économique croit, c'est le cas avec cette dynamique de grands chantiers et d'infrastructures, la pauvreté régresse, l'offre de santé et d'éducation se renforce, le rythme de progression est lui aussi en croissance. Depuis 2000,les statistiques indiquent que le rythme d'accroissement du développement humain est de 2% mais on constate des déséquilibres à l'intérieur des provinces. On a toujours une forte dichotomie entre l'urbain et le rural, entre hommes et femmes.
Il faut d'autre part, faire en sorte que ces évolutions soient irréversibles. Statistiquement, je vois que les tendances accroissent les rythmes qui vont créer des niveaux où l'irréversibilité est créée. C'est ce que les économistes appellent le take-off !

La question des équilibres territoriaux à l'intérieur des provinces du Sud est également importante si l'on voit les récents événements qui ont eu lieu dans la région de Tata, sidi Ifni et Guelmim ?

Effectivement, la cartographie des IDH fait apparaître de forte dispersion territoriale de l'IDH et du PIB. Entre provinces, Guelmim et Tata par rapport aux autres provinces du sud mais aussi à l'intérieur d'une même province comme à Guelmim ou le rural est beaucoup plus pauvre que l'urbain. Le déséquilibre, défaveur de ces zones, de l'investissement public est de nature à engendrer des déséquilibres amplifiés en termes de santé, d'éducation, d'insertion sociale, d'activités …
Pourtant des espaces comme ceux de Guelmim et de Tata ne sont pas dénués d'atouts. Il y a des potentialités réelles dans le tourisme écologique, culturel, balnéaire. Des filières comme l'agrobiologie, les plantes aromatiques et médicinales ou le cactus pourraient insuffler comme tente de le faire l'agence, une dynamique de développement. L'économie oasienne longtemps abandonnée est en train de se transformer avec la plantation de palmier dattiers, d'essor touristique, avec les chameaux …
Plusieurs mesures ont été avancées avec les dernières visites royales à Ouarzazate et à Figuig : création de groupements pour le développement agricole pour assurer le relais de l'Etat en matière de gestion des ressources, diversification de l'économie agricole et promotion de l'emploi, amélioration du cadre de vie et réduction de la pauvreté,réhabilitation de la femme dans son rôle d'acteur économique et, enfin,réforme des dispositifs d'aide et de soutien..
Le tourisme, avec le logement chez l'habitant peut prendre le relais de l'agriculture dans les revenus des ménages. Il présente un fort potentiel mais le développement de ce secteur doit s'inscrire dans un souci de durabilité et ne pas perturber les équilibres des écosystèmes qui sont très fragiles. Il faut créer cette irréversibilité.

Au terme de ce rapport, quelles sont les grandes interrogations que vous vous posez, vous personnellement, vous l'observateur des évolutions du Maroc ?

La publication de ce rapport coïncide avec le discours royal sur la régionalisation et les questions que je me pose sont les suivantes: Faut-il mettre des institutions spéciales sur pied, les conseils régionaux fonctionnent ils-ont ils suffisamment de pouvoir.
La fiscalité sera-t-elle redistribuée. Les régions disposeront-elles de leurs propres capacités financières ?Il y a une déconcentration importante au niveau des régions qui disposent d'académies d'éducation, des référentiels au niveau de la santé …mais il y a un aspect qui est à peine utilisé et qui présente un fort potentiel, c'est la coopération décentralisée.
Lorsque je représentais le PNUD, j'avais engagé le ministère de l'Intérieur à faire un marketing des régions et à créer une synergie entre les universitaires, les élus, les techniciens, les administrations.. Pour dégager les attributs et les potentiels de chacune des régions et pour mieux se vendre avec un site web, une bonne communication. La régionalisation pourra être accompagnée d'une coopération décentralisée. Il y a là un gigantesque réservoir de coopération, car en Europe on donne les moyens. Il faut créer le réceptacle vivant solide bien organisé pour valoriser les jumelages entre les villes, les régions. Pour cela il faut des plans de développement régionaux pour faire du marketing territorial et c'est ce que je défends. C'est aujourd'hui le bon moment pour le faire.
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