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«L'Habitat : un levier de solidarité économique»

Le Réseau Habitat et Francophonie a tenu sa 42e session. Il s'agit d'un lieu de partage et d'échange créé à Paris en 1987 qui réunit des organismes professionnels du secteur de l'aménagement urbain et de l'habitat social des pays francophones.

«L'Habitat : un levier de solidarité économique»
Julie Fortier, Professeure à l'Université du Québec à Trois-Rivières
LE MATIN : Comment avez-vous appréhendé la diversité des définitions et des perceptions de l'habitat social à travers les différentes interventions des représentants des pays du Nord et du Sud ?

JULIE FORTIER:
l'exercice n'est pas facile et la compréhension peut différer d'un pays à l'autre. Une première différence se présente au niveau de la définition même de l'habitat social. Au Québec, nous distinguons «habitations sociales» subventionnées par l'État et destinées aux personnes qui ont des difficultés à se loger sur le marché privé et «habitations communautaires» qui réfèrent aux logements, qui sont de propriété collective privée et qui demeurent administrées par des acteurs issus de la société civile. Des présentations et interventions, j'ai pu percevoir que l'habitat social en Europe et en Afrique se concentre principalement sur des opérations de développement reliées à l'échelle urbaine et du quartier, tandis qu'au Québec l'on semble intervenir davantage au niveau de l'habitation même, ce qui rend le partenariat nécessaire et plus aisé à mettre en œuvre. Cette différence peut sans doute expliquer, du moins en partie, nos diverses perceptions de l'habitat social.

Revenons au cœur de notre sujet de l'économie sociale et de l'économie solidaire qui avec la crise économique et financière est un sujet de grande actualité. Quels sont les liens entre l'habitat social et l'économie sociale ?

La question «l'habitat social fait-il partie de l'économie sociale ? » a suscité beaucoup de questions. Selon M. Gleasner, en France, les organisations d'habitat social contribuent au développement de l'économie sociale par la construction de patrimoine, par l'auto construction sur des parcelles viabilisées, par l'aménagement et la rénovation urbaine, en tant qu'employeur socialement responsable par l'embauche et l'activité des salariés, par l'insertion des jeunes et de ménages, etc. Tel qu'il le précise : « Nous exerçons de fait un rôle et une responsabilité particulière en tant qu'acteur de l'économie sociale et solidaire et sommes identifiés par nos partenaires comme un acteur de l'équilibre social et du développement économique du territoire ». Cependant, selon la perception de M. Laurent, en Belgique, ces deux notions sont considérées séparément, bien qu'elles se côtoient lors de collaborations entre les acteurs de l'habitat social et les organismes communautaires ou associations.
En Afrique, on semble venir en réponse aux besoins universels de logements face à une urbanisation qui se déploie à grande vitesse. En Europe, on agit sous une logique de droit au logement où l'État s'est donné la responsabilité de loger les gens sans logis. Au Québec, se loger constitue une responsabilité individuelle sous l'influence du marché. L'intervention devient alors sociale afin de répondre aux besoins des exclus. L'approche résiduelle y prend donc tout son sens, axée sur les personnes à faible revenu, sur les personnes âgées, sur les familles et autres personnes vulnérables. Elle est alors centrée sur la prise en charge citoyenne et le soutien à la communauté. Nous avons d'ailleurs vu, lors des visites, de nombreux exemples reflétant le soutien communautaire et le développement social déployés dans les projets de revitalisation dite intégrée, que l'on parle des habitations Jean Nicolet ou de la Résidence pour personnes retraitées «Le Jardin».

Quel est le rôle et l'importance de la mission sociale des bailleurs sociaux ?

