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«Nous avons trois priorités : faciliter la vie à l’entreprise, aider à la cohésion sociale et rétablir les équilibres macro-économiques»

S’inscrire dans la logique de la réforme permanente, assumer le défi de la complexité, piloter le changement inscrit dans les grandes orientations du gouvernement avec une cohérence d’ensemble… Le cap est tracé et les objectifs sont clairs, mais avec quels instruments budgétaires et quelle cohérence d’ensemble? Ce sont les questions transversales que nous retrouvons dans ce Forum réalisé avec Idriss Azami Al-Idrissi, le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des finances chargé du Budget.

Il évoque avec nous les chantiers titanesques qui doivent être assumés à un moment de crise économique et financière internationale et de tensions internes : réforme de la fiscalité, de la Caisse de compensation, de la retraite... L’objectif est de taille, car il s’agit d’intégrer la culture gestionnaire dans un projet de société tout en réfléchissant aux voies d’une sortie de crise et aux moyens d’assurer la croissance ainsi qu’une plus grande cohésion sociale dans un environnement marqué par l’incertitude, les déficits et l’endettement publics.

Le Matin : la loi de Finances n’est pas, vous en conviendrez M. le ministre, un simple exercice technique. À travers cet exercice, il s’agit, comme le soulignait un expert, de «l’organisation politique de la société qui est au cœur du processus. L’approche que l’on en a dépend étroitement de la manière dont on conçoit le sens de la vie en société». Cet expert est Michel Bouvier, de la Fondafip, avec qui vous avez animé récemment une table ronde. Quel est, M. Azami, la philosophie de la loi de Finances 2013 ?
Idriss Azami Al-Idrissi : une loi de Finances, c’est la mise en œuvre d’un programme gouvernemental qui concourt à la stabilité du pays et au développement de l’économie. Nous avons trois priorités principales dans cette loi de Finances : la première – et ce classement est fait à bon escient – est de faciliter la vie à l’entreprise et à l’investissement. La deuxième consiste à s’attaquer aux disparités sociales et spatiales, et la troisième priorité tient au rétablissement des équilibres macro-économiques. Ces priorités interviennent dans un contexte international difficile qui impacte nos finances. Au niveau mondial, on prévoyait un taux de croissance de 3,3% pour 2013; on en prévoit 3,6%. Au niveau de l’Europe, marché qui nous intéresse le plus, on était sur un train de croissance négative, à -0,4% pour 201; on en prévoit 0,2%. Il y a là un élément déterminant, qui est le prix des matières premières et le prix des hydrocarbures, en premier. Pour la première fois au Maroc, et jusqu’en novembre 2012, nous étions sur une moyenne de 112 dollars le baril, niveau qu’il faut comparer à la moyenne de 104 dollars de l’année 2011 et à la moyenne de 78 dollars de 2010! Nous sommes grevés à deux niveaux, celui du déficit budgétaire, de par la charge de la compensation qui va dépasser cette année les 52 milliards de DH, et au niveau de nos équilibres extérieurs. Rétablir les équilibres macro-économiques est pour nous une priorité et un engagement. Nous allons travailler sur les recettes et sur la dépense pour parvenir à cet objectif.

Abordons, si vous le voulez bien, la partie des recettes à travers la politique fiscale, très décriée ici et là, tant au niveau de la vision que de la méthode. L’opposition vous reproche de rechercher un équilibre budgétaire à travers la pression fiscale, notamment sur la classe moyenne. ? Est-ce le cas ?
C’est la première fois que dans une loi de Finances, les recettes fiscales dépassent les dépenses; dépenses que nous avons freinées volontairement. Les dépenses fiscales maintenues ont toutes une logique économique. Vous parlez de pression fiscale qui est, comme on le sait, l’ensemble des recettes fiscales divisé par le PIB. Or, ce taux va diminuer entre 2012 et 2013. Lorsqu’on s’est attaqué à cette question et que l’on a évoqué le problème de pression fiscale, on a voulu démonter un montage du Fonds de soutien à la solidarité. Ce n’est pas un argument, car il n’y a pas de nouvel impôt et nous n’avons maintenu que les impôts qui ont prouvé leur efficacité économique et sociale. C’est ainsi que chaque fois qu’il y a une opération d’augmentation de capital, l’entreprise concernée bénéficie d’une diminution de l’impôt sur les sociétés. On a même ajouté une nouvelle disposition permettant d’enregistrer l’acte d’augmentation de capital avec un plafond de 500000 DH pour permettre un enregistrement moyennant un droit fixe. C’est, pour nous, une dépense fiscale mais le retour sur investissement pour l’État dépasse cet acte de dépense qui va nous coûter plus d’un milliard de DH. En tout état de cause, cela permettra aux sociétés d’augmenter leur capital, leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices et donc leur compétitivité. 

