Menu
Search
Mardi 16 Avril 2024
S'abonner
close
Mardi 16 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

«C’est dans les moments difficiles que les grandes réformes sont réalisées»

Le dossier de la Caisse de compensation n’en finit pas de faire couler de l’encre et d’alimenter les discussions sur la voie publique comme dans les salons. Sera-t-elle réformée ? Maintenue en l’état ? Ce n’est que l’un des nombreux dossiers brûlants sur lesquels planche en ce moment le président du Conseil de la concurrence. Invité le 31 juillet dernier dans le cadre du cycle «Le Matin Forum : 90 minutes pour convaincre», Abdelali Benamour s’ouvre aux lecteurs sur bien d’autres questions cruciales inscrites au débat que nous avons initié autour du thème «Le Maroc : l’essor économique à l’aune des avancées politiques». En voici une synthèse exhaustive.

Le Matin : qu’avez-vous retenu du dernier discours du Trône ?
Abdelali Benamour : je pense que le dernier discours de S.M. le Roi a fait le bilan de deux dimensions importantes : les acquis en matière de liberté et de démocratie et les acquis sur le plan économique. Mais, si je réfléchis en termes de perspectives par rapport au discours royal, je dirais qu’il y a trois points essentiels : une vision, des objectifs et une stratégie. Une vision d’abord, qu’il s’agit de continuer de renforcer la construction d’un État moderne à partir de la nouvelle Constitution. Quant aux objectifs, ils sont de trois ordres : politiques, économiques et sociaux. Politiquement, il s’agit de continuer à renforcer l’État de droit et de démocratie. Sur le plan social, il s’agit de continuer – je parle toujours en termes de continuité et non pas de nouveauté – de renforcer les chantiers de développement humain, surtout l’INDH. Sur le plan économique enfin, le Souverain a insisté sur le renforcement de la politique de développement sectoriel avec ses différentes déclinaisons : les plans Azur, Émergence, Maroc vert, etc.
S.M. le Roi a particulièrement mis l’accent, par ailleurs, sur les technologies de l’information. Reste la stratégie globale. Pour arriver à tout cela, il faut un environnement propice et donc des choix prioritaires. Le Souverain a parlé dans ce sens de la justice, de la régionalisation, de la réforme de l’administration et de la mise en œuvre des nouvelles autorités de la gouvernance dont fait partie le Conseil de la concurrence.

Justement, on a l’impression que le projet de réforme du Conseil de la concurrence piétine…
Pour une fois, je suis moins pessimiste que les journalistes. Le texte actuel n’est pas bon, il faut le reconnaître. Il a tout ce qu’il faut en termes d’objectifs, mais quand il s’agit de l’opérateur, qui doit mettre tout en œuvre, le Conseil reste une entité consultative. Dès le milieu de 2009, on a présenté un projet de réforme. Il faut dire qu’on était pessimiste à l’époque, puisque «ça tardait à réagir». C’est tout ce que je peux vous dire. Il fallait attendre l’initiative de S.M. le Roi, l’audience royale, la constitutionnalisation du Conseil… Il a été question bien sûr de relancer la réforme de ce Conseil. Suite à quoi, de nouvelles réunions avec l’ancienne équipe de la Primature ont eu lieu. On a travaillé cordialement et positivement sur le projet de réforme et nous avons pu nous mettre d’accord sur 95% des termes. Le texte est parti au Secrétariat général du gouvernement, qui a commencé à l’examiner en attendant la formation du nouveau gouvernement. Après, le texte a été renvoyé au chef du gouvernement parce que, d’une part, c’est un nouveau gouvernement et qu’il fallait qu’il soit au fait du contenu du dossier, et d’autre part, il y avait de nouvelles dispositions prévues dans la Constitution qu’il fallait intégrer. Juste après, il y a eu constitution d’une commission au niveau du précédent gouvernement. Avant, on travaillait beaucoup au niveau du ministère des Affaires économiques et générales. Les choses se passent bien. Il y a eu quelques petits points en suspens sur lesquels on a voulu avoir l’avis du chef du gouvernement. Selon ce que j’en sais, il a vu ces petits points et s’est montré disposé à les discuter avec nous avant de renvoyer le texte au Secrétariat général du gouvernement. Donc, pour l’instant, les choses avancent correctement. Mais reste à savoir ce qui va se passer lorsque le texte sera mis dans le circuit législatif. Le gouvernement peut en effet proposer des changements. Et puis il y a les deux Chambres qui peuvent apporter des amendements. Notre espoir est que le texte, qui peut être enrichi, ne subit pas des changements qui pourraient le travestir... Il y a des règles fondamentales. Si vous en enlevez une, le reste n’a plus de sens. Mais je suis optimiste, car déjà, au Parlement, on a eu des contacts avec tous les groupes. Ils sont sensibilisés et au courant de la réforme.
Apparemment, ce que nous réclamons va dans le bon sens, car, après tout, le texte dit que le Maroc est un pays libéral et qu’il faut que des règles puissent être applicables pour que l’économie du marché puisse fonctionner sans qu’il y ait de débordements. C’est-à-dire une concurrence saine qui crée l’émulation et l’innovation et que le meilleur l’emporte. Voilà où on en est, à l’heure actuelle. Les députés ont eu une attitude positive vis-à-vis du texte. C’est en tout cas ce qu’ils ont déclaré. Mais on ne sait jamais ; parfois il y a des intérêts qui peuvent entrer en jeu.

