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«Passer de régions assistées à une régionalisation par le développement»

«Passer de régions assistées à une régionalisation par le développement»
Philippe Clerc. Driss Guerraoui.
L e mois de novembre serait il le mois de l'Intelligence économique en Afrique ? On compte en effet plusieurs colloques sur cette question organisés à Dakar, Libreville, Abidjan, Dakhla et …Alger. A Dakhla et Alger, les Assises de l'intelligence économique ont lieu à la même date du 21au 23 novembre et dans la capitale algérienne, la question de l'approche stratégique de développement de l'information et de la société de l'information dans le bassin euro méditerranéen sera même au cœur des débats ! En attendant donc des assises maghrébines sur l‘Intelligence économique, qui nous permettraient de bâtir un Maghreb prospère et sûr, la rencontre de Dakhla anticipe et traite de «L'intelligence territoriale et développement régional par l'entreprise». A la veille du rapport de la commission nationale sur la régionalisation, la conférence qui se tient sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi, prend tout son intérêt à la lumière de l'actualité des événements de Laâyoune.

Les conclusions que pourraient proposer les représentants d'entreprises, des réseaux d'entreprises, des universités, des agences de développements, des investisseurs et bailleurs de fonds, des chambres socioprofessionnelles et des décideurs publics locaux et centraux présents à Dakhla devraient s'articuler autour de problématiques clefs : comment renforcer la place centrale de l'entreprise  et de la dynamique entrepreneuriale dans les stratégies de développement des régions ? Comment intégrer les politiques d'intelligence territoriale au service de l'innovation et du développement régional ? Comment passer d'un développement régional par l'assistance à une régionalisation  par le développement ?. Plusieurs expériences internationales comparées d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Asie, d'Europe et des Iles Caraïbes, seront présentées à la rencontre de Dakhla.

Qui sera selon les organisateurs d'une « importance cruciale pour la réflexion marocaine actuelle en matière de régionalisation avancée ». Durant ces deux journées, du 22 et 23 novembre, un aréopage d'experts des ministères, des universités, des associations, des agences de développement et de l'OCP débattront de questions stratégiques, comme les dynamiques de territoires, les dynamiques régionales entre la concurrence et la coopération, la sécurité économique des territoires, le financement de l'attractivité des territoires.. , tous ces chaînons d'une politique d'intelligence territoriale réussie … .

Cette rencontre sera également l'occasion de la signature de plusieurs conventions de coopération à la faveur du développement de la région, ainsi que de la remise du Prix de partenariat Entreprise- Université-Région récompensant les entreprises, les universités et les institutions de recherche qui se sont distinguées au service de la compétitivité de leurs régions d'implantation. A l'occasion de la rencontre internationale de Dakhla, «Le Matin» a organisé une Table ronde avec Driss Guerraoui, président de l'Association d'Etudes et de Recherches pour le développement (AERED) et Philippe Clerc, président de l'Association internationale francophone d'Intelligence économique.
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Table ronde avec Driss Guerraoui, président de l'Association d'études et de recherches pour le développement (AERED)et Philippe Clerc, président de l'Association internationale francophone d'intelligence économique.

En marge de la Conférence internationale de Dakhla organisée du 22 au 23 novembre sous le thème «Intelligence territoriale et développement régional par l'entreprise».

LE MATIN : La rencontre de Dakhla porte sur « l'intelligence territoriale et le développement régional par l'entreprise ». Pourquoi le choix de ce thème précis ?