Malgré le questionnement sur le rôle des bailleurs sociaux, il apparaît indéniable que tous accordent une attention particulière à la mission sociale de leur organisation. Tel que précisé par un collègue du Maroc : « Le sens de la mission sociale débute à l'entrée du locataire ». Le travail du locateur social, du bailleur social ou de l'opérateur social prend toute sa signification lorsqu'il parvient à déployer un soutien aux personnes et au milieu. On parle ainsi d'une valeur ajoutée pour la profession. Les actions de Semsamar reflètent par ailleurs l'ampleur de la solidarité déployée dans le cas d'Haïti.
Précisons également en exemple les expériences concrètes de partenariat entre l'UQTR et les acteurs du milieu afin de mettre en œuvre des projets d'intervention communautaires. Ajoutons à ces exemples le partenariat entre l'OMH de Trois-Rivières et les organismes communautaires et les entreprises d'économie sociale du milieu qui nous ont été présentés lundi en après-midi, tels «Famille en action», «Femmes citoyennes en action» et «Multi-boulots» qui contribuent fortement au soutien communautaire et au développement des milieux de vie dans les habitats sociaux et communautaires. Pour la Société immobilière du Département de la Réunion, la participation des habitants demeure au centre des préoccupations. Plusieurs lieux et modes de participation qui visent à développer la citoyenneté chez les locataires ont été instaurés ,voisins solidaires, éco-voisins, associations de quartier, etc. Le loisir et la culture sont utilisés afin notamment de redonner la parole aux jeunes, de les mobiliser et de les valoriser. L'empowerment des citoyens est ici central : on vise le passage d'occupant au statut précaire, au statut de locataire, au statut de propriétaire.

Levier social, levier citoyen, il reste que le nerf de la guerre, c'est le levier financier ?

La question du financement demeure bien sûr, un levier déterminant. La crise économique actuelle nécessite une ingéniosité et des formes alternatives de contribution comme l'a souligné M. Glasner. Le manque de financement constitue un enjeu pour tous les pays, d'où l'importance de l'innovation et de la création. Nous avons eu la présentation de deux exemples d'innovations en matière de financement. Un premier cas au Québec par la mise sur pied de la fiducie du Chantier de l'économie sociale qui offre des prêts sans remboursement de capital avant 15 ans que l'on appelle «capital patient». Un second cas, celui de la Banque de l'habitat du Sénégal qui a pour domaine d'activité principal le financement de l'immobilier, en accession à la propriété, avec une priorité pour le logement social. Le cas de Semsamar reflète également l'innovation. L'importance de devenir créatif et de développer de nouveaux concepts immobiliers a été soulignée par M. Aubin des HPQ lors de notre visite au Domaine de la Rivière ouest, projet novateur unique au Canada».

Une question clef a accompagné les différentes sessions : «Peut-on mesurer, quantifier l'impact économique et évaluer les effets sociaux de la population de logement et d'habitat ?».

Il est aujourd'hui de plus en plus aisé d'identifier et de mesurer les retombées sociales de l'habitat. Une intervenante , Mme Germain nous a révélé quelques-unes d'entre elles : l'habitat comme source de sécurité, l'habitat comme condition préalable à tout effort de prise en charge individuelle et collective, l'habitat comme accès à une citoyenneté reconnue et effective. Les retombées économiques demeurent cependant plus difficiles à identifier. On note néanmoins la création d'emplois et les impacts sur l'économie locale.
Cette question doit toutefois faire l'objet de réflexions plus approfondies. Un thème d'actualité a été abordé régulièrement lors des présentations c'est celui du développement durable. Les moyens sont certainement différents et propres à la réalité de chacun, mais nous sentons une volonté de suivre le mouvement écoresponsable qui est au cœur des valeurs sociétales actuelles. À Trois-Rivières, il y eut intégration de la technologie verte lors de la rénovation ou de la construction de bâtiments. Lors de la mise en place de ses mesures d'aide en Haïti, Semsamar a pris certaines précautions afin d'assurer un respect de l'environnement. À Pas-de-Calais habitat, on spécifie que tous les logements neufs respectent les normes "Habitat et environnement » et que « tous les logements réhabilités sont aux normes BBC, c'est-à-dire Bâtiment basse consommation". Cette façon de faire est certainement en émergence.

Développement durable, mais aussi gouvernance participative ?

La concertation et le partenariat, outils de gouvernance participative, demeurent au centre de l'ensemble des projets présentés, bien qu'elle soit inégale d'un contexte à l'autre. Le développement communautaire, social, économique ou durable se veut ardu sans concertation et partenariat, sans d'autres acteurs qui nous accompagnent, sans la mise en commun de ressources de toutes sortes (professionnelles, techniques, sociales, physiques, financières, etc.), et sans la mise en commun de toutes les forces.
Mais attention ! Ne soyons toutefois pas dupes, la pratique de la concertation et du partenariat réunissant divers acteurs disposant chacun d'une culture organisationnelle qui leur est propre, demeure un défi.
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