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Le modèle marocain de résilience face aux secousses politico-financières

Par Driss Abbadi
Professeur à la Faculté de droit de Casablanca - Aïn Sebaâ

Le modèle marocain de résilience  face aux secousses politico-financières
Le système marocain a su encaisser les traumatismes et rebondir.

La crise économique et financière mondiale continue aujourd’hui d’infliger des conséquences sociales dévastatrices dans le monde entier. Il s’agit de la crise la plus profonde qu’ait connue le monde depuis 1929. Une crise dévastatrice qui génère un chômage de masse (y compris pour des fonctionnaires), des pertes de salaires et de pensions. Alors que le monde reste fixé sur l’austérité dans les économies à revenus élevés, les pays en développement ont mis en œuvre chez eux de vastes mesures d’austérité. En conséquence, on s’attend à ce que ces économies en développement réduisent les dépenses d’un taux moyen de 1,8% du PIB en 2012 - presque deux fois le taux de leurs homologues des pays développés, qui s’ajustent sur 1% du PIB. Et de nombreuses mesures de réduction des coûts dans le monde entier ont une incidence disproportionnée sur les pauvres.

Un examen des 158 plus récents rapports nationaux du Fonds monétaire international révèle que les gouvernements envisagent quatre principaux types de la réforme financière :

1- Dans 73 pays, les gouvernements envisagent des réductions ou un plafonnement de la masse salariale, ce qui réduit les salaires des travailleurs du secteur public qui fournissent des services essentiels à la population.

2- Les gouvernements de 73 pays cherchent à réduire ou à annuler des subventions, y compris sur les denrées alimentaires et le carburant (cas du Maroc), en dépit du fait que les prix des denrées alimentaires ont atteint un niveau record dans de nombreuses régions.

3- Les réductions des programmes de protection sociale sont à l’étude dans 55 pays, à un moment où les gouvernements devraient chercher à étendre les avantages.

4- De nombreux gouvernements sont à la recherche d’autres mesures de réduction budgétaires, comme les augmentations d’impôts sur les biens et services de base consommés par les pauvres (dans 71 pays), ce qui peut continuer à contracter l’activité économique.
Ces réformes pourraient avoir des conséquences graves et irréversibles et l’agitation sociale augmente à mesure que les gens perdent leur confiance envers les gouvernements et les institutions publiques.
Pour les pays de la zone MENA, les émeutes qui ont engendré les révolutions arabes depuis février 2011 se propagent à leur manière dans le monde occidental. Après le Printemps arabe, voici «l’Automne occidental»... À leur tour, ce sont la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni et même Israël qui sont frappés par de grandes manifestations de la jeunesse en colère.

Les effets de ce qu’on a qualifié de «Printemps arabe» ont démontré la complexité de ces systèmes politiques dans le sens d’une «criticalité auto-organisée» à l’image du petit tas de sable auquel on ajoute quelques graines, ce qui crée de petites avalanches jusqu’à ce que tout le tas s’effondre. Ils ont dévoilé par là même leur criticalité et se sont écroulés comme des châteaux de cartes.
Le phénomène «Printemps arabe» a ainsi mis à nu la fragilité des systèmes politiques de beaucoup de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Ces systèmes n’attendaient que la «goutte pour que le vase déborde» et se sont effondrés sous la pression des secousses sociales qu’ils ont connues. Les changements de régime ainsi opérés sont toutefois mal tombés puisque la crise économique et financière mondiale, qui les touche forcément, va rendre très difficile leur reconstruction démocratique, économique et sociale. Les citoyens de ces pays croyant que le changement politique va apporter avec lui la prospérité économique et la stabilité sociale. Or c’est le contraire qui se produit.