Le plafond de 500 000 DH n’est-il pas un peu réducteur ?
Peut-être, mais la logique consiste à permettre aux PME d’en bénéficier.

On vous a reproché d’agir sur la pression fiscale, mais pas sur la partie des dépenses publiques et de leur rationalisation. Que répondez-vous à cela ?
Ce n’est pas vrai. Pour la première fois, nous marquons le pas au niveau de la dépense de fonctionnement. On était entre 2001 et 2011, sur une tendance dépensière en augmentation de 6% en moyenne. Cette année, nous sommes restés au même niveau et cela a été fait de manière volontaire car on a compris qu’il fallait rationaliser et mutualiser les moyens. C’est ce que nous avons fait. Reste la dépense relative à la masse salariale que l’on n’a pas pu réduire. Entre 2011 et 2012, nous avons enregistré 5 milliards de DH de plus, soit 98 milliards de DH en termes de dépenses et de charges salariales. C’est une conséquence des retombées du dialogue social et des augmentations relatives aux promotions internes. Pour les charges de fonctionnement, il y a eu des efforts importants. Le budget d’investissement a été, pour sa part, maintenu au même niveau entre 2012 et 2013. S’agissant de la charge de compensation, sur laquelle nous travaillons en ce moment, elle dépend des prix des matières premières à l’international.

Nous reviendrons sur la question des grandes réformes, de la Caisse de compensation et de la retraite. Mais abordons pour le moment, si vous le voulez bien, cette corrélation que vous faites entre la charge fiscale et la compétitivité. L’opposition a évoqué «un bricolage» et la CGEM a été aussi virulente. Un mot sur ces sorties ?
Avec la CGEM, il y a eu un malentendu en termes de communication. J’ai assisté moi-même à une conférence avec Abdelkader Boukhriss, fiscaliste membre de la CGEM, qui a acté le fait que toutes nos dispositions ont donné raison au patronat. Dans le cadre de l’application de son programme économique et social, le gouvernement a en effet favorisé l’entreprise créatrice d’emplois et de richesses. Nous avons prorogé toutes les dispositions en faveur de l’entreprise. La seule disposition en discussion est relative à la TVA. On le sait tous, la TVA c’est la question du butoir par rapport à un système fiscal qui a été touché et retouché et où la logique de TVA n’apparaît plus... On est dans un système avec une multiplicité de taux qui grève l’entreprise ! L’impact budgétaire de l’annulation de ce butoir est très important. Or, nous en sommes à un moment où les finances publiques sont dans une phase difficile. Notre travail consiste à faire en sorte que la recette soit là et que la dépense soit rationalisée. Le butoir coûte 10 milliards de DH et le décalage d’un mois coûte 3 milliards de DH ! Donc, l’effort budgétaire demandé à l’État, en ces moments difficiles, a un coût de 13 milliards de DH ! Il va donc falloir lisser cet effort dans le temps et trouver des moyens intelligents pour le faire. Nous avons dans ce sens, et en accompagnement de la loi de Finances, introduit la loi sur la titrisation des créances. On parle aujourd’hui de titrisation des actifs et, dans ce cadre, la créance des entreprises sur l’État, c’est-à-dire la TVA, peut être un bon moyen. Je ne dis pas que c’est la solution, mais nous discuterons de tout cela lors des prochaines Assises de la fiscalité prévues en février 2013. Encore une fois, tout cela est fait dans le but de faciliter la vie de l’entreprise au niveau des problématiques de trésorerie. Je signale au passage que sur les 13 milliards de DH de butoir évoqués, ce sont les entreprises publiques qui investissent le plus qui sont les plus concernées.

