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Le système éducatif finlandais ou l’école de la réussite : ce système est-il transposable au Maroc ?

Le programme informatique de suivi des certificats médicaux du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la formation des cadres et de la recherche scientifique a quelque chose d’impitoyable : en enregistrant plus de 55 850 jours de maladie et quelque 16 740 certificats médicaux présentés par le corps enseignant pour les six derniers mois allant de juin à décembre, il lève le voile sur un «dysfonctionnement» qui a un profond impact sur le niveau des élèves. Absence, incurie : le système scolaire est traversé par un profond malaise. Tous en conviennent. Comment cela se passe-t-il sous d’autres cieux ? Nous avons pris, volontairement, l’exemple de Finlande, classé parmi les premiers au monde et qui représente l’École de la réussite. Une École qui revient de loin et dont on se demande si elle est duplicable au Maroc. Entretien.

Le système éducatif finlandais ou l’école de la  réussite : ce système est-il transposable au Maroc ?
Rachid Belkahia

Le Matin : Vous êtes consul honoraire général de Finlande à Casablanca et, de par vos activités, vous connaissez bien le système scolaire de ce pays nordique. On parle de l’étonnant succès des élèves finlandais… comment l’expliquez-vous ?
Rachid Belkahia : Il y a encore 40 ans, le système finlandais était élitiste et les élèves étaient sélectionnés dès l’âge de 11 ans après seulement quatre années à l’école primaire. Les meilleures élèves avaient alors la possibilité d’intégrer le collège (5 ans) et de compléter par 3 années de lycée. Avant 1972, 50% des élèves ne suivaient pas d’études secondaires et la plupart des enfants issus de milieux défavorisés abandonnaient leurs études vers 13 ans ou 14 ans pour suivre une filière professionnelle ou encore travailler.
Dès 1968, une réforme du système éducatif finlandais a été adoptée avec l’abolition de la sélection à 11 ans et l’accueil jusqu’à 16 ans de tous les élèves dans les mêmes établissements primaires et secondaires pour y recevoir le même enseignement fondamental. Cette réforme a notamment entrainé une réduction sensible des inégalités. Après le cycle primaire obligatoire de 9 ans, que les élèves rejoignent à 7 ans, ceux qui souhaitent poursuivre leurs études ont le choix entre l’école secondaire supérieure ou l’école professionnelle. L’école secondaire supérieure prépare à l’enseignement supérieur qui est assuré par les universités et les écoles polytechniques. L’école professionnelle est plus centrée sur le développement de compétences à même de favoriser l’insertion dans le monde du travail.

Aujourd’hui, la Finlande focalise l’attention internationale et son système éducatif est classé parmi les meilleurs du monde selon l’enquête du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) menée par l’OCDE. Ces tests permettent de faire des comparaisons internationales sur les performances des systèmes éducatifs en évaluant sur un échantillon important d’élèves, sélectionnés de manière aléatoire, leurs capacités en sciences, lecture et mathématiques. Ces tests traduisent la «qualité de l’éducation» qui a un impact significatif sur la croissance des pays contrairement à la «quantité» ou le nombre d’années de scolarité, qui est sans effet sur cette même croissance.
Les tests PISA permettent en particulier d’évaluer la capacité des jeunes de 15 ans à utiliser leurs connaissances et compétences pour relever les défis du monde réel. Selon les résultats de la deuxième enquête menée en 2009, les Finlandais occupent la première place en sciences et la seconde place en mathématiques ainsi qu’en lecture et compréhension derrière la Corée du Sud.
Il est également important de relever certains éléments qualitatifs qui caractérisent la Finlande : impact résiduel des inégalités sociales sur la performance des élèves, faiblesse des différences de compétences entre garçons et filles, faiblesse des différences entre établissements, forte confiance des élèves en leurs compétences et en leur capacité d’apprentissage.

Quels sont donc les facteurs clés du succès du système finlandais ?
L’élève est au centre du dispositif éducatif et toutes les parties prenantes (État, municipalités, direction d’établissements, enseignants…) se mobilisent pour que l’élève soit heureux, épanoui et libre de se développer à son rythme dans un environnement chaleureux et accueillant (espace de travail vaste, endroits pour le repas, propreté des locaux…). De plus, les établissements sont de taille modeste et offrent une atmosphère de proximité qui permet aux responsables d’établissements de connaitre individuellement tous les élèves. Les relations professeurs-élèves sont chaleureuses et les enseignants sont accessibles, disponibles et attentifs aux demandes des élèves. Des professeurs spécialisés sont présents dans tous les établissements pour soutenir de manière ciblée les élèves en difficulté. Au primaire, les élèves gardent le même enseignant et la même classe sur plusieurs années. En outre, chaque école dispose d’une assistante sociale et, en cas de maladie, les enseignants ont souvent un remplaçant. Les professeurs sont rarement en grève. Le taux d’encadrement est élevé avec une moyenne de 20 élèves par classe. Les études sont garanties (inscription, fournitures scolaires, repas, transport…) et l’école joue parfaitement son rôle d’ascenseur social. Les élèves sont actifs et impliqués et l’enseignant est une ressource parmi d’autres. Sur un plan matériel, toutes les salles sont équipées de rétroprojecteur, d’ordinateur, de vidéoprojecteur, de TV et de lecteur DVD. Les murs sont couverts de livres et tout est mis en œuvre pour développer les capacités d’apprentissage et d’acquisition des compétences pour les élèves dans un cadre de coopération harmonieuse ; le professeur est davantage un facilitateur en créant pour les élèves les situations d’apprentissage stimulantes et variées ; les élèves, quant à eux, sont enthousiastes, responsables et sont pleinement acteurs de leur propre apprentissage.

