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Climat des affaires et investissements directs étrangers : ce n’est pas qu’une question de classement !

La grève générale a finalement eu lieu et, pour l’heure, il est prématuré d’en dresser un bilan. La veille, le Chef du gouvernement promettait aux Marocains une bonne nouvelle, le jour même de la grève. Annoncé par son porte-parole sur un plateau télévisé, le cadeau de Benkirane fut la progression par le Maroc de 16 places dans le classement mondial sur le climat des affaires. Même si cette «prouesse», contestée le jour même de sa communication, est loin des préoccupations des Marocains, tant son impact sur leur vie quotidienne est loin d’être perceptible (ils lui ont préféré, la baisse des prix du carburant ayant eu lieu quasiment au même moment), elle consacre les efforts menés par l’équipe gouvernementale dans l’amélioration de l’environnement de l’investissement et l’attrait des capitaux étrangers.

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 Félicitations, donc ! Mais ce classement montre-t-il réellement les progrès en la matière ? Comment expliquer qu’en dépit de cette avancée, le niveau des investissements directs étrangers (IDE) soit en baisse par rapport à l’année dernière ? Pourquoi notre bon positionnement dans ce classement ne se reflète-t-il pas dans notre part de marché des IDE dans le monde, où nos résultats sont extrêmement décevants ?


Nous vivons désormais, sous une nouvelle dictature, à laquelle sont soumis tous les pays. Celle des «hits parades» et du «top XX». Il n’est pas un domaine de notre vie courante où il n’y a pas un classement ! C’est l’un des dommages collatéraux d’une mondialisation où il ne suffit plus d’être bon, mais meilleur que les autres. Les gouvernements sont désormais soumis à un stress constant, tentant de se justifier devant leurs citoyens sur de nouveaux critères de performance, qui pleuvent sur leur tête, à chaque fois que quelqu’un à l’autre bout du monde se trouve animé par la mission messianique d’évaluer toute la planète. Ils sont devenus, à leur corps défendant, des élèves qui découvrent chaque matin qu’ils doivent passer un examen dans une nouvelle matière, décidé par un professeur qu’ils n’ont, pourtant, jamais vu, ni connu. Ce dernier peut, à tout moment, changer les règles d’examen et les critères de notation et les élèves n’ont qu’à s’y soumettre, faute d’une autorité pour le rappeler à l’ordre. Ce fut le cas, du dernier classement de «Doing Business» où, sous prétexte d’améliorer le classement, on change une méthodologie, fort contestable et contestée, il faut le reconnaître.

Du Doing Business…

Le Doing Business (DB) est un classement annuel de 189 pays (édition 2015) reflétant la facilité de faire des affaires dans une économie donnée. Effectué par la Banque mondiale sur la base des travaux de recherche de Djankov, La Porta, Lopez-de-Silanes et Shleifer (2002), il est construit autour de dix thématiques (création d’entreprise, octroi de permis de construire, raccordement à l’électricité, transfert de propriété, obtention de prêts, protection des investisseurs minoritaires, paiement des taxes et impôts, commerce transfrontalier, exécution des contrats et règlement de l’insolvabilité), elles-mêmes composées de sous indicateurs. La pondération par indicateur est la même et la classification de toutes les économies est effective jusqu’à juin 2014. Une note élevée indique un environnement favorable à la création et au développement d’entreprises.
En fait, le DB souffre d’un cinglant démenti par la réalité. En effet, les ténors des IDE, tels que la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, l’Argentine occupent, dans la version 2015 du DB, le bas du tableau, tandis que ses meilleurs élèves, tels que Singapour, la Nouvelle-Zélande ou le Danemark attirent des IDE dans la moyenne mondiale. Il n’y a donc pas une corrélation positive entre le positionnement d’un pays dans le DB et sa capacité à drainer des IDE qui représentent l’enjeu essentiel de ce classement. Et pour cause, aucun entrepreneur national ne consulte, au préalable le DB, avant de prendre la décision d’investir ou pas. D’ailleurs, au vu de notre tissu économique constitué principalement de TPE et de PME, très peu d’investisseurs marocains savent qu’il existe. Et même dans ce cas (attraction des IDE), son influence est fort limitée, comme en témoigne la faible corrélation entre les classements et les montants des IDE par pays.

