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«Notre objectif c’est de distribuer plus de microcrédits, plus loin, au moindre coût»

La Fédération nationale des associations de microcrédit (FNAM) et le centre Mohammed VI de soutien à la microfinance solidaire ont organisé les 11 et 12 octobre un Symposium international de la microfinance, sur le thème «Perspectives stratégiques du secteur de la microfinance au Maroc». Cette rencontre a été animée par des experts et des acteurs internationaux qui ont présenté les expériences et les meilleures pratiques au niveau mondial. La rencontre a également été l’occasion de récompenser les meilleures miro-entreprises à l’échelle nationale et de présenter le «Livre blanc du secteur marocain de la microfinance».

«Notre objectif c’est de distribuer plus  de microcrédits, plus loin, au moindre coût»
Tarik Sijilmassi, président de la FNAM

Le Matin : Vous avez organisé un symposium international de la microfinance au Maroc qui a abordé l’aspect de l’insertion, de l’intégration dans le système financier global, l’ampleur des besoins à satisfaire, le financement du secteur et une présentation d’un livre blanc sur le secteur. Quelles sont les raisons qui expliquent la tenue d’une telle rencontre ?
Tarik Sijilmassi : Ce symposium arrive à un bon moment pour le secteur. Après des années de croissance forte, suivies de quelques années de ralentissement dû à une crise de croissance, le secteur avait besoin de faire un rapport d’étape. Dans le cadre de la réflexion qui était menée ces dernières années et pour trouver des solutions, une étude stratégique sur le secteur à l’horizon de 10 années a été diligentée par le Centre Mohammed VI de soutien à la microfinance solidaire. Selon les résultats et les conclusions de cette étude, le nombre de bénéficiaires passerait de 1 à 3 millions. Nous nous devions de communiquer les conclusions de cette étude. Le cas marocain est un cas d’école aussi bien dans ses côtés positifs que dans ses aspects négatifs. Nous pouvons, compte tenu de notre expérience en matière d’INDH, du Millénium Challenge et d’autres programmes de soutien aux populations défavorisées, faire de cette rencontre un rendez-vous régulier qui se tiendrait tous les deux ans pour faire se rencontrer toutes les personnes qui travaillent et réfléchissent à l’inclusion financière.

Jusque dans les années 2007, les microcrédits ont connu une croissance à deux chiffres, avant, comme vous dites, de connaître une crise de croissance. Quelles en sont les raisons ?
Le microcrédit c’est une affaire d’hommes et de femmes, des militants qui se sont investis dans un terreau fertile. Pourquoi ? parce que le Maroc est une terre d’entrepreneuriat et les Marocains sont des entrepreneurs dans l’âme, mais en même temps c’est un pays où il y a de la pauvreté, de la précarité et des défis liés à l’exclusion économique. La combinaison de ces deux éléments a fait que le microcrédit s’est fortement développé avant de connaître une crise de croissance. Nous sommes arrivés en 2008 à un nombre de clients supérieur à 1 million avec plus de 5 milliards d’encours, mais sans les outils de gestion nécessaires et suffisants en termes de rigueur, de bonne gouvernance… À partir de 2008, nous avons commencé à nous rendre compte d’un certain nombre de problématiques : montée des impayés, endettements croisés, manque de gouvernance dans le sens où l’on ne peut pas gérer une structure de microcrédit qui atteint une certaine taille comme une petite œuvre de bienfaisance de quartier. Le ministère des Finances, qui est l’autorité de tutelle, s’en est mêlé, avec Bank Al-Maghrib (BAM), et on a commencé à réfléchir à un cadre plus structuré, avec un cadre juridique approprié, des règles prudentielles spécifiques, une directive de BAM sur la gouvernance des associations de microcrédit, des normes sur le provisionnement, sur les fonds propres, etc. De 2008 à 2011, le secteur a dû digérer ces nouveautés et les acteurs ont dû prendre acte que certains portefeuilles à risque devaient être provisionnés, que certaines pratiques de concurrence ou de recouvrement et la confusion entre le métier de microfinance et celui du crédit à la consommation ne devaient plus exister. Il fallait réparer le ressort brisé dans cette dynamique des microcrédits pour aller de l’avant. L’endettement croisé, c’est-à-dire la personne qui prenait des crédits auprès de plusieurs associations, représentait presque 1 tiers des effectifs. Il a été ramené à moins de 10% des clients du secteur. Les règles prudentielles sont aujourd’hui mises en place et respectées et Bank Al-Maghrib impose un suivi rigoureux. On est, d’autre part, revenu à la vision initiale qui éloigne de la course à la part de marché.