Qu’en est-il de l’évaluation des élèves, qui est souvent vécue par nos élèves comme un cauchemar ?
Les élèves ne sont pas notés jusqu’à 9 ans, ce qui fait que l’acquisition des savoirs fondamentaux se fait sans le stress des évaluations et sans stigmatiser des élèves plus lents. L’évaluation chiffrée n’apparait qu’à l’âge de 13 ans avec des notes de 4 à 10. L’évaluation en Finlande a pour souci de ne pas pénaliser l’élève et constitue davantage une aide à la formation plutôt qu’un outil de sélection. Elle se veut inclusive pour stimuler et accompagner l’élève d’une façon simple et adaptée à son propre rythme. Il n’y a donc pas de notions de redoublement, de punition et encore moins d’exclusion. En revanche, les entretiens de mise au point sont nombreux et font l’objet d’un suivi rigoureux. Au final, s’agissant des professeurs, ces derniers se considèrent plus au service de leurs élèves que d’un enseignement théorique. Le professeur jouit d’un grand prestige au sein de la société. Son recrutement est très exigeant et se base à la fois sur son background académique et sur l’idée qu’il se fait de son métier et de ses relations aux enfants. La formation initiale de l’enseignant est poussée (Master) et elle est complétée par des études de pédagogie. La qualification académique du professorat finlandais est élevée, en particulier dans l’éducation primaire. La formation pédagogique (initiale et continue) est solide et garantit sa compétence dans ses disciplines, mais également dans l’animation des classes et de groupes hétérogènes, la gestion des conflits, le travail en équipe d’adultes. À l’université, les futurs professeurs passent des épreuves de communication et d’empathie, présentent des résumés d’ouvrage, démontrent leurs aptitudes artistiques. Par ailleurs, un système éducatif finlandais valorise pleinement la sensibilité sociale ou citoyenne des professeurs (implication dans des ONG, bénévolat…). Un autre point important dans le dispositif finlandais concerne l’obligation faite à tout établissement de procéder à des évaluations régulières de son fonctionnement et de ses professeurs et de les rendre publiques.

L’élève commence l’école à 7 ans en Finlande, alors que dans d’autres pays européens comme en France, ils commencent dès 2 ans et demi ? Qu’en pensez-vous ?
L’école n’est obligatoire qu’à partir de 7 ans ; mais les enfants peuvent fréquenter dès l’âge d’un an le jardin d’enfants où sont développées des activités d’éveil ; ils intègrent à 6 ans une année d’éducation préscolaire gratuite qui constitue un tampon entre le jardin d’enfants et l’école. Si l’apprentissage de la lecture est exceptionnel à ce niveau, en revanche, les enseignants sont centrés sur le repérage des aptitudes des enfants et sur le timing adéquat pour aborder les apprentissages fondamentaux. La mission de l’enseignant préscolaire dépasse largement le cadre du «gardiennage» usuel dans beaucoup de pays. Mentionnons au passage que les éducateurs des centres préscolaires reçoivent une formation pédagogique de même niveau que les enseignants de l’école fondamentale. Cet investissement dans l’éducation dès la toute petite enfance est de première importance et certains travaux démontrent que les capacités «non cognitives» (maitrise de soi, capacité à coopérer avec les autres et à s’intégrer dans une société) se déterminent avant l’intégration de l’enfant à l’école primaire. L’enjeu est de taille, car ces capacités non cognitives impactent significativement les aptitudes cognitives de l’individu dans ses performances scolaires, la poursuite d’études supérieures et sa réussite universitaire.

À propos d’investissement, un mot sur la rémunération des enseignants finlandais ?
La rémunération des enseignants se situe dans la moyenne de l’OCDE pour un temps de travail modéré, mais avec une définition de service élargie incluant des obligations diverses (surveillance des couloirs ou de la cour, conseils de classe, cours de soutien, participation à des groupes de travail disciplinaires ou transversaux…). Par ailleurs, les enseignants jouissent d’une liberté pédagogique totale avec beaucoup d’autonomie et de capacité d’initiative. Enfin, leur formation continue est ciblée.