Les PME sont-elles également concernées ?
Oui, mais nous avons répondu autrement. Cette année, et pour la première fois, nous avons accéléré les remboursements de la TVA. À fin novembre 2012, nous avons ainsi remboursé 3,68 milliards de DH aux entreprises, soit plus de 33% par rapport à la même période de l’année dernière. L’effort et donc là. Par rapport à la fiscalité, nous devons nous projeter sur l’avenir. À côté des dispositions fiscales, il faut parler aussi de l’aide directe. Nous avons un certain nombre de programmes pour améliorer la productivité, l’innovation et l’utilisation des TIC. Le montant des fonds consacrés dépasse 510 millions de DH, soit 4 fois plus que ce qui se faisait jusqu’à présent. Malheureusement, les entreprises ne s’inscrivent pas toutes dans cette dynamique. Nous allons donc entamer, pour notre part, un programme de communication sur la loi de Finances.

Il y a risque de perte d’efficacité si les dispositions prises ne bénéficient qu’à ceux qui les connaissent ! Nous avons déjà commencé, et j’ai moi-même donné plusieurs conférences sur la loi de Finances. Il faut informer le public sur les dispositions, notamment celles relatives à l’annulation des pénalités qui touchent les retards et qui concernent les entreprises informelles, lesquelles sont encouragées via différentes mesures à s’inscrire dans le cadre du formel.

Vous prenez donc l’engagement de communiquer plus. On a également parlé d’un manque de concertation avec les différents acteurs. Qu’en est-il ?
Avant l’élaboration de la loi de Finances, il y a eu des rencontres en présence du chef du gouvernement et de la présidente de la CGEM. Nous avons parlé franchement et évoqué la question de la TVA dans le cadre d’un arbitrage par rapport à des priorités précises.

Il y a des acteurs qui demandent plus de concertation autour de la loi organique. Comment allez-vous vous organiser ?
Il faudrait faire le bilan pour apprécier la manière dont le gouvernement a traité les amendements proposés par la majorité ou par l’opposition. Sans prétention aucune, c’est la première fois que le gouvernement traite de manière positive les amendements de l’opposition. C’est la première fois aussi que nous n’avons utilisé l’article 77 que dans un seul cas en passant au vote. Nombre d’amendements émanant de l’opposition on été acceptés. Toujours dans le cadre de la loi organique, nous nous sommes inscrits dans une démarche participative avec le Parlement. Le gouvernement a préparé un projet et, avant de suivre le circuit législatif normal, nous l’avons soumis aux deux Chambres tout en travaillant dans le cadre d’une commission technique. Nous avons reçu des observations écrites que nous étudions. Nous ferons la même chose avec la deuxième Chambre.

Une deuxième Chambre où l’opposition à la loi de Finances est très forte, ce qui implique le risque d’un rejet de cette loi… Quelle analyse faites-vous de ce cas de figure ? Et que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’avoir modifié l’article 18 de la loi de Finances et qui veulent même l’ouverture d’une enquête ?
Il faut faire prévaloir l’esprit et la lettre de la Constitution, qui a bien prévu ce cas. Nous avons fait notre devoir en présentant cette loi et en la discutant. Si le vote n’est pas favorable au niveau de la deuxième Chambre, on reviendra à la première, qui aura le mot final. Par rapport à l’amendement dont il a été question au niveau de la deuxième Chambre, le projet de loi de Finances 2013 est le projet transféré par la Chambre des représentants au niveau de la deuxième Chambre. La procédure d’amendement est rodée et a besoin de l’aval de la première Chambre. Il ne peut y avoir de rattrapage ou d’amendement en dehors de l’amendement qui passe entre les deux Chambres. Oui, j’ai entendu que la Chambre des conseillers a ouvert une enquête. Nous-mêmes faisons pareil pour identifier la défaillance et prendre les mesures nécessaires. Ce qu’il faut souligner, c’est que sur un plan légal, la loi de Finances est toujours sujette à amendement, que ce soit au niveau de la première ou de la deuxième Chambre. Nous recevons aujourd’hui lundi, dans le cadre de la deuxième Chambre, les amendements qui sont proposés et qui seront discutés.