Driss Guerraoui :
Il y a plusieurs raisons qui ont présidé au choix de ce thème. D'abord parce qu'on ne peut pas aujourd'hui réussir le développent des territoires sans bâtir une économie régionale solide et compétitive capable de générer la production de richesses indispensables pour couvrir les besoins croissants de populations entière en termes d'emploi, d'éducation, de santé, de logement, de transport, de route, d'autoroutes, de ports, d'aéroports, d'énergie, d'eau à usage domestique, agricole et industriel, de culture, de loisirs et de préservation de l'environnement, extension des espaces verts, assainissement, ramassages des ordures ménagères, notamment. Cette perspective est devenue indispensable, voire incontournable particulièrement dans le contexte de nos économies actuelles marqué par la raréfaction progressive des ressources, la complexité de la gestion de territoires, une complexité qui génère de plus en plus des formes nouvelles d'insécurité à la fois économique et non économique que posent l'accroissement d'une urbanisation rapide et non maîtrisée et les mega-cités qu'elle induit. De plus, l'analyse comparée des expériences menées de par le monde en matière d'attractivité et de compétitivité des territoires dans une économie globale et ouverte nourrit une concurrence réelle entre régions, incitant à repenser en des termes nouveaux l'articulation entre intelligence territoriale et développement régional par l'entreprise.
Dans ce cadre, plusieurs impulsions et signaux sont venus confirmer la nécessité d'une telle réflexion et d'un tel échange à destination des acteurs des milieux innovateurs : les entreprises, les réseaux d'entreprises, les universités, les agences de développements, les investisseurs et bailleurs de fonds, les chambres socioprofessionnelles et les décideurs publics locaux et centraux. Ces impulsions et ces alertes sont clairement identifiées dans des travaux de réflexion et d'analyses récentes, de même que dans la formulation des politiques publiques industrielles et technologiques, notamment depuis les cinq dernières années. Aussi, un bilan mené à partir de la mise en perspective d'expériences internationales comparées s'avère indispensable pour une meilleure préparation de l'avenir du management de nos territoires. A l'heure où le Maroc est à la recherche de son propre modèle de régionalisation avancée à partir des provinces sahariennes du Royaume, cette rencontre vient à point nommé pour accompagner la réflexion et l'action nationales en cette matière, réflexion et action confortées par le discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI du 6 novembre courant à l'occasion du 35e anniversaire de la Marche verte.

Diversité des acteurs, identification de nouveaux modes de management…Est-ce qu'on peut d'ores et déjà avoir une idée sur les tendances majeures identifiées ?

Philippe Clerc :
Une esquisse de l'état de l'art à ce niveau et une première évaluation de ces politiques révèle l'émergence et le développement de comportements stratégiques des acteurs des régions confrontés à de nouvelles conditions et des formes de concurrence souvent inédites. En tendances saillantes, il s'agit particulièrement du rôle central de l'entreprise et des dynamiques entrepreneuriales et de la montée en puissance de l'intelligence stratégique comme mode de management des situations de développement régional et de la formalisation de politiques publiques d'intelligence territoriale.
Par ailleurs, dans les rapports des organisations internationales compétentes en matière d'aide au développement ou d'appui au co-développement, nous pouvons noter une orientation très claire plaçant les entreprises, les grappes d'entreprises au cœur des nouvelles dynamiques de croissance ou de rattrapage du retard technologique et manageriel. A cet égard, l'Assemblée générale de la Conférence permanente des Chambres de commerce africaines et francophones, tenue en novembre 2009 à Abidjan, a permis d'apporter un éclairage empirique comparé novateur à partir de la mise en perspective de la relation entre « territoires, grappes d'entreprises et intelligence stratégique ». En complément à toutes ces initiatives, des réflexions approfondies ont été lancées à l'échelle européenne comparant le management stratégique de 250 régions européennes, où le rôle des pôles de compétitivité et de l'intelligence stratégique y apparaît essentiel. Deux constats majeurs ressortent de ces différentes réflexions et expériences. Le premier est relatif à la place centrale de l'acteur « entreprise » et de la dynamique entrepreneuriale dans les stratégies de développement des régions et dans le développement des milieux innovateurs. Le second est relatif au besoin de mise en œuvre d'un management stratégique du développement régional guidé par les techniques de l'intelligence économique et conduisant à mettre en place des politiques d'intelligence territoriale au service de l'innovation.

Changement, mutations du rôle des Etats, des collectivités locales, des acteurs…Les premières tendances montrent que les conditions et les formes de concurrence entre les régions et les territoires connaissent des changements très profonds. Quelle analyse en faites-vous ?