Peut-on espérer voir le texte dans le circuit législatif, à la prochaine session parlementaire ?
Par honnêteté, je ne peux pas répondre à cette question, car je ne le sais pas. Il y a beaucoup de textes, de lois organiques de la nouvelle Constitution, qui attendent... Ce que je peux vous dire avec plus de conviction, c’est que le texte passera le cap du gouvernement avant la fin de 2012. Peut-être même un peu avant.

Comment d’après vous le gouvernement et le secteur privé doivent-ils s’y prendre pour permettre au Maroc de dépasser la phase critique que traverse l’économie et répondre aux aspirations des couches populaires ?
En toute sincérité, la situation n’est pas facile. Mais c’est dans les moments difficiles que les grandes réformes sont réalisées. C’est en effet l’avantage des moments difficiles. Avec le manque de moyens, on s’attaque aux réformes structurelles. Je suis de ceux qui pensent qu’on ne peut jamais développer le social et aider les couches pauvres si on perd de vue l’objectif consistant à se doter d’une économie solide. On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas... Je pense que le pays doit opérer des réformes structurelles sur le plan économique pour avoir les ressources nécessaires à la lutte contre la pauvreté et répondre aux aspirations des couches populaires. Cela veut dire qu’on doit tenir un discours transparent vis-à-vis des gens. Je suis convaincu que les Marocains sont compréhensifs et qu’il faut juste leur expliquer les choses clairement. Il ne faut surtout pas prendre des décisions à la dernière minute et leur demander d’approuver ! Il faut leur parler le langage de la vérité, leur expliquer les contraintes et les efforts qui seront consentis pour les surmonter. Les Marocains sont prêts à faire des sacrifices si on les convainc de la nécessité de recourir à des mesures impopulaires. Pour en revenir à la conjoncture, je dois dire que la compétitivité est faible et les moyens de production ne sont guère meilleurs. Pour revigorer les secteurs productifs, notamment industriels, il faut avoir la possibilité d’écouler la production. Les Marocains ont le sens de l’initiative, mais s’il n’y a pas de marché, il y a un problème. Il faut donc une stratégie. Et en parlant de compétitivité, il y a deux choses à rappeler : les moyens de production et l’environnement des affaires. Les moyens de production tiennent d’abord aux ressources humaines. Je pense, à ce sujet, qu’il est essentiel de revoir le Code du travail, car – et je le dis aux syndicats – on dessert parfois les couches populaires alors qu’on croit les défendre ! Je le dis en ma qualité de professeur universitaire. Sans flexibilité, l’entrepreneur préfère la spéculation au lieu d’investir intelligemment son argent. C’est moins risqué et bien plus rentable. Les ressources humaines, c’est aussi la formation. Vous savez très bien ce que valent beaucoup de nos lauréats universitaires. Il y a aussi la question d’accès au financement, surtout pour les PME, sans oublier la fiscalité, le foncier et l’énergie qui est un des goulots d’étranglement de notre économie. Avec tout cela, il faut créer un environnement favorable, notamment en matière de justice. Il est clair que sans justice, on ne peut en effet guère demander à un investisseur étranger de venir chez nous si on ne lui offre pas toutes les garanties dans le cas où il aurait un litige au Maroc. Je ne dis pas que notre justice est défaillante, non, il y a des juges compétents et honnêtes, mais il y en a aussi qui le sont un peu moins... Une Commission se penche actuellement sur la réforme de la justice et là, je veux préciser une chose : quand il y a une commission et des débats pour réformer un secteur, il ne faut pas insister pour obtenir un consensus général. Cela peut en effet se faire aux dépens de la pertinence et de l’efficacité des conclusions ! Pour avoir l’unanimité, souvent chacun est invité à faire des concessions et cela risque souvent de vider la réforme de sa substance, car on aura obtenu des idées ou des recommandations vagues et générales où tout le monde se retrouve. Je l’ai vécu personnellement avec la commission Cosef, il y a plusieurs années, lorsqu’il s’agissait de réfléchir à une refonte de l’éducation et de la formation. Je pense qu’il vaut mieux avoir plusieurs idées claires et divergentes. C’est aux représentants de la Nation de trancher.