Vous suivez depuis plus d’une décennie les discussions des lois de Finances au Parlement. Un mot sur l’amélioration possible du travail parlementaire ?
C’est un travail qui s’est beaucoup amélioré. Il est dommage que le citoyen ne retienne que les joutes oratoires et les polémiques ! Il y a un travail de fond qui se fait au niveau des deux Chambres dans un esprit de responsabilité partagé par la majorité et l’opposition, lesquelles travaillent dans le sens de l’intérêt général. Bien sûr, cela n’empêche pas les désaccords. Je dois aussi souligner la complémentarité qui existe entre les deux Chambres et dont on doit se féliciter. Si l’on enregistre un très fort engouement pour les débats portant sur la loi de Finances, on ne perçoit pas toujours les différences qui existent. Les débats au niveau de la Chambre des représentants, où il y a plus de femmes et de jeunes, ne sont pas les mêmes débats que ceux de la Chambre des conseillers où il existe des professionnels qui entrent dans les détails et qui apportent une valeur ajoutée aux débats. On est souvent sensibilisé à des problèmes pratiques et les propositions apportent une valeur ajoutée à la facilitation de l’acte d’investir ou à la solidarité nationale. Cette complémentarité des deux Chambres n’est pas assez soulignée alors que l’on ne cesse de parler de double emploi des deux Chambres. Je trouve que c’est dommage. Le plus important est de respecter les institutions. C’est le b.a.-ba de la démocratie. Les discussions et les débats sont censés faire adhérer le citoyen aux dispositions prises.

Que pensez-vous de l’idée du PAM de recourir à la justice ?
L’adage dit «pas d’intérêt, pas d’action».

Beaucoup de retard a été pris au niveau de la loi organique des Finances. Comment expliquez-vous ce retard ?
C’est un processus important. Nous réformons, en fait, la Constitution des finances publiques. Nous avions connu une grande réforme en 1998 avec le gouvernement de l’alternance, qui connaît aujourd’hui ses limites. Il faut donner de nouveaux horizons à la loi de Finances et cela demande beaucoup de travail en termes de concertations, de montages et de mise en œuvre, car c’est toute une logique qui est changée. Actuellement, la programmation est fondée sur une logique de moyens à mettre à la disposition des départements pour mettre en œuvre une politique donnée.
Il faut maintenant passer à une logique de performance. Pour prendre un exemple qui nous est proche, celui de l’expérience française datant de 2001, la logique de programmation apparaît comme une logique de performance. On ne discute de moyens qu’après avoir défini un programme bien déterminé avec des objectifs, des indicateurs de performance et des indicateurs de résultats. Le plus grand défi n’est pas la conception d’une loi organique des Finances, c’est plutôt sa mise en œuvre ! Le ministère des Finances doit jouer un rôle important, mais au-delà de ce département, tous les départements dépensiers doivent développer les compétences nécessaires pour la mise en œuvre de la loi organique de Finances. Auparavant, on parlait d’enveloppes budgétaires et on négociait un montant. Demain, on sera amené à discuter d’abord des résultats et des performances avant de mettre sur la table les moyens pour les atteindre. On change de logiciel ! Nous avons déjà commencé à le faire en orientant des programmes vers les résultats avant de discuter des moyens. On propose en effet d’étaler dans le temps cette réforme pour permettre aux départements de s’y préparer et de développer les compétences nécessaires.

L’autre priorité que vous avez évoquée est la lutte contre les disparités sociales. Qu’en est-il du Fonds de solidarité ?
C’est un Fonds créé par le gouvernement en 2012 avec des recettes temporelles. Par rapport aux dépenses du Ramed, qui touche déjà 2 millions de personnes inscrites et par rapport à l’appui conditionné à la scolarisation, qui bénéficie à plus de 130000 enfants, ainsi qu’aux aides consacrées aux handicapés, on note une accélération des dépenses. Comment pérenniser le système ? Par une réforme globale de la fiscalité pour atteindre des recettes structurelles.
C’est ce que nous proposerons aux prochaines Assises de la fiscalité; propositions qui ne seront mises en œuvre qu’en 2014 ou en 2015. En attendant, il faut parer au plus urgent. Nous nous sommes attaqués à l’assiette existante : contribution de la Solidarité sur les revenus de plus 30000 DH, qui touche moins de 30000 personnes.
Il y a aussi la contribution de 0,5% sur les bénéfices de 15 à 25 millions de DH par an, la contribution de 1% sur les bénéfices de 25 à 50 millions de DH, la contribution de 1,5% sur les bénéfices de 50 à 100 millions de DH et la contribution 2% sur les bénéfices qui dépassent 100 millions de DH.
Il faut préciser que seules 782 entreprises qui engrangent des bénéfices importants, sur un portefeuille dépassant 60000 entreprises, sont concernées par cette mesure et participent ainsi à la solidarité nationale.

