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Hérésies et paradoxes en économie

Mohamed Berrada
Professeur à l'Université Hassan II Centre de recherches Links

Hérésies et paradoxes en économie
Drôle de monde que celui dans lequel nous vivons aujourd'hui, avec ses contradictions et ses paradoxes, alors qu'il est censé se distinguer par sa grande rationalité.

Il en est ainsi dans le monde de l'économie et de la finance. Regardons un instant ce qui se passe actuellement sur les marchés de change. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre brandit la menace d'un effondrement catastrophique de l'activité mondiale, comme dans les années 30, si les manipulations monétaires se poursuivent. Les dirigeants s'inquiètent du risque de voir éclater une « guerre des monnaies » susceptible de se muer en guerre commerciale et à un retour au protectionnisme. On se rappelle que le protectionnisme instauré par les Etats-Unis, après la crise de 29, n'a pas permis de relancer l'économie, mais au contraire, a aggravé la crise. Alors on s'inquiète.

On entre dans un tourbillon dans lequel les meilleurs économistes perdent leur latin. En dépit de tous les efforts consentis à coups de milliards de dollars par les pays avancés, la croissance ne repart pas. Le chômage reste à un niveau élevé, poussant les consommateurs incertains de l'avenir, à plus épargner. Les théories économiques classiques de relance ne fonctionnent plus. Et pourtant, jamais la planète n'a été autant inondée d'argent à des taux d'intérêt aussi bas, censés théoriquement relancer l'investissement et la consommation. Proches du 0% dans la plupart des grands pays industrialisés, du jamais vu! Même constat pour les taux d'intérêt à long terme : 2,50% à dix ans aux Etats-Unis, 2,90% en France, alors même que les émissions record d'emprunts du Trésor pour financer les déficits, également record, devraient en théorie les faire s'envoler. La vigie, du haut de son mât, devrait apercevoir les contours d'une nouvelle bulle financière qui arrive…. se rappelant que la crise des ''sub-primes'' avait pour origine l'excès de liquidités et la quasi-gratuité de l'argent. Logiquement, cette masse monétaire gigantesque devrait faire redémarrer l'inflation.

Ce n'est pas le cas. Jamais la planète n'a enregistré un niveau d'inflation aussi bas, alors que la base monétaire mondiale a littéralement explosé depuis 3 ans. Bien plus, les grandes Banques centrales, censées garantir la stabilité financière et incarner l'orthodoxie monétaire, recourent comme si de rien n'était à ''la planche à billets'' pour financer la dépense publique.
Les Etats-Unis, par exemple, n'ont pas de problème pour financer leur nouveau programme de relance économique : ils émettent tout simplement des bons du Trésor, rachetés par la FED.

On parle de politique d'assouplissement quantitatif, « quantitative easing ». Du jamais vu encore ! La Réserve fédérale rachète des bons du Trésor en échange de l'impression de nouveaux dollars. Un recours sans bornes à ''la planche à billets ''! Et ce n'est pas pour faire baisser le dollar comme le croient les Européens ! C'est pour maintenir les taux d'intérêt à long terme bas, en vue de relancer l'économie américaine et baisser le chômage. Ainsi, les Etats-Unis, pays « sans assez d'épargne », financent leurs déficits internes et externes avec leur propre monnaie, et personne ne trouve rien à redire. La politique budgétaire a ses limites. Elle a provoqué un niveau d'endettement jamais atteint, nécessitant une politique à contrecourant de réduction drastique des déficits publics.
Il y va de la crédibilité financière des pays concernés et de leur potentiel de croissance. Ce qui se passe en Angleterre et en Allemagne est instructif. Les populations acceptent résignées des coupes budgétaires considérables. 90 milliards d'euros et 500.000 emplois supprimés en Angleterre.

Mais la réduction des déficits publics suffira-t-elle à relancer l'économie ? Car pour cela, il ne s'agit pas seulement de réduire les dépenses, mais d'augmenter aussi les recettes fiscales, qui, elles, sont liées étroitement à la croissance économique.
Alors on cherche d'autres instruments pour relancer la machine économique, et en particulier l'instrument du taux de change. Laisser filer sa monnaie pour doper ses exportations et protéger son marché intérieur, c'est-à-dire ses salariés. Chaque pays veille en permanence à son niveau de compétitivité en surveillant les cours de change de sa monnaie par rapport à celle des autres pays. Triste spectacle où les pays industrialisés, censés gouverner avec sagesse le monde économique, se rejettent la responsabilité de la crise et s'accusent mutuellement de manipulation de leurs devises, pour gagner quelques parts de marchés. Les leçons tirées des théories économiques libérales et de l'orthodoxie financière, longtemps administrés aux pays endettés des années 80, comme le Maroc, sont désormais des vestiges du passé. L'égoïsme et le « chacun pour soi » prédominent dans la mise en œuvre des politiques économiques. Le Japon s'inquiète ainsi de la vigueur du yen parce qu'il détériore son climat des affaires. Il passe à l'offensive. Il accuse la Corée du Sud d'intervenir pour faire baisser le won. Les pays émergents, dont les exportations constituent le moteur de la croissance, s'insurgent, au moment même où les pays industrialisés leur reprochent de freiner artificiellement l'appréciation naturelle de leurs devises.

De leur côté, les Européens s'agacent tout bas de voir les Etats-Unis laisser filer leur monnaie. Ces mêmes Etats-Unis qui accusent la Chine, de manière sporadique, de maintenir le yuan artificiellement bas, alors même que les deux pays, vivant ''en concubinage'' depuis bien longtemps, ont conclu un deal tacite pour se soutenir mutuellement, « vous achetez mes produits et je vous finance ! », chacun trouvant son compte dans cette situation. Si la Chine a relevé de 0,25% ses taux directeurs, ce n'est pas pour réapprécier sa monnaie et faire plaisir au reste du monde, mais pour faire face aux menaces d'inflation.
« China-American connexion » ! La Chine veille au renforcement du dollar ! Comble de paradoxes, voici le pays le plus riche au monde, les Etats-Unis, et qui possède les entreprises les plus innovantes et les plus puissantes, sauvé par les achats de bons du Trésor américain, effectués par une Chine classée 99e au niveau mondial en termes de richesse par habitant.

Si la croissance ne repart pas, c'est parce que le monde n'a pas intégré la nécessité de construire une vision globale et cohérente de ce qu'on veut devenir. C'est parce que plus que jamais le monde est devenu interdépendant, et plus que jamais il a besoin de solidarité. Manque de coordination des politiques économiques. Chacun pour soi.

Les approches compartimentées nous rendent perplexes et conduisent aux paradoxes. Tout est lié : les pays, les secteurs, les hommes, les politiques. Concentrer son attention uniquement sur les aspects budgétaires ou monétaires, pour sortir de la crise, ne suffit pas. Les facteurs politiques ou géopolitiques, comme la situation en Iraq ou en Palestine, ont une part de responsabilité dans la crise économique actuelle. Dans le monde d'aujourd'hui, on est envahi par les préoccupations d'ordre matériel, et on oublie qu'au centre de tout, il y a l'Homme et son bien-être, mais aussi ses sentiments et sa complexité .
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