Règles prudentielles, normes de provisionnement... il reste que le microcrédit est différent du crédit classique, en tout cas, il doit le rester pour garder ses spécificités sociales ?
C’est le cœur aussi bien de la stratégie que nous voulons partager avec le grand public que des débats que nous avons menés pendant les plénières du symposium. Le microcrédit, qui demande de la gouvernance et des règles prudentielles, n’est cependant pas une activité bancaire. D’abord, le microcrédit ne vise pas le bénéfice, c’est une activité à but non lucratif. Le système bancaire lui, par définition, notamment pour les sociétés cotées en bourse, doit rémunérer des fonds propres. Deuxièmement, le microcrédit touche dans sa quasi-totalité les exclus du système bancaire. Dans ce dernier, les règles très strictes qui s’appliquent à la banque, rendues encore plus sévères avec les normes de Bâle II et III, font que sans certaines garanties et sans certaines conditions de solvabilité minimales d’un client, celui-ci ne peut accéder à un crédit bancaire. Il y a une catégorie importante de la population exclue du système et le microcrédit a justement pour vocation d’inclure cette catégorie dans le giron de la finance pour l’aider à exercer une activité ou à lancer une TPE ou un projet. Le microcrédit a pour vocation d’être une activité de proximité, le ratio entre le nombre d’agents et le nombre de clients n’a rien à voir avec celui qui existe dans une banque. Un agent du microcrédit en milieu urbain va traiter en moyenne 400 dossiers et 250 dossiers en milieu rural, plus éloigné. On est loin des agents bancaires qui traitent à 3 ou 4 personnes des milliers de dossiers. Ce sont deux activités complémentaires, car le client du microcrédit, s’il développe son activité, peut espérer devenir client de la banque. Tous les micro-entrepreneurs peuvent être clients de la banque et avoir un compte ouvert pour leurs besoins personnels. Mais pour les besoins de leurs activités professionnelles, ils n’ont pas accès à la banque. Pour réussir et être bancarisés, ils doivent grandir.

Le but du microcrédit est, dites-vous, non lucratif, mais à voir les taux pratiqués, jusqu’à 22%, alors que dans les banques il est à 6 ou 7%, n’est-il pas légitime de se poser des questions ?
Le débat est porté sur la place publique et au Parlement. Ce débat est nécessaire et la profession l’appelle de ses vœux, car nous devons clarifier les choses. Aujourd’hui, nous n’avons pas une réglementation des taux et le secteur n’y est pas opposé, à condition de tenir compte des spécificités du secteur. Le taux actuel qui est pratiqué au Maroc est l’un des plus bas au monde en matière de microcrédit et il faut le comparer avec ce qui se pratique dans l’informel par les usuriers qui, en taux réel sur une année, peuvent dépasser les 100 à 150% ! Dans l’activité des microcrédits, la marge bénéficiaire générée pour les micro-entrepreneurs est importante. Le taux qui est pratiqué n’est que l’équivalent du prix de revient pour le secteur.

Pouvez-vous être plus précis ?
Le secteur reçoit de l’argent à un taux situé entre 5 à 6%. Dans l’état actuel des choses, le secteur ne collectant pas de dépôt et n’ayant pas d’autres sources de financement, il emprunte son argent. Et là, il faut tordre le cou à une idée reçue qui consiste à dire que le secteur reçoit des subventions.

