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Une piqûre de rappel pour les Arabes et les Israéliens

Khaled Diab : Journaliste et écrivain égyptien basé à Bruxelles. Il est chroniqueur au quotidien The Guardian et contribue à des publications dans le monde entier.

Une piqûre de rappel pour les Arabes et les Israéliens
Des millions d'Egyptiens ont accompli ce que beaucoup pensaient être improbable: ils ont défié leur «dictateur» et ont eu raison de lui. Après trente années de pouvoir incontesté, la chute de Hosni Moubarak a tout naturellement engendré l'euphorie et la fête en Egypte ainsi que dans le reste du monde arabe.
Si la révolution égyptienne a inspiré l'Arabe moyen où qu'il soit, elle a semé l'appréhension et la peur dans l'esprit des Israéliens. Mais comme une vague d'espoir et d'autonomisation commence à déferler sur le monde arabe, il serait regrettable de continuer, comme si de rien n'était sur le front arabo-israélien et cela constituerait une grave erreur.
La transformation du paysage au Moyen-Orient appelle les deux parties à transformer les nationalismes autrefois concurrents (le panarabisme et le sionisme) en nationalismes complémentaires.
Le premier pas vers cet objectif consiste à reconnaître que tout n'est pas de la faute de l'autre.
Néanmoins, les Israéliens s'inquiètent de voir la révolution marquer la fin du sécularisme plutôt que la naissance d'une démocratie. Ils dressent frénétiquement des parallèles avec l'Iran et 1979 et s'imaginent que les Frères musulmans d'Egypte vont mener une contre-révolution et orchestrer l'instauration d'un régime théocratique.

Bien que je n'apprécie pas l'oppression des Frères musulmans sur la société égyptienne, je doute que ce scénario se vérifie. Si les révolutions iranienne et égyptienne ont un dénominateur commun, celui d'être un soulèvement populaire contre un «despote» soutenu par l'Occident qui a pris le monde au dépourvu, d'importantes différences les distinguent.
L'une de ces différences les plus notables est que l'Egypte n'a pas de personnalité religieuse et révolutionnaire faisant l'objet d'un « culte », comme ce fut le cas avec l'ayatollah Ruhollah Khomeini.
La « figure » la plus proche de la révolution égyptienne est Mohamed El Baradei, prix Nobel de la Paix, diplomate international et séculariste convaincu. Toutefois, la seule chose que les deux hommes ont en commun est le fait qu'ils soient rentrés au pays pour conduire une action dont ils ne sont pas à l'origine.
De plus, le clergé sunnite en Egypte - qui a longtemps été soumis aux autorités laïques – reste en général en dehors de la politique. Et il n'est certainement pas considéré de la même manière que le clergé shiite en Iran, qui s'est vite politisé après s'être tenu à l'écart des affaires de l'Etat pendant des siècles. En outre, non seulement l'organisation des Frères musulmans est entrée tardivement dans la révolution mais, en plus, elle se compose d'un grand nombre de conservateurs et de laïques plutôt ordinaires qui tendent à faire partie des professions libérales (médecins, avocats et ingénieurs).

Par ailleurs, l'Egypte d'aujourd'hui n'est pas l'Iran aux alentours de 1979. La révolution survient alors que l'Egypte, qui entretient depuis longtemps d'étroites relations avec l'Occident, a connu près de deux siècles de modernisation et de sécularisation.
Bien sûr, les craintes des Israéliens proviennent non pas du fait que l'Egypte peut devenir une théocratie, car une théocratie amie conviendrait – je suppose – mais du fait que le nouvel ordre peut se montrer plus hostile à un Israël qui se sent déjà isolé et dans l'insécurité. Les Frères musulmans d'Egypte est sans doute l'organisation la plus hostile à Israël. Cependant, le doute, la méfiance, l'aversion et la peur à l'égard d'Israël transcendent les clivages politiques en Egypte issus à la fois de la compassion pour la condition des Palestiniens et de l'humiliation qu'Israël a répandue sur le monde arabe.
Cela pourrait signifier un refroidissement d'une paix déjà froide entre l'Egypte et Israël. Néanmoins, le pragmatisme a des chances de prévaloir. Il est peu probable qu'un gouvernement égyptien revienne sur son accord de paix. L'armée l'a précisé en déclarant récemment que l'Egypte respecterait tous ses accords internationaux existants.

Israël devrait considérer la révolution égyptienne non pas comme une menace mais comme une opportunité. Les Israéliens doivent comprendre que le chemin vers leur sécurité ne passe pas par Le Caire mais par Al-Qods, la Cisjordanie et Gaza. Comme les ‘'Palestine Papers'' – documents secrets montrant que le gouvernement palestinien a fait des concessions de première importance lors des négociations avec Israël – le montrent clairement, outre la non-réaction d'Israël face à l'initiative de paix arabe, l'intransigeance d'Israël fondée sur sa puissance militaire ne se substitue pas à la justice. Hosni Moubarak en a fait la découverte, l'autorité fondée sur l'oppression finit inévitablement par s'effondrer.
Après la révolution, les Egyptiens auraient des raisons de garder leurs distances sur le plan économique à l'égard d'Israël mais ils doivent cesser de tourner le dos aux Israéliens car cela nourrit la crainte populaire selon laquelle les Arabes ne cherchent pas la paix avec Israël mais sa défaite et sa destruction par n'importe quel moyen.
La seule manière de dissiper ces craintes et d'initier une vague de soutien populaire pour la paix est d'engager le dialogue avec le peuple. La révolution égyptienne pourrait ouvrir la voie à une ère de liberté au Moyen-Orient. Pour ce faire, les Arabes et les Israéliens doivent se libérer des chaînes de l'histoire, des préjugés et de la peur.

Source: Service de Presse de Common Ground
(CGNews),
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