Philippe Clerc :
En effet, l'exacerbation des concurrences entre villes et régions, au sein des univers économiques et sociaux des pays développés, entre régions et territoires du Sud, mais aussi entre régions du Nord et du Sud est une réalité quotidienne pour les décideurs et les acteurs de ces écosystèmes. Les champs de force s'organisent au gré des dynamiques discontinues, voire contradictoires entre polarisations et éclatements. Un phénomène se fait jour croisant de « convergence globale et divergences locales ». Cette dynamique générale se traduit par, d'un côté, des « effets d'agglomération cumulatifs » (migrations du travail et des compétences, relocalisations d'entreprises ou création de clusters et de grappes) là où le capital social, « le génie collectif » est attractif, et de l'autre par des « effets de défaillances cumulatives » (économiques, sociales, culturelles et institutionnelles) dans les régions mobilisant difficilement le capital social et l'intelligence collective. De ce fait, certains observateurs avisés ont vu poindre dans ce contexte nouveau une tension majeure entre modes de développement régional, dont deux sont essentiels.
La dynamique de développement régional endogène, tout d'abord, dans laquelle «la composante sociale, partenariale et ascendante» est le moteur, le levier, mais dont l'efficacité est encore faible, en raison d'une formalisation faible du processus stratégique. La dynamique de développement régional exogène en second lieu, dans laquelle la logique d'attractivité est centrale et où la compétitivité et la performance globale se fondent sur « la réappropriation à des fins concurrentielles des facteurs immatériels » tels que le capital social, les pratiques culturelles et le « génie collectif ».
Les enseignements tirés des expériences comparées dans ce domaine favorisent une démarche fondée sur la nécessaire articulation entre les deux approches par les stratèges régionaux.
Les enjeux mondialisés du développement redonnent une légitimité forte aux systèmes locaux d'innovation au sein desquels les entreprises apparaissent comme un moteur déterminant entraînant les autres acteurs de l'écosystème. Le pilotage de ce croisement, sa mise en stratégie nécessite une réflexion approfondie qui ne pourra se déployer et s'enrichir qu'au travers d'une analyse comparée d'expériences animées par des cultures de développement régionales diversifiées, latines, anglo-saxonnes, méditerranéennes, africaines…

Est-ce que cela voudrait dire que les décideurs et développeurs régionaux ont impérativement besoin de nouvelles grilles de lecture et de nouveaux modes opératoires ?

Philippe Clerc :
En effet, à contexte nouveau, contraintes nouvelles, menaces nouvelles et défis nouveaux, et par voie de conséquence une gouvernance nouvelle du changement et ce à deux niveaux : d'un côté en envisageant, en connaissance de cause, à la fois les mutations industrielles, les ruptures technologiques, les fractures sociales et les chemins de la croissance et, de l'autre, en évitant les situations de dépendances stratégiques. Ce qui suppose, voire impose aux décideurs publics et privés locaux et nationaux d'évaluer l'impact des options stratégiques et les sources de risques induits. Une telle démarche nécessite à son tour une acuité informationnelle et une capacité de manœuvrabilité que seule une fluidité dans les systèmes d'aide à la décision rend possible. L'intelligence territoriale en tant que produit des organisations et des méthodes innovantes s'avère très adaptée et appropriée à cette urgence.

Que peut-on, dans cette logique, attendre de la rencontre internationale de Dakhla dans ce cadre ?

Driss Guerraoui :
Partant de ce qui précède, la rencontre internationale de Dakhla va tenter de croiser l'intelligence territoriale envisagée comme stratégie publique et collective d'appui à la coproduction du développement régional aux logiques de développement territorial par l'entreprise. Elle sera originale à deux titres. Par son entrée « entreprises » et par l'étalonnage des expériences internationales qu'elle proposera, la région et la territorialisation du développement étant le dénominateur commun de cette démarche.
Dans cette perspective, les experts, les chercheurs, les acteurs publics et privés, locaux, régionaux, nationaux et internationaux, les entreprises et réseaux d'entreprises, les agences régionales de développements, les associations socioprofessionnelles et les institutions internationales qui y ont été conviés vont présenter les stratégies d'intelligence territoriales, leurs enjeux et perspectives et ce à travers l'analyse et le questionnement d'expériences aussi diverses, pertinentes et riches en enseignements telles que celles du Brésil, d'Argentine, de Chine, du Canada, des Etats-Unis, d'Allemagne, de France, d'Italie, du Vietnam, des Iles Caraïbes, de Bulgarie, de Serbie, des Emirat Arabes Unis, du Maroc, de Tunisie, de Mauritanie, du Sénégal et du Burkina Faso. Les conclusions de cette rencontre devraient, dans cette perspective, apporter un éclairage utile pour les décideurs régionaux sur les freins et les leviers qui facilitent le développement des régions et de leur veille territoriale; l'entreprise (grands groupes et PME) jouant un rôle majeur dans cette dynamique, en tant que porteurs de projets « socialisés » occupant la place de catalyseur dans le développement territorial. Partant de là, la rencontre internationale de Dakhla devrait recentrer dans ce contexte les « invariants » à partir desquels les stratégies d'intelligence territoriales pourront se déployer.
Fait important à signaler, enfin, cette rencontre, dont les travaux vont être couronnés par l'Appel de Dakhla, va essayer de donner corps aux conclusions et aux enseignements qui seront tirés en mettant à contribution les réseaux internationaux de régions, d'agences de développement, de Chambres professionnelles, d'organisations non gouvernementales et d'Universités œuvrant dans le domaine de l'intelligence économique et de la veille territoriale à la faveur de projets pertinents de partenariat. C'est l'un des objectifs essentiels que nous avons assigné à cette importante manifestation et ce dans un souci de mettre la réflexion stratégique partagée et l'intelligence collective de ces réseaux au service du développement territorial.