Cela a été le cas pendant les premières années ?
Sur les 10 dernières années, l’encourt moyen de crédit qui a été distribué a été de 40 milliards de DH et le montant des aides reçues était de 400 millions de DH, donc 1%. Ce n’est pas ce 1% qui change la structure des taux, d’autant que ce 1% a été utilisé par les associations pour leur équipement, pour le matériel informatique, pour l’ouverture des agences... et non pour la distribution des crédits. Il faut souligner un autre élément, le déploiement sur le terrain. 70% des agences du secteur bancaire sont situés dans les grandes artères des villes. Dans le microcrédit, nous sommes présents dans les patelins les plus reculés, nous sommes dans les montagnes et les endroits les plus enclavés et nous devons maintenir un coût de fonctionnement. Ce qu’il faut savoir, c’est que parfois certaines agences de grandes banques distribuent dans une seule agence, avec une vingtaine d’employés, l’équivalent de tout le secteur de la microfinance qui emploie 7 000 personnes ! Dans un cas comme dans l’autre, nous ne parlons pas de la même chose. Le coût de déploiement, qui varie de 9 à 10%, est à ajouter aux 6% du coût de l’argent, et il faut encore adjoindre le coût du risque. Nous perdons directement sur des crédits non remboursés entre 3 et 4%, ce qui nous rapproche du taux mécanique de 20%. À cela, il faut ajouter quelque 3% pour le renforcement des fonds propres et de l’assise financière. Vous voyez, à travers ce décryptage, que tout n’est que la résultante du coût de revient. Que l’on me dise qu’il faut travailler ensemble pour baisser ce prix de revient et réduire progressivement le taux, je suis tout à fait d’accord. Que l’on me dise : calculons le prix de revient et fixons un taux maximum pour qu’il n’y ait pas d’abus, je suis tout à fait d’accord. Mais que l’on compare, comme vous le faites, de manière mécanique un taux de microcrédit à un taux de banque, c’est faire fausse route. D’autant que les prêts du microcrédit sont laissés au libre choix et à la libre prérogative du client, qui fait son calcul, voit la rentabilité de son projet et décide en parfaite connaissance de cause.

Quelles prévisions faites-vous dans le secteur en termes de progression de la clientèle, mais aussi en termes de création d’emplois, puisque le microcrédit est d’abord destiné à favoriser la naissance d’activités génératrices de revenus ?
Nous avons aujourd’hui un peu plus que 900 000 clients. Nous visons à atteindre dans une décennie trois millions de clients. Le microcrédit génère 1,2 emploi par crédit induit. Nous considérons que le micro-entrepreneur s’emploie lui-même et crée 0,2 emploi. L’impact de la microfinance sur le secteur de l’emploi n’est pas négligeable et peut créer, grosso modo, quelque 3 600 000 emplois. Il reste qu’il faut s’entendre sur ce que nous voulons dire par emploi. Au sens de la microfinance, un emploi n’est pas un travail stable avec CNSS, paiement des cotisations salariales et patronales… C’est un auto-emploi dans un secteur d’activité donné : coopératives artisanales, agriculture, petits métiers de proximité, qui permet de mener une vie décente… Le microcrédit permet de développer une activité génératrice de revenus qui pourra peut-être devenir structurelle, c’est tout le bien qu’on lui souhaite. La contribution du secteur doit être perçue comme un plus positif qui permet de mettre le pied à l’étrier à des milliers de personnes exclues du système financier. Et nous savons que les Marocains ont une extraordinaire capacité entrepreunariale. L’approche genre y est également respectée puisque ce sont 50% de femmes qui ont accès au microcrédit. Une parité que l’on retrouve entre le rural et l’urbain. Ce système, on le voit, est démocratique, la seule chose demandée, c’est que le client ait un projet en tête et la volonté de le mettre en œuvre, accompagné et assisté s’il le faut, par les équipes de microcrédit qui peuvent fournir aussi de la formation.

Vous visez, dites-vous 3,5 millions de clients d’ici une décennie. Avec quelle stratégie et quels leviers envisagez-vous de répondre davantage et mieux aux besoins des micro-entrepreneurs ?
Il faut préciser qu’il s’agit de 3,5 millions de personnes employées qui s’autosuffisent. Préciser également que le secteur est prêteur et formateur, mais qu’il ne crée pas les opportunités d’emploi qui viennent de l’économie marocaine. Les micro-entrepreneurs bénéficient des politiques publiques et l’on connaît les actions menées pour promouvoir le développement et l’emploi. Je pense aux plans sectoriels : Rawaj, Plan Maroc vert, Azur, Halieutis. Les politiques publiques intègrent en partie les piliers solidaires de ces plans qui doivent faire appel à des micro-entrepreneurs et donc à du microcrédit. Le secteur va donc accompagner les plans sectoriels avec des actions qui sont en route, avec l’initiative publique et l’initiative privée.
Le secteur devra se diversifier pour passer du microcrédit à la microfinance en incorporant, par exemple, des produits de micro-assurance. Il faut également que le secteur se réinvente en termes technologiques pour utiliser les moyens les plus modernes et appropriés pour distribuer les crédits. Je pense à la téléphonie mobile, à la monétique, à Internet et à tous les moyens technologique qui permettent de distribuer mieux, plus loin et à moindre coût. Mais pour mener à bien toutes nos ambitions, nous avons besoin du soutien des autorités publiques, parce qu’il est important de faire comprendre aux gens qu’il faut rembourser les crédits pour assurer la viabilité du système. Le microcrédit ce n’est pas un don et si l’on ne rembourse pas c’est tout le système qui s’effondre. Les autorités doivent être le relais de cette confiance qui doit lier les associations de microcrédit et les utilisateurs. Ces associations ont besoin des pouvoirs publics et des pouvoirs judiciaires pour protéger leurs intérêts. Je voudrais aussi dire que les associations de microcrédit savent discerner entre les gens victimes de conditions particulières comme les inondations ou la sécheresse et ceux qui veulent profiter du système, ou les agents véreux qui détournent des fonds…