Qu’attendez-vous des prochaines Assises de la fiscalité ? Et quels seront vos objectifs ?
Nous allons travailler sur trois thématiques importantes. La première thématique aura trait à la fiscalité et à la compétitivité de l’entreprise par rapport à la TVA ainsi qu’à la trésorerie des entreprises par rapport à la fiscalisation par tranche... Le deuxième axes concernera la fiscalité et l’équité, en l’occurrence comment penser la fiscalisation de l’agriculture de manière intelligente en sauvegardant l’agriculture vivrière, quels sont les secteurs qui doivent contribuer à la solidarité nationale en respectant la Constitution qui demande à ce que l’on participe à hauteur de notre capacité contributive… Il y aura aussi un axe portant sur l’impôt sur la fortune qu’il faut, là aussi, étudier de manière intelligente en tenant compte des expériences internationales et de notre environnement tout en rassurant le capital.

Le Conseil de la concurrence a recommandé une révision de la fiscalité immobilière car, selon lui, les exonérations fiscales ont coûté au Budget général de l’État plus de 32 milliards de DH en 2011, comme manque à gagner. Le Conseil a ainsi suggéré de procéder à un élagage des dispositifs d’aide fiscale, foncière et financière, déjà mis en place pour ne conserver que le levier fiscal. Il a aussi recommandé à l’État de créer en amont des conditions favorables au développement de ce secteur, mais aussi de se désengager du marché de l’immobilier. Comment réagissez-vous à ces propos ?
Pour la première fois, ce gouvernement s’attaque à la rente immobilière par des mesures fiscales. C’est vrai que l’immobilier a bénéficié, ces dernières années, de dispositifs d’aides fiscales. Mais cela a été fait dans le cadre d’une vision gouvernementale, pour parer à un grand déficit en matière de logements. Les pouvoirs publics se sont mobilisés à travers le foncier, la dépense fiscale et les aides directes. Cette année, nous avons changé la donne : c’est le citoyen qui bénéficie de l’exonération fiscale et non le secteur ! Ces dispositions ont été prises dans le cadre d’un partenariat avec les promoteurs immobiliers. Le champ de ces promoteurs a été élargi et le nombre d’unités à produire a été diminué pour faire bénéficier tout le monde.

Quelle est, justement, la logique des prix qui ont changé ?
Le prix du m² est passé effectivement de 5000 à 6000 DH, ce qui constitue un plafond. Mais le nombre des unités à produire a diminué et, dans le cadre des conventions, il n’est pas obligatoire de mobiliser le foncier public. Les groupes CGI et Al Omrane jouent un rôle de régulateur du marché et sont donc capables de le catalyser. La classe moyenne est capable, à travers l’épargne et la levée de fonds bancaires, d’acheter ce type de produits. A propos de la rente immobilière, je voudrais aussi ajouter qu’il existe de nouvelles dispositions qui ont fait augmenter le taux appliqué aux prêts immobiliers. Un taux qui passe de 20 à 30% pour le foncier qui change de territoire, passant du rural à l’urbain. Même chose pour les terrains non bâtis, par rapport à la durée de détention. L’idée consiste à s’attaquer à la rente et à la spéculation et de pousser à l’investissement et à la production. L’État fera son travail en termes de contrôle, mais le citoyen est appelé aussi à être vigilant sur le développement de la spéculation entourant les terrains et les logements.

Le Maroc, qui visait un milliard de dollars sur les marchés internationaux de la dette, a pu en lever 500 millions de plus et à des taux inférieurs à ceux accordés à l’Espagne, au Portugal ou à l’Italie. C’est une preuve de confiance. Comment expliquez-vous ce succès ?
Oui, c’est un succès. Nous avons besoin de cet argent pour financer des projets avec un retour sur investissement. Le Parlement a autorisé cet emprunt à hauteur de 20 milliards de DH. Les emprunts de 2003, de 2007 et de 2010 étaient libellés sur le marché de l’euro ; celui de 2012 est réalisé sur le marché du dollar qui, compte tenu de sa profondeur, n’est autre que celui des États-Unis. Sur ce marché-là, il existe des réserves qui ne sont pas uniquement américaines, mais ce sont encore les Américains qui ont souscrit à la majorité de cette opération, soit 70% de l’emprunt, le reste ayant été souscrit par des investisseurs du Golfe. C’est un marché qui est motivé par la stabilité de notre pays, ce dernier ayant connu des réformes importantes depuis une décennie. Il est aussi motivé par la performance de l’économie marocaine et par les mesures prises par le gouvernement dans le sens du rétablissement des équilibres macro-économiques et de la cohésion sociale.