Quelles sont les idées maîtresses qui sous-tendent la réforme du Conseil de la concurrence ?
Pour commencer, une institution comme le Conseil de la concurrence doit avoir une compétence générale en la matière afin qu’il n’y ait pas télescopage avec d’autres régulateurs sectoriels. Il faut que les choses soient claires là-dessus : partout dans le monde, les régulateurs sectoriels s’occupent de l’amont. Prenons l’exemple des télécoms. Supposons qu’on soit en situation de monopole et qu’on veuille ouvrir le marché. Tout ce qui est lié à la gestion des réseaux et aux coûts est du ressort de l’Agence nationale de régulation des télécommunications. Mais une fois les choses opérationnelles sur le marché, il pourrait y avoir une entente sur les prix, et là c’est l’institution chargée de la concurrence qui est responsable. Donc, tout ce qui est en aval relève de l’autorité nationale de la concurrence. D’aucuns diront que dans certains pays, la responsabilité du marché relève des régulateurs sectoriels. En avançant cela, on ne dit qu’une partie de la vérité. Il est vrai qu’en Grande-Bretagne, cette responsabilité relève des deux entités. Mais quand on leur dit qu’il y a un risque de télescopage, ils vous répondent que c’est une bonne chose ! Est-ce que ce genre de télescopages est une bonne chose pour notre pays, surtout quand l’enjeu financier est important ? Cela dit, dans le nouveau texte de loi, quand on est saisi ou quand on s’autosaisit, la question a trait à un domaine où il y a un régulateur sectoriel. Qu’on lui demande au moins son avis. Deuxième point important de la réforme du Conseil : la compétence décisionnaire. Là, il faut savoir que les Conseils de la concurrence ne sont pas des juridictions, mais des délégations de pouvoir de la part de l’Exécutif. Le gouvernement aurait pu faire ce travail lui-même, mais il peut arriver qu’il soit, dans certaines situations, à la fois juge et partie concernant certains dossiers. L’indépendance de l’autorité de la concurrence par rapport à l’Exécutif et aux milieux d’affaires est primordiale. L’aspect décisionnaire est lié à tout cela. Cela signifie que cette autorité peut donner des sanctions en cas de débordements. La sensibilisation et le conseil c’est bien, mais c’est insuffisant. Parfois, les sanctions sont indispensables. Et en matière de sanctions, nous avons fait en sorte qu’elles soient en harmonie avec ce qui se fait au sein de l’Union européenne. Une sanction financière peut aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires, mais pas au-delà, ce qui est déjà énorme. Ce sera en fonction de la gravité de l’infraction, sachant toutefois que l’entreprise sanctionnée peut toujours recourir à la justice pour contester la décision du Conseil. Laquelle justice peut lui donner raison ou non.

Avez-vous eu, au sein du Conseil, à traiter de cas d’abus de position ?
Oui, nous avons traité à ce jour une trentaine de dossiers de ce genre. Certains nous ont été adressés directement par le gouvernement tandis que d’autres nous sont parvenus de la part d’ONG ainsi que de la CGEM. Les affaires les plus marquantes sont relatives au problème de ce qu’on appelle position dominante. Pour l’exemple, il faut citer le dossier de l’insuline où une association nous avait saisis pour nous indiquer qu’une société «X» a perdu un appel d’offres parce qu’une entreprise internationale pratiquerait une position dominante. Ladite entreprise a des moyens et, par conséquent, a décroché le marché. En instruisant ce dossier, nous nous sommes aperçus qu’en réalité, l’abus de position dominante était partagé par les deux parties ! Il y a énormément de cas similaires.
Est-ce que vous pouvez, en tant que Conseil, prononcer des sanctions privatives de liberté ?
Nous pouvons transmettre un dossier au tribunal, mais nous ne nous substituons en aucune manière à la justice. C’est cette dernière qui émet un jugement, sanctionne et tranche donc en toute souveraineté.