Un mot peut-être sur la Fédération nationale des associations de microcrédit et comment vous, en tant que président de la FNAM, voyez l’avenir du secteur ?
La Fédération regroupe 13 associations. Certaines comme la Fondation de la Banque Populaire, la Fondation Al Amana, Fondep, la Fondation du Crédit Agricole couvrent tout le territoire national. Les autres sont plus localisées. Huit associations se sont regroupées récemment dans le cadre d’un groupement d’intérêt qui s’appelle le Réseau de la microfinance solidaire et qui, sous l’égide du Crédit Agricole, mutualise un certain nombre de services d’informatique, de comptabilité, de consultation centrale des risques, services juridiques, etc. Ce réseau est en marche : la mise en place du service informatique commun sera terminée avant la fin de l’année et permettra aux associations de petite taille de continuer à être actives tout en respectant les règles prudentielles imposées par le régulateur. Nous ne voulons pas d’un secteur de la microfinance qui se résumerait à 3 ou 4 grandes associations. La volonté de la Fédération, du secteur et de tout l’environnement, c’est que ce secteur s’ouvre aux grandes associations nationales comme aux petites associations de proximité, qui sont indispensables. Notre souhait est de voir se créer d’autres associations sur des bases régionales. Nous les accueillerons dans le Réseau de la microfinance solidaire si elles souhaitent bénéficier des moyens de logistique, de plateforme informatique et d’autres services. Nous sommes prêts à la Fédération à aider de nouveaux venus à créer des associations, car l’avenir est aux associations de proximité. C’est un champ d’action magnifique qui permet, à partir d’une mise de fonds, d’aider un grand nombre de personnes. L’argent tourne et, la réussite aidant, cet argent est réutilisé X fois pour X personnes différentes. Nous avons démarré dans ce secteur avec des pionniers, aujourd’hui nous attendons d’autres pionniers et c’est l’appel que je lance.

Des pionniers que l’on voit s’activer même dans des pays comme la France, l’Espagne, le Portugal où des centaines d’associations de microfinance ont été créées pour aider les porteurs de petits projets. Que pensez-vous de cette inflexion financière ?
C’est ce que nous constatons. Aujourd’hui, dans des pays développés qui subissent la crise, l’exclusion financière est devenue une réalité et le microcrédit se développe. Grâce aux nouvelles technologies, on lie le micro-entrepreneuriat au travail à domicile par Internet, et c’est là un témoignage vivant que la microfinance a de beaux jours devant elle.

C’est la conclusion à laquelle aboutit le «Livre blanc»
que vous avez présenté au séminaire ?
L’étude a été réalisée par le cabinet Oliver Weyman, un cabinet de renom international, les plénières qui en ont découlé au séminaire ont été animées par des professionnels nationaux et internationaux. Tous les aspects ont été décortiqués et analysés, avec les moyens à mettre en œuvre. Tout cela est de nature à rassurer les pouvoirs publics et le secteur financier sur le sérieux de ce secteur. La microfinance, c’est un acte de générosité, un acte de militantisme à but non lucratif, destiné à soutenir des populations, à pallier des manques dans l’inclusion financière, à promouvoir l’éducation financière. Ce «Livre blanc», c’est une charte pour dire que nous existons pour soutenir le développement humain. En économie, le monde des affaires est nécessaire, mais la microfinance, c’est toute autre chose, c’est avant tout un outil au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. 

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