Le gouvernement tient dur comme fer à une hausse du Smig de 10%. Et il l’a fait savoir lors d’une réunion marathon avec le patronat et les syndicats mardi 29 avril à Rabat, selon une source ayant pris part à la rencontre. Cette dernière s’est poursuivie tard dans la nuit. A l’heure où nous mettions sous presse, rien ne filtrait encore sur les modalités ni le timing. Le patronat a signifié qu’une telle hausse serait lourde de conséquences pour l’emploi. Sauf changement, il semblerait que la formule d’une revalorisation de 10% en deux temps, proposée par le gouvernement, serait celle qui devrait être adoptée et mise en vigueur sur deux années, soit 2014 et 2015. Le salaire minimum interprofessionnel garanti atteindrait ainsi 2.500 DH.
L’objectif pour le gouvernement est de «sauvegarder le pouvoir d’achat et relancer la consommation». Calculs politiciens, timing mal choisi, une augmentation de trop … les patrons que nous avons sondés pour les besoins de ce dossier fustigent, à quelques nuances près, une revalorisation du Smig. La compétitivité de leur entreprise s’en trouvera fortement affectée. La revalorisation du Smig est redoutée surtout par les secteurs qui ont tout bâti sur un bas coût salarial et/ou qui emploient une importante main-d’oeuvre, à savoir le BTP, agroalimentaire et le textile essentiellement. Pour les entreprises tournées à l’export, la marge, et parfois la survie, est menacée.
Cette hausse du Smig est d’autant plus difficile à digérer qu’elle interviendrait dans un contexte difficile où le gouvernement a décidé la décompensation et l’indexation partielle des produits pétroliers.
Pour les membres de la CGEM, notamment les industriels, une hausse dans le contexte actuel sera mal vécu, surtout en l’absence de mesures d’accompagnement. Le discours sur le coût du travail est souvent brandi par le patronat. Ce dernier redoute aussi l’effet «contagion» que pourrait induire la hausse du Smig : les employés qui perçoivent des salaires légèrement supérieurs réclameraient aussi une augmentation. La CGEM prône aussi, et ce depuis longtemps, un Smig sectoriel et la signature de conventions collectives également sectorielles. Pour le patronat, c’est la logique de la productivité qui devrait primer.
Notons que, souvent, lorsque le concept de la compétitivité-coût du travail est évoqué, le salaire ressurgit en premier. L’idée véhiculée est qu’un pays serait compétitif lorsque les salaires sont bas, et inversement peu compétitif lorsque ces derniers sont trop élevés. Les économistes trouvent souvent ce raisonnement limité. Car la compétitivité est liée aussi à d’autres facteurs tels que la productivité horaire du travail et le nombre d’heures travaillées.
Face aux warnings des patrons, les dirigeants syndicaux, en arrachant la revalorisation du Smig, rassureront leurs bases. Pour les syndicats, si l’Etat a pris la décision de soutenir les entreprises, il doit en faire autant pour les salariés.
Car, théoriquement, l’augmentation du Smig devrait se traduire par une hausse du pouvoir d’achat et donc un renforcement de la demande du marché intérieur. Toujours est-il qu’il faudra que les entreprises jouent le jeu de la transparence en répercutant la hausse et en déclarant l’ensemble des salariés.
Rappelons qu’avant ce projet de revalorisation du Smig, le dialogue social était à l’arrêt durant toute l’année 2013. Les syndicats et le gouvernement, campant chacun sur ses positions. Les premiers avaient réussi, deux ans auparavant, à «arracher» une augmentation des salaires dans la fonction publique de 600 DH nets ainsi que du salaire minimum de 15% en deux temps (10% en juillet 2011 et 5% en juillet 2012).
Mais dans un pays où l’économie souterraine est fortement développée, un pan entier de la population des salariés est exclu du salaire minimum légal. D’où la nécessité de prévoir des préalables, tels l’intégration de l’informel et le renforcement du contrôle de l’Etat, pour que les revalorisations du Smig ne soient plus vécues par les patrons comme des «cauchemars épisodiques».