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Pour une compétition universitaire à armes égales

Mohamed Berrada
Professeur à l'Université Hassan II et président du Centre de recherches LINKS.

Pour une compétition universitaire à armes égales
Notre pays connaît une croissance économique forte et régulière au cours des 10 dernières années, tirée par la demande intérieure. Des chantiers structurants d'infrastructure et des stratégies sectorielles ont été mis en œuvre. Si sur le plan économique, notre pays a fait des avancées indéniables, il n'est pas certain que ces progrès puissent se poursuivre s'ils ne sont pas accompagnés de progrès similaires dans les autres domaines de la vie sociale. Car en définitive tout est lié. Evidemment, l'éducation et la formation constituent le facteur essentiel du développement économique et de la compétitivité.

Or le processus d'ouverture commerciale engagé par notre pays risque de mettre à mal notre tissu industriel, dans la mesure où les pays concurrents ont mis en place depuis bien longtemps un système éducatif performant. Le déficit structurel de notre balance commerciale découle de la faiblesse de notre compétitivité et de notre système éducatif. Inutile de disserter sur nos retards en matière d'éducation : 43% de la population est analphabète. Et sur 100 enfants qui entrent en primaire, à peine 3 sortent diplômés du supérieur. L'abandon scolaire et le redoublement sont les tares de notre système.

La conscience de ce retard a entraîné la mise en œuvre d'une grande réforme fondée sur une approche systémique, au début de cette décennie, accompagnée d'un dispositif institutionnel impressionnant. Comme toute réforme, ses effets apparaissent sur le long terme. Mais pour renforcer et accélérer le processus de transformation de notre système éducatif, un programme d'urgence, s'étalant de 2009 à 2012, a été élaboré. Du jamais vu sur le plan de la volonté d'aller de l'avant. Les orientations Royales sont présentes.

Incontestablement, les premiers résultats sont là : les taux de scolarisation s'améliorent, les abandons diminuent, les filières scientifiques se remplissent. C'est que les moyens financiers mis en place sont considérables : un budget de 50 milliards de dirhams, avec un rythme de réalisation deux fois plus rapide qu'avant. Ce programme d'urgence concerne aussi l'enseignement supérieur, avec des objectifs ciblés : autonomie des universités, meilleure gouvernance, professionnalisation des filières, promotion de la recherche scientifique… des objectifs qui vont se trouver malheureusement contrariés sur le terrain par des mentalités archaïques et des résistances au changement!
De nombreux pays ont compris que les universités constituent le fer de lance de la compétition internationale.

Par la création du savoir et sa transmissionaux étudiants, par le développement et la valorisation de la recherche, par l'identification, l'élargissement et le renouvellement des élites, les enseignements supérieurs sont à la pointe de l'évolution des sociétés modernes.
Au XXIe siècle, ce sont les activités à forte productivité et à valeur ajoutée élevée qui tirent la croissance de l'économie et favorisent le progrès social et le rayonnement. Dans un monde globalisé, la compétition économique se double d'une compétition universitaire globale. Ainsi, des pôles universitaires à vocation mondiale cherchent à accueillir les meilleurs étudiants et les meilleurs professeurs.

Aux Etats-Unis, les grands pôles universitaires jouent pleinement ce rôle : 40% d'étudiants étrangers au MIT (niveau graduate), 30% à Stanford. Dans ce pays, la moitié des thèses dans le domaine des sciences et des technologies est soutenue par des étudiants non américains, qui incarnent déjà une part importante de l'effectif des laboratoires de recherche. Dans ce contexte, l'enseignement supérieur polarise les flux migratoires de personnels hautement qualifiés et profite, dans ces pays, à la population active avec des éléments dynamiques, créateurs de richesses et d'emplois.