Au sein de ces pays touchés par le Printemps arabe, un pays fait figure d’exception et d’un parcours singulier : le Maroc a fait preuve d’une résilience aux secousses politiques économiques et financières. La résilience est l’art de rebondir après un choc ou un traumatisme. En économie, la résilience est la capacité à revenir sur la trajectoire de croissance après avoir encaissé un choc.
Le système marocain a ainsi su encaisser les traumatismes et rebondir. Il a fait preuve de sa capacité de résistance aux pressions sans trop se déformer ou a pu retrouver sa forme, un peu comme un ressort.
Au plan politique, depuis plusieurs siècles, le Maroc est une monarchie qui a commencé sa transition démocratique progressivement depuis une dizaine d’années, tout en restant attaché à ses traditions, ce qui lui a permis d’opérer les réformes à doses homéopathiques évitant ainsi la rupture brutale et d’opérer en douce le passage d’un système à un autre. La réforme de la Constitution marocaine en juillet 2011 a consacré l’élévation du statut constitutionnel du Premier ministre à celui de chef de gouvernement, qui sera désigné au sein du parti arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants, le principe de la consultation du chef de gouvernement par le Roi avant la déclaration de l’état d’exception et la dissolution du parlement, l’élargissement des compétences du pouvoir parlementaire en matière de législation et de contrôle. La consécration d’un pouvoir judiciaire indépendant vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif.

À ce titre, elle prévoit la création du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, le conseil constitutionnel a été érigé en Cour constitutionnelle. Le processus de démocratisation et d’ouverture au Maroc au cours de la dernière décennie a profondément transformé les choix politiques et les mécanismes de prise de décision vers une plus grande participation des acteurs politiques et sociaux et le développement de nouveaux processus de décision. Le consensus des acteurs autour des principaux fondements politiques est maintenant un préalable pour les choix qui engagent le pays à long terme. Toutefois, si le pluralisme permet un équilibre entre les pouvoirs, l’administration publique marocaine, quant à elle, demeure centralisée ; elle transfère très peu de pouvoirs au niveau territorial avec la prédominance des représentants de l’État au niveau régional et provincial. Dans ce domaine, les rôles doivent être mieux clarifiés et renforcés dans le sens d’une plus grande proximité du citoyen et le passage d’un système fermé vers un système réellement libéral et ouvert avec un renouvellement de l’ancienne génération de dirigeants par une autre. Une nouvelle génération de dirigeants ayant une culture du service public tournée vers le citoyen-usager se préoccupant de l’amélioration de sa qualité et de l’ouverture vers l’ensemble des acteurs sociaux économiques. Ce passage, malgré sa douceur, ne sera pas effectué sans douleur. Il sera accompagné d’une perte des certitudes qui étaient propres au système fermé et l’instauration de sentiment d’incertitudes d’insatisfaction propre au système libéral ouvert.

La transition et l’ouverture démocratiques du système politique marocain l’exposent naturellement à un certain nombre de risques en raison du fait qu’il met l’individu au centre d’intérêt et donc le responsabilise, offre toutes sortes d’opportunités. Mais en même temps, il lui ôte les garanties et les prises en charge assurées autrefois par l’État. C’est ce qui crée un sentiment de perte de repères. Sentiment, somme toute, normal pour un être qui atteint sa maturité, commence à assumer ses responsabilités et à la place de qui on ne décide plus. Au plan économique, le Maroc est un pays à revenu moyen. Le PIB au Maroc est de 100,22 milliards dollars américains à prix courants en 2012, avec un revenu moyen par tête d’habitant de près de
5 000 $US en 2012. Le Maroc est classé parmi les pays à revenu intermédiaire tranche inférieure. La politique d’ajustement structurel initiée à partir de 1983 n’a pas modifié les structures de production et les performances de l’économie demeurent encore largement tributaires de l’agriculture. La libéralisation du commerce extérieur a permis un accroissement de la contribution des exportations à la croissance. Tel qu’il est mesuré par le ratio «Exportations FOB/PIB». Le Maroc est intégré à l’économie mondiale davantage par les importations que par les exportations.

