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Femmes aux postes de responsabilité et aux conseils d’administration : «À quand la fin du plafond de verre ?»

Attention soutenue et imperceptible tension dans la salle comble. Les conclusions de l’étude sur la gouvernance au féminin rendues publiques lors de la première Conférence sur la gouvernance au féminin organisée le 9 avril 2013 à Rabat par le ministère des Affaires générales et de la gouvernance et l’Institut marocain des administrateurs, en partenariat avec ONU-Femmes et avec le soutien de la SFI et du Club des femmes administrateurs, sur le thème «Gouvernance au féminin et performance de l’entreprise» n’ont pas laissé indifférents les participantes et les participants.

 Ils étaient venus très nombreux : d’éminents acteurs de la société civile, des experts, nationaux et internationaux, des secteurs publics et privés, de la société civile et du monde universitaire… Tous ont écouté Najib Boulif rappeler les avancées de l’Islam avec l’épouse du prophète qui commerçait, avec toutes ces femmes de l’époque, déjà responsables de la hisba. Un ministre qui s’engage à accompagner les avancées de la Constitution. Autre tonalité dans les interventions, celles d’Anass Alami, président de l’Institut des administrateurs marocains, de Mme Miriam Bensalah, présidente de la CGEM «qui accompagne et renforce la formation des femmes pour qu’elles défendent leurs droits» et Mme Leila Rhiwi, représentante du bureau multi pays pour le Maghreb de l’ONU-Femmes qui rappellent tous le réel douloureux : le Maroc se place à la 129e place sur 135 pays et, selon l’étude faite, sur 10 administrateurs on ne trouve qu’une seule femme, soit moins de 11% de femmes administrateurs dans les entreprises publiques et privées. Ce qui fait dire à Khalid Safir, SG du ministère des Finances, que cette question ne concerne pas seulement les femmes, mais intéresse l’ensemble de la société». Avec l’étude réalisée, la réalité est formalisée, et nous disposons désormais d’une bonne radioscopie de la situation. Comment changer progressivement celle-ci ? Par les textes, les lois, les réseaux d’influence, la formation ?    Autant de propositions discutées qui laissent penser que, sans doute, les choses commencent à bouger !

Le Matin : Quels sont les objectifs de l’étude réalisée sur la gouvernance au féminin ?
Amina Benjelloun : Le groupe de travail «Gouvernance au féminin» a réalisé une étude analytique sur la représentativité et la participation des femmes dans les organes de gouvernance des grandes entreprises publiques et privées nationales.
 L’étude sur la gouvernance au féminin s’inscrit dans le cadre de la concrétisation des principes constitutionnels relatifs à la bonne gouvernance et la réalisation de la parité dans la gestion des politiques publiques. Elle répond plus précisément à un objectif de performance et de compétitivité de l’entreprise à travers une amélioration de sa gouvernance.
L’étude vient ainsi compléter le processus important de promotion des bonnes pratiques de gouvernance au sein des entreprises publiques et privées menées par les pouvoirs publics en partenariat avec le secteur privé. La diversité, en particulier la mixité dans les organes de gouvernance des entreprises, a un impact important sur le processus de gouvernance et de gestion de l’entreprise.
Elle favorise le développement des affaires (nouveaux marchés, clients et partenariats) et procure des avantages compétitifs et de valeur ajoutée pour les parties prenantes de l’entreprise. Elle améliore, en outre, la flexibilité des systèmes de gestion et la prise de décision du fait de systèmes de représentation différents.

Quelle est la méthodologie retenue pour élaborer cette étude ?
L’échantillon de l’étude a porté sur les 500 plus grandes entreprises nationales avec une analyse spécifique des sociétés cotées en bourse. Elle a également ciblé les entreprises publiques à caractère marchand. L’étude s’est articulée autour de quatre principales phases. Tout d’abord, l’établissement d’un diagnostic chiffré de la représentativité des femmes dans les organes de gouvernance des entreprises (conseils d’administration, conseils de surveillance, comités de direction, comités spécialisés…), l’analyse qualitative du profil des femmes administrateurs d’entreprise, ainsi que des zones et des facteurs de blocage de l’accès des femmes aux instances de gouvernance (entretiens individuels semi-directifs).
Elle a aussi porté sur les meilleures pratiques internationales visant la féminisation des organes de gouvernance des entreprises, et l’élaboration de recommandations et l’identification de pistes d’action pour renforcer la situation actuelle au Maroc.

Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?
De manière générale, les taux de présence des femmes sur l’ensemble des administrateurs d’entreprise restent globalement très bas (7% en moyenne dans les 500 plus grandes entreprises nationales), avec une légère avance des entreprises cotées en bourse (11%). On peut souligner également qu’aucun secteur d’activité ne se distingue en la matière. Les entreprises publiques ne se distinguent pas non plus en matière de représentativité des femmes dans leurs organes de gouvernance. Les conseils d’administration sont encore perçus comme des cercles fermés, composés d’hommes, qui ont des réflexes et des réseaux communs. Par ailleurs, l’étude a identifié les zones et les facteurs de blocage auxquels sont confrontées les femmes dans leur accès aux organes de gouvernance des entreprises. Le plus marquant reste le passage du middle management (où les femmes sont volontiers intégrées, parfois même de préférence aux hommes) vers le top management où seule une minorité de femmes accède et, enfin, aux instances de gouvernance qui se révèlent encore plus difficiles à atteindre.
Au-delà de l’attitude attentiste des femmes de la reconnaissance de leurs compétences et du poids de certaines mentalités encore «machistes» au sein de l’entreprise, la nomination aux fonctions d’administrateur d’entreprise implique fréquemment des pratiques de cooptation au sein de réseaux majoritairement masculins auxquels les femmes ont difficilement accès.
Une série de facteurs exogènes relatifs à l’environnement culturel et sociétal entrave également de manière plus ou moins directe l’accès des femmes aux fonctions de gouvernance.
Certains stéréotypes véhiculés à l’école, une éducation parfois discriminante au sein de la famille, une difficile conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales continuent d’exercer des freins importants au développement des carrières féminines.
D’après les expériences internationales, deux méthodes sont généralement appliquées pour favoriser la représentativité des femmes dans les organes de gouvernance des entreprises.
D’une part, la méthode dite «douce» ou d’autorégulation (Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis…) est soutenue par une politique volontariste des entreprises en matière d’intégration des femmes dans leur gouvernance et par une maturation progressive de l’environnement économique et sociétal.
D’autre part, la méthode basée sur les quotas de représentation des femmes dans les conseils d’administration (Norvège, France, Malaisie, Espagne, Belgique…) permet de forcer les mentalités et de marquer des évolutions rapides. Des mécanismes d’accompagnement et de formation à différents niveaux sont toutefois nécessaires pour soutenir le processus et impulser le changement.

Quelle est la démarche qui sera retenue pour implémenter les recommandations de l’étude et assurer son suivi ?
La démarche du groupe de travail «Gouvernance au féminin» est globale, intégrée et surtout participative.
Elle privilégie une approche de concertation et de consultation auprès de l’ensemble des parties prenantes concernées qui seront appelées à s’impliquer pleinement dans l’exécution des actions qui seront retenues. Sur la base des recommandations et des idées nouvelles qui ont émergé des travaux de la conférence du 9 avril, le groupe de travail établira un plan d’action doté de mesures concrètes et définissant les responsabilités des différentes parties concernées dans l’objectif d’assurer une participation efficace des femmes dans les organes de gouvernance des entreprises. Des mécanismes de suivi et d’évaluation seront mis en place afin de suivre de manière périodique les évolutions enregistrées.

Verbatim

Najib Boulif, ministre des Affaires générales et de la gouvernance

«La bonne gouvernance est un mécanisme essentiel pour conforter le processus démocratique national. Les liens étroits entre bonne gouvernance et développement ne sont plus à démontrer, notamment en termes d’impacts positifs sur le fonctionnement des secteurs économiques et sociaux et des institutions gouvernementales. La nouvelle Constitution du Royaume a érigé la bonne gouvernance en tant que condition essentielle à la réalisation d’un développement durable et équilibré et levier principal de l’édification d’un État de droit. Aussi, le gouvernement a-t-il placé la question de la bonne gouvernance en tête de ses préoccupations, fondée sur l’action intégrée, l’approche participative et la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes. Les premières Assises nationales de la gouvernance, organisées par le MAGG les 12 et 13 février 2013, à Rabat, ont permis de jeter les bases de la définition d’une stratégie nationale de la gouvernance au Maroc.