Que donnent les mesures de performances
du système ?
L’amélioration du niveau scolaire des élèves constitue l’objectif prioritaire de toute politique éducative et, dans ce cadre, les systèmes éducatifs performants visent à :
1. Favoriser le recrutement des meilleurs talents chez les enseignants, car la qualité du système éducatif ne peut dépasser celle de ses enseignants.
2. Accompagner la formation d’enseignants qualifiés pour améliorer l’enseignement sur le terrain, car seule l’amélioration de l’enseignant dans les salles de classe produit des résultats.
3. S’assurer que le système permet d’offrir aux élèves le meilleur enseignement possible, car la performance globale de tout dispositif éducatif passe par la réussite de chaque élève.
Le système finlandais répond à tous ces critères : profession d’enseignant valorisée, recrutement exigeant, formation initiale poussée, conditions matérielles optimales, liberté pédagogique totale, professeurs experts associés à l’enseignement, formation continue ciblée. L’enseignement constitue donc la clé de voûte de tout dispositif éducatif, comme le confirme un ensemble de recherches menées depuis quatre décennies dans le domaine de l’éducation qui suggèrent l’impact de «l’effet enseignant» sur les acquisitions des élèves.

Ce modèle est-il exportable ?
Le modèle finlandais est singulier à plusieurs égards : forte cohérence culturelle, prégnance de la culture luthérienne basée sur la discipline et l’effort, facilité d’apprentissage du finnois qui est une langue qui s’écrit comme elle se prononce (et vice-versa), responsabilisation des enfants à qui les parents inculquent le sens de l’autonomie et de la responsabilité, compétence élevée et valorisation matérielle et sociale des enseignants, soutien personnalisé aux enfants en difficulté qui ne sont pas laissés «à la traine», taux d’encadrement exceptionnel, absence d’évaluation notée avant 9 ans, allocation de ressources importantes pour les élèves du primaire, décentralisation du système avec une grande liberté d’action laissée aux chefs d’établissements, pauses régulières (de 15 minutes toutes les 45 minutes) pour une meilleure concentration et attention des élèves…
Certaines bonnes pratiques sont tout à fait transférables dans d’autres environnements : formation spécialisée des enseignants post bac avec, à côté des matières à enseigner, une ouverture sur les innovations pédagogiques, la psychologie des enfants et la gestion des conflits, sélection rigoureuse des futurs enseignants à l’entrée et en fin de cursus, responsabilisation des élèves avec un système de réparation des erreurs plutôt que de sanctions, enseignants tuteurs dédiés à 100% à l’accompagnement des élèves en difficulté pour limiter les redoublements et les abandons, aménagement des horaires de cours et devoirs limités pour permettre à l’enfant de vivre son enfance…

Vous enseignez au Maroc, une question simple : le système finlandais est-il exportable au Maroc ?
Le challenge est de transformer une école sélective, inégalitaire et inefficiente en une école qui concilie l’excellence avec l’équité et l’épanouissement de l’élève, avec l’acquisition du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Il n’y a pas de fatalité de l’échec et plusieurs travaux démontrent que tout système éducatif peut progresser de façon significative et rapide quel que soit le niveau initial des élèves et indépendamment du contexte géographique, culturel et des ressources allouées.
La performance de tout système éducatif repose, en effet, sur certains leviers fondamentaux : clarté et pérennité de la politique éducative, adaptation des programmes d’enseignement aux besoins du pays, formation initiale et continue des enseignants, développement des compétences pédagogiques des enseignants et des compétences managériales des responsables d’établissement, mesure de la performance des élèves et des établissements et allocation corrélative des ressources, motivation des enseignants…
Maintenant, les leviers de progrès prioritaires sont fonction du niveau de performance dans lequel le pays se situe : quand la performance initiale du système éducatif est faible, comme au Maroc, il est prouvé selon une étude de McKinsey que l’atteinte d’un niveau «correct» passe par la mise en place des bases de l’apprentissage de la langue et des mathématiques. Dans des pays à performance initiale correcte, le passage au niveau «bon» repose sur la mise en place de personnel adéquat, l’optimisation des moyens alloués aux établissements et des enseignants, la révision des bases pédagogiques.

Enfin, le passage de «bon» à «très bon» s’appuie pour l’essentiel sur la refonte des approches pédagogiques et la transmission de savoir-faire entre enseignants. Concernant en particulier les méthodes pédagogiques, on oppose en général les méthodes «verticales», c’est-à-dire celles où l’enseignant assure un cours à des élèves qui travaillent ensuite seuls sur leurs notes et leurs manuels, aux méthodes horizontales davantage centrées sur le travail de groupe, l’interactivité… Une recherche récente établit l’impact à long terme de celles-ci sur les valeurs dominantes au sein de la société, sur le marché du travail et sur les entreprises. Ainsi, les pays qui adoptent un enseignement horizontal ont un niveau de confiance plus élevé et des comportements plus civiques que ceux où l’enseignement est plus vertical.
De la même façon, des méthodes pédagogiques plus horizontales induisent des entreprises avec une organisation horizontale, donc plus décentralisées, et des relations de travail plus coopératives. L’enjeu d’une réforme réussie du système éducatif est donc de première importance pour nos organisations, notre économie et la communauté en général. Il y a là une responsabilité collective à laquelle on ne saurait se soustraire.

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