Vous avez suivi avec beaucoup d'attention les récents événements de Laâyoune. Est-ce que la rencontre de Dakhla peut aider à comprendre les soubresauts qu'a connus cette ville ?

Driss Guerraoui :
Le rôle des scientifiques, des experts et des développeurs est justement de proposer des lectures possibles des événements sociaux et des crises, quelle qu'en soit la nature, que vivent des sociétés données à un moment donné de leur histoire, en vue d'éclairer les décideurs sur les perspectives de solutions possibles à ces crises.
La rencontre internationale de Dakhla ne dérogera pas à cette mission noble et responsable du scientifique, du chercheur et de l'expert.

Quelle lecture faites-vous personnellement de ces événements ?

Driss Guerraoui :
Pour ce qui concerne les derniers événements qu'a connus la ville de Laâyoune, ma conviction est double. Ces évènements sont le produit d'une instrumentalisation évidente d'éléments activistes sahraouis introduits par le polisario et l'Algérie dans la foulée des mouvements de retour de familles entières des camps de Tindouf. L'objectif majeur de cette opération d'instrumentalisation est de perturber les avancées réalisées à l'échelle internationale par la proposition marocaine d'autonomie élargie d'un côté et de l'autre de créer des situations humainement sensibles sur le terrain à même de permettre une manipulation de l'opinion publique internationale, axée et ciblée autour de thématiques elles aussi sensibles comme les droits de l'homme et les libertés, y compris de la presse. Maintenant que cet épisode est clos et que ces événements ont été totalement maîtrisés, l'heure est à l'analyse des enseignements à tirer et à l'élaboration de stratégies appropriées pouvant garantir pour l'avenir, de façon durable et anticipative, à la fois la paix sociale et la sécurité. La deuxième raison, certainement la plus profonde est que ces événements sont l'expression d'un réel et profond malaise et d'un mal développement que vivent des franges importantes de la population, notamment les jeunes et ce malgré l'effort national solidaire colossal fournit par l'Etat. Un indicateur très significatif de ce malaise et de ce mal développement permet d'éclairer cette réalité.
C'est celui du taux de chômage des jeunes dans les provinces du Sud. En effet, malgré le dynamisme économique qu'a connu la région ces 20 dernières années, la dynamique démographique impulsée par l'amélioration de l'indice de développement humain dans les provinces du Sud, comme l'atteste toutes les études, et la dynamique croissante induite par le retour de familles entières des camps de Tindouf font que la population active de 15 à 59 ans connaît une croissance sans commune mesure avec les possibilités de création d'opportunités nouvelles d'emploi par l'ensemble des secteurs économiques de la région. Aussi et à titre d'illustration, si la population active en âge de travailler a augmenté entre 2000 et 2006 à un rythme annuel moyen de 1,1% à l'échelle nationale, celle des provinces du Sud l'a été à un rythme de 5,2%. De plus, l'essentiel des emplois créés soit environ plus de 60 %, l'ont été dans et par les secteurs publics de l'éducation, de la santé et de l'administration territoriale et centrale.
Pour toutes ces raisons réunies, le taux de chômage dans les provinces du Sud est presque le double de ce qu'il est à l'échelle nationale. Par voie de conséquence, tout développement futur dans les provinces du Sud doit impulser une dynamique de création d'activités économiques et de richesses nouvelles à même de générer des investissement à effets d'entraînement bénéfiques en termes de création d'opportunités croissantes d'emploi, compatibles avec l'exacerbation de la situation de chômage que ces provinces connaissent et qu'elles connaîtront certainement dans l'avenir.
C'est dans cette perspective qu'il est de la plus haute importance de passer d'un développement régional par l'assistance à une régionalisation par le développement".
C'est dans ce sens que les thématiques du développement régional par l'entreprise et de l'intelligence territoriale, objet de la rencontre de Dakhla, en mettant justement en évidence des expériences internationales comparées d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud, d'Afrique, d'Asie, d'Europe et des Iles Caraïbes, sont d'une importance cruciale pour la réflexion marocaine actuelle en matière de régionalisation avancée.
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