Et qu’en est-il de l’autosaisine ?
Nous ne l’avons pas encore pratiquée à ce jour. Il faudra, pour cela, que nous ayons en mains tous les éléments qui y convergent. Il peut y avoir des présomptions d’entente dans un tel ou tel secteur de l’économie. Dans ce cas d’espèce, nous étudions minutieusement le dossier. Si nous ne trouvons rien. Nous refermons le dossier. Dans le cas contraire, nous agissons.

Et le droit d’enquête ?
Si l’on nous accorde tous les pouvoirs hormis celui du droit d’enquête, alors c’est comme si on ne nous a rien donné. Il faut se dire en effet qu’aucune administration, aucune entreprise n’est tenue de répondre à nos interpellations. Ça relève de leur seul bon vouloir !

Il n’y a donc dans votre démarche rien de contraignant pour les institutions objets d’une enquête puis d’une requête de votre part ?
Pas pour le moment, mais les choses sont appelées à changer. Un récent texte de loi prévoit, du reste, pour le Conseil le droit de choisir les dossiers qu’il juge prioritaires. Il existe en effet des lobbies dans différents secteurs qui peuvent entraver le travail du Conseil en l’inondant littéralement de saisines aux seules fins de gêner son efficacité, ce qui leur permettra ensuite de se plaindre d’une soi-disant inertie de notre part.

Y a-t-il, à vos yeux, interférence entre l’idée de protection du consommateur et la notion de concurrence ?
C’est un des aspects les plus importants de notre travail. La finalité d’un marché est en principe de proposer les prix les plus bas et la meilleure qualité possible. Si ces deux éléments sont réunis, c’est tout au profit du consommateur et de la compétitivité des entreprises productrices ou distributrices. Mais la notion de protection du consommateur va au-delà de cet axiome.

À ce sujet, je me suis aperçu tout au long de mon expérience qu’il y a deux cas de figure. Selon les pays étudiés, il y en a qui ont regroupé la protection du consommateur et la régulation de la concurrence en une même entité, comme cela se fait aux États-Unis, en Angleterre et en Pologne. D’autres pays ont, au contraire, séparé les deux aspects de la question comme cela se passe en France. Faisant figure à part, l’Allemagne a adopté en ce qui la concerne une position intermédiaire, traitant les affaires au cas par cas.
Et au Maroc ?
Chez nous, la nouvelle Constitution dispose que le Conseil de la concurrence est responsable et qualifié pour traiter les dossiers relevant de pratiques anticoncurrentielles ainsi que de pratiques commerciales déloyales telles que les affaires de vol de sigle, détournement malveillant d’image, et autres cas similaires où une partie se sentant commercialement et juridiquement lésée peut demander des dommages et intérêts. Il faut garder à l’esprit l’idée que la préoccupation essentielle du Conseil est le fonctionnement du marché et non celui de l’entreprise. On veille à ce que les règles du jeu soient saines dans un marché où l’offre et la demande doivent s’exprimer librement sans qu’il y ait de pratiques anticoncurrentielles. Le Conseil se situe, en effet, à un niveau macroéconomique au moment où les relations entre entreprises s’opèrent à un niveau microéconomique. La différence est fondamentale. D’une manière générale, le Marocain moyen se perd en confusion dans les histoires liées au recours à la justice, à la concurrence déloyale… Pour autant, notre rôle ne doit pas être sujet à interprétations. Nous pouvons en effet infliger des sanctions pécuniaires lorsqu’il y a des pratiques anticoncurrentielles avérées, mais comment résoudre les problèmes plus complexes relevant de la relation entre entreprises ? C’est l’un des aspects sur lesquels le Secrétariat général du gouvernement a saisi le chef du gouvernement. Nous réfléchissons actuellement à la question et pensons qu’il existe deux cas de figure. Un dossier peut révéler à l’évidence des pratiques déloyales entre entreprises et receler un aspect qui nuit au fonctionnement normal du marché. Si un problème se pose en termes de concurrence déloyale, d’abus de position dominante, par exemple, alors nous sanctionnons. Mais s’il y a une demande de dommages et intérêts qui est formulée par une partie, nous renvoyons alors le dossier à la justice afin qu’elle fasse son travail.