Les perspectives économiques, la dynamique de certains secteurs porteurs comme l’automobile, l’offshoring et l’aéronautique sont pour ces bailleurs de fonds internationaux, des perspectives à long terme qui positionnent bien le Royaume. De fait, on s’est retrouvé avec une offre intéressante sur les 10 ans, mais aussi sur les 30 ans. Le taux de souscription sur le marché de 10 ans a été demandé dix fois plus, et celui de 30 ans l’a été quatre fois plus par rapport au montant initialement escompté. Cette souscription est un acte de confiance émanant d’investisseurs financiers qui ne font pas dans le sentiment, qui connaissent les bilans et les perspectives sur le long terme et qui ont demandé des conseils aux institutions financières internationales et aux agences de notation. Cela signifie tout simplement que notre signature est saine !

Il reste que c’est là une solution temporaire et qu’il faut travailler en profondeur pour accélérer le rythme des réformes dans différents secteurs, comme ceux de l’exportation…
Je suis d’accord et c’est ce que nous disons. Il faut s’attaquer à la question de la diminution des réserves de change, travailler sur le décret de la défense commerciale pour diminuer les importations, sur l’achat public, le décret des marchés public et sur l’obligation faite aux multinationales de sous-traiter avec les entreprises locales pour bien garder la devise chez nous au Maroc. Ceci dit, nous avons, dans le cadre de la loi de Finances, inscrit 300 millions de DH pour aider les entreprises à exporter davantage.

Concernant l’endettement, le niveau de 60% du PIB sera dépassé en 2013 et les déficits s’accumulent ! Beaucoup d’observateurs affirment que la politique des accords de libre-échange n’a pas profité à l’économie marocaine. Ne pensez-vous pas qu’il faille faire un bilan sur cette ouverture à tout vent ainsi que sur le retour sur investissement de cette politique ?
La question de l’endettement est intimement liée au déficit budgétaire. Nous avons eu une augmentation du taux d’endettement parce que les déficits budgétaires se sont accumulés. On a terminé l’année 2011 avec un déficit de 6,1%, l’année 2012 autour de 5% et l’on prévoit en 2013 environ 4,8%. Tout se finance par l’endettement. En s’inscrivant à 3% de déficit à l’horizon 2016, on freinera l’élan dans une tendance baissière de l’endettement. Concernant les accords de libre-échange, il s’agit de les respecter. Un bilan s’impose cependant. Il faut savoir que nous pouvons bien développer nos capacités d’exportation, que les accords de libre-échange ne nous interdisent pas d’exercer la défense commerciale ni de développer des normes phytosanitaires ou techniques où nous accusons un certain déficit. Il existe en effet des marges importantes où nous pouvons travailler comme dans le cadre du contrôle douanier où l’on peut redresser la valeur déclarée des marchandises sous-facturées.

Concernant les exportations, il faudrait sans doute les encourager sans pour autant tomber dans une forme d’assistanat. Partagez-vous cet avis ?
Nous accompagnons des exportateurs ayant des produits à exporter mais étant incapables d’exporter, et ce, en termes de marketing et de recherche de nouveaux marchés. Il s’agit en effet de leur donner des atouts compétitifs, comme le font d’autres gouvernements. Les grandes entreprises, elles, n’ont pas besoin de l’État, mais ce n’est évidemment pas le cas de toutes les entreprises… La Turquie, la Tunisie, les pays membres de l’Union européenne et d’autres encore aident bien leurs entreprises à exporter. Nous ferons de même.

Vous avez préparé un programme législatif pour le département des Finances, qui devrait être intégré dans le programme général du gouvernement. Quels en sont les axes et avez-vous associé les opérateurs économiques à ce programme ?
Le programme législatif du département, qui s’inscrit dans le programme général du gouvernement, met en exergue tout d’abord l’acte d’investir. Nous avons le texte du partenariat public-privé et le texte sur les marchés publics. Le cœur de ce programme est cependant relatif au développement du secteur financier, au développement des marchés financiers, pour assurer le financement de l’économie marocaine et du Trésor, et le développement de la Place financière de Casablanca. Nous avons donc un certain nombre de textes sur les rails, comme celui sur la titrisation des actifs et des anciennes créances. Il permettra de donner de la liquidité aux entreprises publiques et privées. Il y a aussi le texte sur les établissements de crédit, pour améliorer les normes de gestion et intégrer les banques participatives, lesquelles auront comme produits des instruments financiers alternatifs pour améliorer la mobilisation de nouveaux financements pour l’économie marocaine. Nous avons encore d’autres textes relatifs à l’autorité des marchés, de la Bourse de Casablanca et de Casa Finance City… Les textes sont déjà au Parlement et certains sont votés, d’autres sont en route ou au niveau du Secrétariat général du gouvernement. Bien sûr, ce sont des lois qui demandent une connaissance technique profonde et qui n’ont pu être conçues qu’en étroite collaboration avec des partenaires connaissant bien ces sujets.

