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Longue coexistence judéo-musulmane

Youssef Chiheb
Expert en développement territorial auprès du Programme des Nations unis pour le développement (PNUD), professeur d'Université Paris Nord XIII et directeur du master ingénierie de développement.

Longue coexistence judéo-musulmane
L'antisémitisme, propre à l'Europe chrétienne, puise ses ressources dans les vieux contentieux judéo-chrétiens (mort du Christ, Inquisition, la Shoah, le révisionnisme, et tout récemment l'appropriation politique du problème palestinien par une frange de l'extrême gauche en quête de nouveaux gisements électoraux). Un tel climat d'escalade, de confusion et de dérives sémantiques pose avec acuité la véracité du fondement ou pas d'un antisémitisme réactivé par les Musulmans d'Europe. Le débat a franchi une ligne jaune pour s'inscrire dans une contre-vérité historique, productrice de distorsions et de confusions au regard de l'inflation sémantique propre à ce débat : antisémitisme, antisionisme, antijudaïsme, anti-Israël, anti-occupation, etc. De vraies interrogations fondamentales et non fondamentalistes ont été éclipsées ou esquivées par les intellectuels de tout bord : Les Musulmans sont-ils historiquement antisémites ? L'Islam fut-il impliqué, avant la crise proche-orientale, dans ce fait politique récurrent ? Y eut-il dans l'histoire du Maghreb une tradition antisémite ?
Le piège médiatique, le discours communautaire et les dérapages sémantiques ne favorisent guère la sérénité nécessaire au débat tant que l'approche historique de la cohabitation judéo-musulmane séculaire n'est pas prise en compte. La coexistence des deux composantes cultuelles remonte au VIe siècle avant même l'avènement de l'Islam en Arabie.

Une telle profondeur historique peut être scindée en plusieurs phases majeures marquant chacune un tournant dans les relations judéo-musulmanes. La présence du judaïsme en terre d'Arabie remonte, de manière significative, selon quelques résidus archéologiques, à la fin du VIe siècle de notre ère. Dans une Arabie idolâtre, tribale et profondément nomade, les minorités juives sédentaires et commerçantes se sont installées au cœur des deux villes emblématiques La Mecque et Médine. Les deux centres urbains étaient prospères (commerces divers – fabrication de statuettes dédiées à la gloire des idoles vénérés par les bédouins).
L'Islam comme le Judaïsme prescrivent aux fidèles l'unicité de Dieu, l'interdiction de la consommation de la viande de porc, l'obligation du sacrifice rituel (Kacher – Halal), la circoncision des hommes dès leur jeune âge, la prédication et la propagation de la parole de Dieu dans une société idolâtre. Dans un contexte, endogènement hostile à l'Islam, le Prophète lança sa première offensive contre les impies bédouins tout en ratifiant des accords stratégiques avec ses amis juifs, dont le marchand d'armes Samuel qui fut un allier de poids.

En dépit des étendues territoriales des quatre régions, leur soumission au pouvoir central de Médine et plus tard à Damas n'a demandé que trente ans. En revanche, l'islamisation et la soumission du Maghreb se sont étalées sur plus de soixante-dix ans. L'absence de pouvoir politique et militaire étatisé en Palestine facilita la tâche aux musulmans, qui se sont approprié les villes emblématiques, notamment Al-Qods, devenue dès lors le troisième lieu saint de L'Islam. La poussée de l'Islam vers l'Ouest s'est heurtée à de nouvelles difficultés d'ordre topographique, linguistique, anthropologique et identitaire de nature à freiner ou à ralentir la progression des troupes arabo-musulmanes. La population berbère s'étant habituée aux vagues successives d'invasion, s'est battue contre les effets indirects de l'islamisation. Le Khalife Omeyyade trouva la parade politique pour contenir, voir anéantir cette résistance. Ce fut le projet de la conquête de l'Espagne par un chef de guerre berbère. Pour la première fois de l'histoire, les deux religions se trouvent en terre chrétienne loin de leur berceau historique respectif. Les musulmans se sont installés dans une Andalousie transformée, au fil du temps, en asile où la tolérance, le savoir-vivre, les auditoires scientifiques attiraient la noblesse citadine chrétienne en quête de raffinement et les savants européens persécutés par une Eglise inquisitoire.

L'assimilation de Juifs européens conduisait, au fil du temps, à l'émergence de Juifs Arabisés (sépharades) imbriqués dans le corps social et linguistique arabo-musulman. Cette cohabitation durera près de sept siècles jusqu'à la chute de la dernière enclave musulmane en Espagne. L'offensive des troupes de la reine Isabelle et les changements géopolitiques suite à la découverte des Amériques furent deux évènements majeurs dans le destin islamo-juif d'Andalousie. L'Espagne chrétienne triomphante ne pouvait tolérer sur ses territoires conquis la présence de religions autres que celle du Christ. Ce fut le début du terrible processus de l'Inquisition. Dans une Espagne revitalisée par les Croisades, dopée par la découverte de Christophe Colomb et purifiée par la chute du royaume de Cordoue, les Juifs et les Musulmans n'avaient guère le choix que de se replier sur le Maghreb. La France post-guerre est sortie affaiblie, déconsidérée et profondément marquée par les stigmates de la collaboration pendant qu'un air de liberté ne cessa de souffler sur les dunes de Tunisie, les Aurès d'Algérie et l'Atlas du Maroc. Les Juifs trouvaient peu de places dans cette dichotomie monothéiste qui sonna le début de la fin de cette cohabitation séculaire entre les fils d'Abraham.

La rupture entre Juifs et Musulmans atteint son point critique au moment de la guerre d'Algérie où l'écrasante majorité des juifs se prononçaient pour une Algérie française, alors que le vent de l'indépendance ne cessa de repousser les limites d'un empire colonial agonisant.
Pendant ce temps, les juifs du Maghreb ont été tiraillés par l'attachement à leurs racines maghrébines, leur pays adoptif : la France et leur Etat de cœur naissant, Israël. L'érosion, accélérée par le conflit au Proche-Orient, a fini par ronger cet héritage de l'Histoire de l'humanité.
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