Le processus de passation des marchés publics peut parfois être entaché d’irrégularités… Votre appréciation sur ce problème ?
Au regard de la loi, nous pouvons agir sous deux angles : soit nous recevons une demande, soit nous prenons l’initiative de mener une étude, ce qui est différent de l’autosaisine, laquelle aboutit à une décision opératoire. D’une manière générale, les pratiques anticoncurrentielles permettent des gains illicites. Donc, c’est d’une rente qu’il s’agit. Il faut cependant souligner que ce gain illicite peut quelquefois aussi être facilité par défaut, lorsque le gouvernement lui-même n’intervient pas comme il se doit. Il ne fait pas oublier, en effet, que le gouvernement lui aussi passe des marchés et met des conditions. Le tout est de veiller à ce que celles-ci ne privilégient pas telle ou telle partie afin d’éviter la situation de rente. Dans un système d’économie de marché, il n’y a par définition pas d’aide de l’État. Il se peut qu’il y ait toutefois des exceptions. Si ces aides sont allouées à de petites entreprises dans le but de les accompagner afin de leur permettre de travailler et de créer de l’emploi et de la richesse, alors le gain est légal. En revanche, si ces aides sont accordées sans aucune condition, la démarche est de facto illégale. Pour résumer, les autorisations d’exercer ou d’exploiter accordées par l’État peuvent être délivrées par le gouvernement à condition que les règles de la libre concurrence soient respectées. J’ajoute qu’en ce qui concerne les marchés publics, nous avons commandé une étude à un cabinet qui a révélé qu’il existe certaines améliorations, mais qu’il reste aussi des points à réviser pour respecter les règles de la concurrence.

Changeons de registre et revenons à la conjoncture économique du Royaume. On se souvient que S.M. le Roi a évoqué récemment l’idée de financement alternatif. Quels sont, selon vous, les leviers possibles à actionner ?
C’est l’idée même de l’innovation qui sous-tend ce principe. Les sources classiques de financement dont dispose l’État sont connues : la fiscalité et l’emprunt. Sur le plan étranger, les financements proviennent d’institutions internationales, de prêts, de dons, d’investissements extérieurs… Les banques islamiques aussi peuvent être sources de financement alternatif. Celui-ci signifie qu’on peut chercher des financements dans des voies qu’on ne soupçonnait peut-être pas avant, mais, et les Tunisiens, par exemple, exploitent déjà. On peut en citer les fonds, les Régions, etc. Le problème au Maroc n’est pas tellement le financement à proprement parler, mais la nécessité d’identifier des projets pouvant justifier des financements alternatifs.

L’endettement de l’État vous semble-t-il supportable actuellement ?
La situation n’est pas très apaisante, il faut se le dire. La dette se situe à environ 6,5% du PIB alors qu’il y a quelques années nous étions excédentaires. C’est le résultat d’un certain laisser-aller observé chez des gouvernements précédents.

Vous avez fait récemment des propositions pour réformer la Caisse de compensation. En quoi consistent-elles ?
Nous n’avons pas réellement fait des propositions, mais avons plutôt répondu à une requête formulée par le premier ministre du précédent gouvernement. Il nous avait, en effet, saisi en 2010 pour nous demander de réfléchir au problème des 15 produits qui n’étaient pas encore libres et parmi lesquels certains relevaient de la Caisse de compensation et de l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses. Pensez donc : le Conseil était tenu de répondre dans les deux mois qui ont suivi à une question restée en suspens pendant des années ! Le Conseil a néanmoins formulé le discours suivant : gardez les choses en l’état, ne touchez pas à ces 15 produits et, de notre côté, nous nous engageons à mener une étude sur trois produits phares, en l’occurrence la farine, le sucre le gaz butane. Nous avons alors mobilisé nos cadres qui ont travaillé très dur sur cette question pendant 14 mois environ. L’étude, qui ne contient pas des suggestions, mais des scenarii, est en ce moment entre les mains du chef du gouvernement, lequel est libre de prendre les mesures qui lui semblent les plus pertinentes.