Abordons, Monsieur le Ministre, les questions importantes liées aux réformes nécessaires de la Caisse de compensation et de la retraite. Où en êtes-vous ?
Pour la Caisse de compensation, la réforme, qui est une grande réforme de société et sur laquelle le ministre chargé des Affaires générales et de la gouvernance a travaillé, sera progressive. Cette charge devient insupportable pour le budget général de l’État et ne donne pas la main au gouvernement pour l’arbitrage en faveur de programmes économiques et sociaux. Il faut aussi savoir que ce sont les 20% les plus riches qui bénéficient de 43% des ressources de la compensation et que les 20% les plus pauvres ne bénéficient que de 9% ! Sur 50 milliards de DH, quelque 20 milliards de DH bénéficient ainsi aux 20% les plus riches tandis que les 20% les plus pauvres ne bénéficient que de 4 milliards de DH. L’injustice est flagrante là-dessus. Mais nous sommes aujourd’hui dans une logique d’allègement de cette charge afin de pouvoir dégager de la marge pour le soutien direct aux familles, comme cela se fait par exemple au Brésil, un pays qui conditionne ce soutien à la scolarisation des enfants. Le soutien direct implique que nous soyons capables d’identifier précisément les personnes devant être soutenues et que nous soyons capables de gérer les frustrations des autres, mais qui auront droit au recours. Il nous faut aussi et parallèlement travailler sur l’accompagnement de certains secteurs qui seront touchés par cette réforme. Un travail très intéressant a été réalisé sur les impacts de cette réforme qui devra être menée de manière progressive. Cette démarche, réalisée dans le cadre d’une large concertation, a été présentée au Parlement par Mohamed Najib Boulif, ministre chargé des Affaires générales et de la gouvernance, qui la soumettra également à la deuxième Chambre du Parlement. Les questions de progressivité dans la mise en œuvre et du choix des produits, qui devraient être décompensés, ont été abordées et des scénarii ont été présentés avec leurs impacts. C’est le débat public qui nous permettra d’avancer !

Faut-il s’attendre à des hausses de prix sur les produits de base en 2013 ?
Le lancement du programme doit être fait de manière intelligente, car notre souci est d’alléger la charge budgétaire, de préserver le pouvoir d’achat des citoyens et de faire en sorte qu’un programme d’appui soit utile à la cohésion sociale et à l’intégration des couches les plus défavorisées.

Reste la réforme des retraites, longtemps agitée par différents gouvernements. La commission technique a présenté sa copie. Où en est-on et qu’avez-vous prévu au niveau de la loi de Finances ?
Sur le plan technique, c’est un dossier qui est arrivé à maturité. En novembre dernier, la commission technique a soumis un rapport au chef du gouvernement qui va bientôt réunir la commission nationale pour trancher. Encore une fois, il s’agit d’une réforme difficile, mais indispensable, au même titre que celles de la Caisse de compensation et la fiscalité. Autre point important : ces réformes n’ont pas de lien avec la loi de Finances, si ce n’est le lien de l’État-patron. S’il y a des modifications, l’État patron devra passer à la caisse.

Mais qu’en est-il globalement de la réforme des retraites ?
On s’achemine vers un système à deux pôles : un pôle public et un pôle privé. A l’intérieur des deux, il y a une réforme de base et une pension complémentaire, selon certains paramètres de la réforme. Toutes ces réformes devraient être initiées dès 2013.

Débat animé par Farida Moha, Jihane Gattioui, Lahcen Oudoud, Brahim Mokhliss et Hassan El Arch (pour Le Matin).
Mustapha Benjouida et Hamid Smouni (pour Al-Maghribia).

Reportage photos Mohssine Kartouch

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