En somme, la bonne nouvelle de M. Benkirane, n’en est pas vraiment une, même s’il fait toujours plaisir à notre fierté nationale de gagner quelques places dans cette inflation de classements de tous genres. Plus sérieusement, seule l’évolution du nombre de projets réalisés et de la valeur des investissements effectués atteste de la réussite d’une politique d’investissement dans une économie et, en la matière, nos réalisations sont certes positifs, mais demeurent insuffisants et très volatiles. Le classement du DB a, en revanche, comme principale vertu, de nous forcer, de peur d’y perdre quelques places, à entreprendre les réformes structurelles nécessaires à l’amélioration du climat des affaires au Maroc. La pression de l’opposition n’étant pas très forte, il vaut mieux celle venant de l’étranger. Quant aux investisseurs étrangers, que nous cherchons à attirer, ils peuvent, certes, lire avec attention ce rapport, mais leur décision d’investir dans un pays repose sur des critères plus solides, qu’un travail fait en laboratoire.

… aux vrais enjeux des IDE

Rappelons qu’une décision d’investissement est rarement prise par un pays, mais par des entreprises privées, aux motivations, aux intérêts et au raisonnement, bien souvent, différents de ceux des nations. À la recherche de rentabilités toujours plus élevées, les capitaux privés mondialisés jettent leur dévolu sur une économie, si elle leur permet soit d’accéder à un gros marché (raisonnement par les débouchés), soit de réduire considérablement les coûts de production (raisonnement par le coût des facteurs), soit de mitiger leur risque, en se diversifiant géographiquement (raisonnement par la gestion de portefeuille d’activités). Les deux premières motivations sont donc capitales. Les critères contenus dans le DB, sans affecter l’essence même de la décision d’investissement (sauf dans des cas extrêmes), en simplifient l’exécution. Autrement dit, on ira investir en Chine ou en Inde, quand bien même leur classement, selon les critères du DB, est médiocre, car ils offrent des coûts de main-d’œuvre qualifiée tellement faibles que le reste devient secondaire. De même, si l’Europe, les États-Unis, le Canada et le Japon attirent l’essentiel des IDE dans le monde, c’est qu’ils offrent d’importants marchés pour l’écoulement des produits des entreprises qui s’y implantent, indépendamment de la facilité, certes réelle, qu’on y a à faire des affaires. Si, en revanche, un pays n’offre aucun de ces deux avantages (débouchés et/ou coût des facteurs), il devient candidat à la troisième motivation de l’IDE, à savoir la diversification du portefeuille. Dans ce dernier cas, les critères du DB peuvent avoir du sens, même s’ils présentent aujourd’hui des lacunes dans leur choix et dans leur méthodologie, de l’aveu même de leurs auteurs. Ainsi, ils effleurent, ou passent carrément sous silence, d’autres aspects tout aussi importants pour les investisseurs, tels que la flexibilité du marché de travail qu’ils viennent d’intégrer, la prévisibilité juridique, les cadeaux et avantages fiscaux, la qualité et la stabilité des institutions, le niveau des infrastructures et les facilités de changes (rapatriement de devises).

Compte tenu des accords de libre-échange que le Maroc a signés avec les marchés les plus riches du monde (Europe, États-Unis et pays du Golfe) et des coûts de capital humain encore compétitifs, le Maroc peut devenir une plateforme unique d’attraction des IDE offrant importants débouchés et coûts compétitifs des facteurs, au lieu d’être un simple pourcentage dans un portefeuille d’activités, dont une multinationale cherche à réduire le risque. Et ce pourcentage représente, hélas, 0,2% des IDE dans le monde. Rien de glorieux, quoi ! 

Par Nabil Adel

M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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