Une fraction importante des étudiants étrangers reste dans le pays d'accueil, tandis que d'autres migrent vers d'autres cieux, tout en continuant à tisser des liens culturels et économiques avec le pays d'étude. Et nous au Maroc, comment peut-on aborder la compétition mondiale à armes égales ? Notre enseignement supérieur n'est malheureusement pas en situation d'affronter la compétition internationale, c'est-à-dire d'attirer et de former les meilleurs étudiants.

La proportion d'étudiants étrangers, et plus encore de professeurs étrangers dans nos établissements, est insignifiante. Marocanisation oblige ! Même les pays africains francophones nous boudent. Bien plus, de nombreux étudiants marocains - et c'est une bonne chose – partent à l'étranger pour étudier ou compléter leur cursus national pour obtenir un diplôme reconnu sur le plan mondial. Mais souvent les meilleurs restent dans le pays d'accueil et contribuent à son développement. Une perte nette pour le Maroc ! En revanche, les flux inverses vers notre pays sont inexistants. Or, pour un pays donné, le nombre et la qualité des professeurs et étudiants étrangers attestent du pouvoir d'attraction dont bénéficient l'institution et, plus largement, la culture et la civilisation.

Cette faiblesse touche aussi bien nos grandes écoles que nos universités. Ce n'est pas seulement la qualité de l'enseignement dispensé qui est en cause, mais son mode de gouvernance. L'autonomie de l'université existe bien sur le papier. Mais si l'autonomie est, certes, une condition nécessaire à l'évolution profonde de notre système d'enseignement supérieur, elle est toutefois illusoire et contre-productive si elle ne s'accompagne pas d'un préalable trop souvent passé sous silence : une bonne gouvernance des universités. Le lien entre «autonomie» et «gouvernance responsable» est rarement évoqué car il dérange.

Gouverner, c'est définir une vision, des objectifs et avoir les moyens de les atteindre. Gouverner, c'est avoir les moyens humains et matériels avec tous les pouvoirs de décision nécessaires. Gouverner, c'est avoir la capacité de s'adapter rapidement aux évolutions du monde. Gouverner, c'est investir en flexibilité, c'est mettre en place un système d'intelligence collective. Gouverner, c'est privilégier la vision globale dans le respect de l'unité, c'est créer des synergies entre les disciplines, les enseignants et les étudiants des différentes institutions à l'intérieur de la même université.

Car c'est par l'ouverture, par la différence qu'on s'enrichit. Nos institutions restent fermées sur elles-mêmes, jalouses de leur isolement.
Il faut encore beaucoup de temps pour que les habitudes ou le vécu sur le terrain puissent intégrer ces comportements. Le nouveau classement mondial des 200 meilleures universités, établi par le mensuel britannique « Times Higher Education THE », ne déroge pas à la règle qui prévaut depuis la mise en place des premiers en 2003. Tout comme le classement de Shanghai, publié en août 2010, le palmarès de THE classe en tête de liste les universités anglo-saxonnes, alors que seules 4 universités en France, notre premier partenaire dans tous les domaines, figurent dans ce Top 200.

Ne nous voilons pas la face ! Au cœur de ces performances : une gouvernance dynamique et flexible basée sur l'autonomie et l'indépendance, une intégration naturelle dans le tissu économique, la qualité qui prime sur la taille, l'accueil d'une élite homogène et donc le recours à la sélection, des dotations financières considérables, mais surtout le rôle de la recherche.

On peut critiquer ces classements et dire que chaque pays a ses spécificités. Mais dans la mesure où nous naviguons dans un monde marqué par les interdépendances et les réseaux, nous devons regarder ce qui se passe autour de nous. Les comparaisons nous poussent à nous améliorer. Nous faisons certainement de bonnes réformes, mais souvent elles sont dépassées, car le monde a évolué encore plus vite. Alors si l'esprit de compétition est porteur de transformation, créons dans une première étape un esprit de concurrence entre nos universités, à l'instar de ce qui se passe en économie. Car finalement, pour assurer une certaine cohérence du système, ne faudrait-il pas lier les parties par quelques principes communs de base?
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