Le contexte actuel où nous vivons appelle à une gouvernance encore plus renforcée dans tous les domaines, une gouvernance qui transcende tous les volets de la vie politique, administrative, économique et sociale. Et qui dit bonne gouvernance dit aussi et surtout intégration et participation effective de l’ensemble des forces vives de la nation, particulièrement les femmes, qui représentent plus de la moitié de la population. Le corpus juridique relatif aux droits des femmes a été renforcé dans tous les domaines : Code de la famille, Code de la nationalité, Code du travail, Code électoral, Code pénal… De plus, la nouvelle Constitution du Royaume consacre une série de mesures pour la réalisation de la parité et la prohibition des discriminations fondées sur le sexe, qui sera bientôt confortée par la mise en place effective d’une Haute Autorité de la parité. Aussi, le gouvernement actuel s’est-il engagé à examiner et à encourager tout projet de nature à renforcer la pleine participation des femmes sur un pied d’égalité dans la vie politique, économique et sociale, convaincu que la femme doit participer davantage à l’effort de développement de notre pays.
Cette politique a ainsi permis à la femme marocaine de s’imposer à l’échelle nationale et de s’introduire dans des domaines qui étaient jusqu’à récemment réservés aux hommes. Il nous reste toutefois de nombreux progrès à faire avant que toutes les femmes ne puissent développer leur potentiel et apporter leur pleine contribution à l’économie et à la société. Notre responsabilité consiste avant tout à mettre à leur disposition les outils nécessaires en vue de promouvoir et développer leurs actions.»

Anass Alami, président de l’Institut marocain des administrateurs (IMA)

«La faiblesse du nombre de femmes administratrices n’est pas particulier au Maroc : c’est un problème global. Pour prendre l’exemple d’une place financière, en Grande-Bretagne, les derniers chiffres datant de novembre 2012 ont montré que 17,3% des administrateurs indépendants des sociétés cotées au FTSE 100 étaient des femmes et 12% au FTSE 250. Pourquoi qualifier ce manque de problème ? Sans évoquer le lien entre la présence de femmes administrateurs et la performance de l’entreprise, qui d’un point de vue empirique et académique n’est pas toujours prouvé ; il s’agit simplement d’un problème d’équité et d’égalité, qui renvoie en premier lieu à la participation des femmes dans la sphère économique et dans la sphère politique. En termes plus pragmatiques, il s’agit pour un pays et pour une entreprise d’employer au mieux les talents et les ressources humaines dont ils disposent. Ce sont les bonnes pratiques de gouvernance qui mènent naturellement les entreprises performantes à diversifier leurs conseils. En amont, des leviers d’action doivent être enclenchés.

  Le premier levier d’action pour une entreprise qui cherche à diversifier ses compétences est de favoriser le recrutement et la promotion des femmes exécutives et managers. À la Caisse de dépôt et de gestion (en dehors des filiales), les femmes représentent 41% de l’effectif global – qui est de 550 collaborateurs. Sur un total de 127 managers, 20% sont des femmes. Le second levier consiste à faire émerger un vivier de compétences, à le renforcer et à le faire connaître au marché : c’est là le rôle de l’Institut marocain des administrateurs, dont la mission première est de contribuer à professionnaliser la fonction d’administrateur et de stimuler la réflexion des administrateurs sur leurs pratiques. Je me réjouis de constater qu’en 2013, l’IMA a jeté les bases d’une offre pertinente au service de la gouvernance. D’abord à travers le lancement du programme de la formation certifiante pour les administrateurs et futurs administrateurs, en partenariat avec l’Université internationale de Rabat, l’Université Laval (Canada) et la SFI, dont la première promotion a démarré en février 2013 et la seconde sera lancée le 9 mai 2013. L’IMA a atteint son objectif minimum de 25% de femmes dès la première promotion. Au-delà du genre, une entreprise qui cherche à diversifier ses profils est très pragmatique dans son approche : la compétence et la posture seront toujours privilégiées. En plus de la formation certifiante qui est un programme complet sur 12 journées réparties dans l’année, l’IMA vient tout juste de lancer deux offres de formations ciblées sur la communication et le leadership : l’une destinée aux dirigeants et cadres exécutifs et l’autre destinée aux administrateurs et futurs administrateurs pour “améliorer leur impact au sein d’un conseil d’administration”.»

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