Quels sont donc ces scenarii ?
Il y en a trois, clairement déclinés dans l’étude réalisée par le Conseil. Le premier scénario consiste à corriger les dysfonctionnements patents comme ceux de la farine, par exemple, certains minotiers pouvant en effet recevoir une subvention et vendre la farine au prix du marché libre. Il y donc a des choses à améliorer là-dessus.
Le deuxième scénario propose d’appliquer la loi 06.99 instaurant la liberté des prix. Nous devions arriver à cette liberté en 2006, puis en 2010, puis on a renvoyé la chose à 2014. Cette liberté des prix n’affectera pas beaucoup la farine et le sucre, mais là où le bât blesse c’est au niveau de la bonbonne de gaz butane dont le prix grimperait alors des 40 DH actuels à 120 DH ! Le sucre, pour sa part, verrait son prix s’envoler de 60%...
Le troisième scénario est celui qui nous semble le plus jouable. Après avoir fait un benchmark avec le Brésil et l’Indonésie, des pays qui ont réformé leur système de compensation, nous nous sommes dit qu’il faudrait peut-être commencer par libérer les prix étant donné qu’il est injuste que tout le monde achète la baguette de pain à 1,20 DH. Car, dans le système actuel, tout le monde bénéficie en effet du levier de la Caisse de compensation.
Lorsque les prix sont bas, la consommation est importante. Mais même quand les prix augmentent, la consommation peut suivre dans certains cas. Le rôle du marché est, justement, de réguler les prix. Il faut donc revenir à la logique du marché, mais il y aura certainement des catégories sociales qui vont en souffrir. Nous nous sommes basés sur les statistiques du Ramed selon lesquelles il y aurait actuellement 2,8 millions de personnes pauvres au Maroc. Cela représente environ 560 000 ménages. Imaginez que nous donnions une subvention directe de 500 DH par mois, c’est-à-dire 6 000 DH par an, par ménages à ces familles. Au total, le budget de cette subvention avoisinera 34 milliards DH de subventions directes. Or, le budget de la Caisse de compensation est actuellement de 52 milliards DH.
L’État sera donc gagnant dans ce scénario. Qu’est-ce qui nous manquera alors ? Un test social ! Mais ce n’est pas notre rôle que de l’effectuer. C’est plutôt une tâche qui revient au gouvernement et aux médias. Faites donc ce qu’on appelle un «focus groupe» et demandez aux gens pauvres et moyennement pauvres, à la limite de la classe moyenne, s’ils sont prêts à accepter une augmentation du prix de la bonbonne de gaz contre une subvention directe de 6 000 DH par an. J’en ai fait personnellement l’expérience sur plusieurs individus de ces catégories sociales et je puis vous dire que tous m’ont dit qu’ils préféraient le mécanisme de la subvention directe.

Votre sentiment, avant de finir, sur la fameuse question de «préférence nationale», lorsqu’il arrive que sur certains marchés, des entreprises marocaines peuvent être encouragées face à des opérateurs étrangers…
La question est importante, car elle comprend deux volets liés dans le contexte de ce débat. Il y a l’aspect des pratiques anticoncurrentielles qui pourraient être le fait d’entreprises étrangères opérant au Maroc dans le cadre d’un appel d’offres et dont se plaindraient des entreprises marocaines. Ce sont des cas classiques où notre position en tant que Conseil de la concurrence est toujours claire : la saine concurrence est une idée à défendre dans les deux sens, que ce soit dans des dossiers maroco-marocains ou dans le cadre d’affaires impliquant des nationaux et des étrangers.
Le deuxième point, hautement essentiel à mes yeux, renvoie à la notion de protectionnisme. Rappelons-nous, en effet, que le Maroc a signé les accords de l’Organisation mondiale du commerce, ce qui signifie que nous avons accepté d’ouvrir nos frontières sur le plan économique. Le Royaume a également signé le Statut avancé avec l’Europe, qui stipule là aussi une ouverture des frontières commerciales. Et ce n’est pas tout : le Maroc a signé un accord de libre-échange avec les États-Unis et est en train d’en négocier un avec le Canada. Alors, ne nous leurrons pas, ça va être difficile en termes de compétitivité. Je ne vois par conséquent guère comment l’idée de «préférence nationale» pourrait pousser et se développer là dedans. S’il s’agit d’aider les entreprises marocaines d’une manière saine et constructive, oui le dessein est bon, mais tant que cette aide porte sur le conseil et l’accompagnement afin que l’entreprise se réforme et se consolide pour devenir plus compétitive face à la concurrence étrangère.

Un dernier mot pour clore ce Forum… ?
Notre pays a beaucoup des potentialités et est bien gouverné. Il a besoin d’un peu plus de créativité et de courage politique, chez ses élites, pour réaliser les réformes qui sont importantes pour son développement.n

Propos recueillis par Abdewahed Rmiche, Samir Benmalek et Hassan El Arch (Reportage photos  Aissa Saouri)

Lisez nos e-Papers