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Ibn Khaldoun et Tamerlan

Dans la quatrième partie consacrée au « Roman d'Ibn Khaldoun» intitulée «Face à Tamerlan, le fléau du siècle», que publie en exclusivité «Le Matin» en plusieurs épisodes, Bensalem Himmich évoque un autre protagoniste de l'Histoire : Tamerlan, alias Timur le boiteux.

Ibn Khaldoun et Tamerlan
Peu après le repas, il joua avec sa fille puis s'assoupit légèrement à ses côtés. Quand il reprit ses forces, il resta jusqu'au milieu de la nuit à rédiger le texte promis au sultan et des lettres destinées aux savants du Maghreb ; lettres qu'il confiera au chef de la délégation mamlouk Qatlubagha, et où il demandait leurs fatwas sur les invasions mongoles. En fin d'après-midi, il se rendit au palais où il participa aux préparatifs de l'ambassade du sultan. Il dispensa ses conseils aux émissaires et leur indiqua les meilleurs trajets pour parvenir à bon port.

Comme les événements se mirent à se dérouler vite ! Et comme le temps agit sur les vies et les corps ! À la fin de 799 de l'hégire, des envoyés des trois sultans du Maghreb arrivèrent en Égypte dans un cortège fastueux porteur de présents rares et précieux. Il faut reconnaître que la part offerte par le Mérinide Abû Amer était la plus grande et la plus remarquable. Les dignitaires de la cour mirent la main sur les pièces et articles légers, et laissèrent au sultan les chevaux nobles aux selles dorées qui lui furent présentés au cours d'une cérémonie mémorable. Quant à Abdel, il s'employa surtout à prendre contact avec les émissaires maghrébins soit au palais ou à son domicile. Il fit tout pour rendre leur séjour agréable, sans jamais perdre l'occasion de les interroger longuement sur l'état du gouvernement et de la population de leur pays. Il agit de même lorsqu'ils retournèrent du pèlerinage de la Mecque et firent escale au Caire pour se reposer quelques jours avant le départ pour leur destination respective, porteurs de présents du sultan.

Au milieu du mois de ramadan de l'année 801, après la mort du juge malékite, Ibn Tanisî, Barqûq honora sa promesse et nomma comme successeur le savant maghrébin, en donnant à cet acte un grand éclat afin de contenir les agissements des diffamateurs et des envieux. Il avait refusé de céder le poste au cadi Ibn Damamînî qui voulait l'acheter, moyennant une énorme somme de soixante-dix mille dinars. En inaugurant son deuxième mandat, le nouveau juge ne dissimula pas son désir de remplir sa fonction avec équité et d'appliquer la loi loyalement et en toute conscience. Il se consacra entièrement à sa tâche, au point qu'il emportait parfois au tribunal le repas que lui préparait son épouse. En son for intérieur, il sentit que sa nomination à ce poste était un cadeau d'adieu du sultan qui ne parvenait plus à dissimuler sa maladie et son épuisement.

De fait, à peine un mois plus tard, Barqûq quittait ce monde après avoir désigné comme successeur son fils aîné, Nâsir Faraj, sous la régence du commandant de l'armée Aytmach, et fait approuver son testament par le calife abbasside Mutawakkil, les émirs et les juges. Mais il y eut aussitôt des dissensions qui laissèrent chez Abdel une impression de déjà vu, avec quelques variations qui ne changeaient rien à la règle. Car voilà que le régent outrepassait ses pouvoirs, que Tanem, le gouverneur de Damas, déclarait la résistance, que les chefs de l'armée d'Aytmach se soulevaient contre leur maître et incitaient le jeune sultan à se libérer de sa tutelle. Il y eut donc des suites prévisibles qu'Abdel se lassa d'enregistrer. Pour le grand bonheur du nouveau sultan, les agitations et les remous ne durèrent pas plus de quelques mois, après avoir lancé une campagne sur la Syrie, couronnée par la défaite des émirs insurgés qui finirent égorgés ou étranglés.

Un écrivain prolixe

Philosophe, homme de lettres et auteur prolixe, Bensalem Himmich figure parmi les plus grands spécialistes d'Ibn Khaldoun, auquel il a consacré plus d'un ouvrage explorant les multiples facettes de l'érudit, historien, diplomate, homme politique et philosophe natif de Tunis. Titulaire d'un doctorat d'État de l'Université Sorbonne Nouvelle en 1983 et lauréat des prix Neguib Mahfoud (2002) et Sharjah-UNESCO (2003) pour l'ensemble de son œuvre, l'auteur, déjà signataire de «Al Allama», «le Calife de l'épouvante» (Serpent à plume), ou encore «Au pays de nos crises» (Afrique-Orient), dresse un portrait dithyrambique d'un personnage qui le mérite amplement. Un homme du Moyen Âge aussi bien sollicité par les despotes éclairés de l'époque que par les gouvernants les plus sanguinaires. C'est que les avis de cet érudit hors pair faisaient autorité au Machrek et au Maghreb et inspirèrent divers courants de pensée. Si le legs d'Abouzeid Abdurrahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun était placé sous le signe d'une sagesse incommensurable et d'un sens de l'équité proverbial, celui de Tamerlan a été marqué par le glaive et le sang pour assouvir une ambition démesurée et une soif de puissance inextinguible. Ibn Khaldoun sera par ailleurs porté sous peu à l'écran à travers une production d'une dimension panarabe, grâce à un scénario d'excellente facture rédigé par Bensalem Himmich, qui prête régulièrement sa plume au 7e Art. Une contribution en guise d'hommage à un personnage qui aura marqué l'histoire de son empreinte.
Ismaïl Harakat
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