Par ailleurs, s’agissant de l’investissement, on relève une hausse significative du taux d’investissement (FBCF/PIB) depuis une dizaine d’années. L’amélioration juridique de l’environnement des affaires a permis une reprise notable. En dépit des nombreuses contraintes que connaît l’économie marocaine pour des causes tant structurelles que conjoncturelles, le gouvernement a multiplié les initiatives tendant à relancer la croissance par une politique d’incitation et d’encouragement à l’investissement, notamment à travers l’amélioration de l’environnement des affaires. Parmi ces mesures, il convient de citer la réforme de la réglementation des marchés publics, l’adoption de la Charte de la petite et moyenne entreprise, la mise en place des Centres régionaux d’investissement (guichets uniques pour les investisseurs), l’adoption du cadre réglementaire favorable au développement des investissements qui profite à l’ensemble des PME pour l’accès au financement à travers la mise en place d’un environnement incitatif pour le développement du capital-risque ; la création de Fonds de garantie et de cautionnement mutuel, la création de Fonds collectifs et de sociétés d’investissement en capital ainsi que la constitution d’organismes de crédit mutuel et coopératif et la révision de la loi relative aux crédits jeunes promoteurs. Toutefois, le Maroc, comme la plupart des pays de la région MENA, est menacé par plusieurs incertitudes et défis qui constituent des risques baissiers pour la croissance à court terme. Le maintien des mouvements sociaux, la mise en œuvre de la nouvelle Constitution et la nouvelle expérience gouvernementale constituent le principal risque baissier pour la croissance. La persistance de la crise en Europe accentuerait la baisse des recettes du tourisme, qui représentent une part importante des recettes en devises. La hausse du coût du capital se traduira par une déprime de l’investissement, limitant ainsi les perspectives de croissance. Le fléchissement éventuel des entrées d’investissements directs étrangers et l’augmentation des sorties de capitaux à court terme sont susceptibles d’exercer des pressions à la baisse sur les taux de change.

Le Maroc ne disposant pas de ressources énergétiques et ayant une économie dépendant de l’agriculture et des aléas climatiques avec un taux important de pauvreté, a misé sur la bonne gouvernance, a su gérer sa complexité en amortissant les secousses en amont au moyen de réformes anticipées ce qui lui a évité les avalanches, a maintenu sa durabilité et prouvé sa solidité.
Toujours est-il que le Maroc ne disposant pas de rente issue de ressources énergétiques (ni pétrole ni gaz) souffre du manque de ressources financières pour financer son développement. Pour dépasser cette contrainte financière, le Maroc a opté pour les grands défis en matière d’équipement du pays en mobilisant les partenariats internationaux et en levant des fonds sur la base de projets structurants bien conçus.

Parallèlement à l’investissement en l’humain en adoptant une approche participative. Il a prouvé par là même que le développement d’un pays n’est pas tributaire uniquement de sa richesse financière, des pays de même niveau social dégagent annuellement des excédents budgétaires grâce à leur rente énergétique. C’est le cas de l’Algérie qui, malgré d’énormes ressources, ne se modernise pas et présente des déficits en matière d’équipements sociaux et une faiblesse du niveau de vie : le chômage des jeunes y reste très élevé (43%), le poids de l’économie parallèle y est énorme (50%), le niveau de pauvreté y est alarmant (23%), alors que l’Algérie dispose d’une rente annuelle de 72 milliards de $ issue des revenus du pétrole et du gaz ! Sentant venir le danger du «Printemps arabe», après les manifestations de 2011, le pouvoir algérien a lâché du lest en maintenant les subventions et en augmentant les salaires, et pour acheter la paix sociale, l’Algérie a accordé de fortes hausses de salaires : + 50% pour les policiers avec effet rétroactif à janvier 2008, + 55% pour les douaniers avec effet rétroactif sur 3 ans, + 70% pour les médecins avec effet rétroactif sur 

3 ans, + 30% pour les enseignants avec effet rétroactif à janvier 2008, + 30% pour les postiers avec augmentation des primes de 50 à 70 %. Alors qu’au Maroc, sans ressources énergétiques, une réserve de change qui s’amenuise, le gouvernement a adopté une politique d’austérité et de transparence en gelant les recrutements dans le public, n’hésitant pas à augmenter les prix du carburant, comptant supprimer les subventions et en n’accordant aucune augmentation des salariés au prix d’une montée de l’impopularité d’un gouvernement dont la majorité des membres arrivent pour la première fois aux affaires publiques.
Le Roi et le gouvernement manifestent une ouverture aux attentes des citoyens, gèrent mieux les ressources dont ils disposent et créent des programmes innovateurs pour une fourniture efficace des prestations et services.
En anticipant et procédant tôt à cette ouverture, le Roi a transféré beaucoup de ses pouvoirs au chef du gouvernement, le laisse gouverner, se met en retrait, ses interventions sont ponctuelles, précises et pondérées. C’est le retour au «normal», du moins à une gouvernance tempérée qui produit un effet apaisant.

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