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Émergence industrielle : Les choses sérieuses commencent !

Si l’architecture globale du nouveau plan industriel semble solide (comme tout plan au stade de conception), c’est la mise en œuvre qui constituera son vrai test de vérité. Aussi bien notre expérience que celle d’autres pays nous enseignent cinq leçons à ne pas ignorer pour éviter que la fabuleuse mobilisation de départ ne finisse en mauvaise surprise.

Émergence industrielle :  Les choses sérieuses commencent !

 Leçon n° 1 : la finance doit être au service des secteurs productifs et non au service d’elle-même

Dans notre précédent article (voir «le Matin Éco» du 24 avril 2014), nous avons démontré que la crise de liquidité au Maroc trouvait son origine, entre autres, dans la rapide financiarisation de notre économie, matérialisée par une expansion plus forte de la sphère financière par rapport aux autres secteurs. Nous avons également analysé que l’exceptionnelle période de surliquidité dont a bénéficié le pays entre 1999 et 2010 avait alimenté une bulle immobilière et boursière dont nous souffrons des conséquences aujourd’hui encore. Cette mutation de l’économie nationale vers l’immobilier et la finance est liée aux taux de rendement élevés qu’ils généraient, comparativement aux secteurs primaire et secondaire ; et par la totale liberté accordée aux marchés financiers dans l’allocation de l’épargne collectée.
Ainsi, à partir du moment où les institutions financières respectaient quelques ratios prudentiels et quelques normes comptables, elles pouvaient orienter les capitaux drainés vers les secteurs de leur choix (les plus profitables le cas échéant et pas forcément les plus stratégiques pour le pays). En termes simples, la régulation est sévère sur les origines des fonds, mais très peu regardante sur leur destination, tant qu’elle n’est pas illicite.
La première étape vers l’émergence industrielle et agricole (n’oublions tout de même pas notre vocation première) du Royaume est de s’assurer, via une régulation d’abord politique, que l’épargne collectée par les marchés financiers s’oriente vers les secteurs du PEI (plan d’émergence industrielle) et non vers le financement des vacances d’été et des moutons de l’Aïd.

 Leçon n° 2 : doter l’industrie et l’agriculture en facteurs de production en quantité et qualité suffisantes et à un coût compétitif

Le rôle premier d’un État stratège est de veiller à l’allocation optimale des facteurs de production – que sont les ressources naturelles, le travail, le capital et l’entrepreneuriat (capacité à combiner les autres facteurs pour créer un produit et générer un profit) – à ce qu’il a décidé de produire (produits manufacturés dans le cadre du PEI et autosuffisance alimentaire dans le cadre du Plan Maroc vert).
Cette allocation se fait par l’État qui s’assure, via diverses incitations (ou limitations), que ces facteurs s’orientent vers les secteurs qu’il cherche à promouvoir. Au Maroc, le succès de certains secteurs, tels que l’immobilier, les télécommunications et la finance, s’explique par le fait qu’ils ont réussi à drainer ces facteurs de production en quantité et en qualité suffisantes.

 Leçon n° 3 : en l’absence (ou insuffisance) d’initiative privée, l’État doit prendre le relai et jouer le rôle d’investisseur

Dans cette phase de notre développement, l’État doit, en plus de la réflexion stratégique et de l’impulsion, intervenir directement en tant qu’acteur, gestionnaire et employeur ; et préparer les structures d’incubation des entreprises industrielles (hébergement, conseil et financement, lors des premières étapes de leur vie). Il doit, pour ce faire, mobiliser, outre les 20 milliards de dirhams qui sont déjà sur la table, toutes les ressources de financement (crédits à l’économie, fonds d’investissement non cotés, appel public à l’épargne et une partie des recettes publiques) requis à la mise sur pied d’une véritable base industrielle. L’action publique consistera en l’investissement direct via un fonds national souverain (FNS) à actionnariat mixte et populaire. Ses missions seraient la création d’entreprises industrielles, la prise de participation dans des industries existantes pour les moderniser et les développer, l’achat de savoir-faire à l’étranger et l’accompagnement international de nos entreprises. Si l’idée centrale du PEI est de créer des écosystèmes, l’État doit en être le pivot dans un premier temps. Le FNS lui-même et ses filiales peuvent être cotés en bourse pour assurer à cette dernière la profondeur dont elle manque.
Dans le sillage de son émergence industrielle, le Royaume doit, tout en continuant la politique des grands travaux, en confier la réalisation en majeure partie à des entreprises marocaines ou du moins installées au Maroc (préférence intérieure plutôt que nationale). Le but étant, outre la dotation de notre pays en infrastructures modernes, l’acquisition de la technologie. Même s’il est plus cher et plus lent de produire localement, l’objectif devrait être à moyen terme, comme l’ont fait beaucoup de pays, d’atteindre des niveaux de coûts proches de nos fournisseurs actuels. S’ensuivra une troisième phase où, à l’instar d’autres secteurs, nos industriels exporteront ce savoir-faire acquis dans les zones de libre-échange du Maroc.

 Leçon n° 4 : pas de recherche et développement, pas d’industrie

L’innovation est le cœur de l’activité manufacturière. Elle permet à un pays de passer du stade de sous-traitant, ce qui représente le plafond de nos ambitions actuelles, au stade de pays industrialisé. La recherche et développement alimente l’économie en nouveaux produits et services, en processus de transformation (plus rapides et moins chers) et en méthodes modernes de gestion, dont l’export génère croissance et création d’emplois. Or la part du budget R&D dans notre PIB est bornée à 0,8% (contre une moyenne de 2,3% pour les pays émergents). Dans un article du journal «Libération», nous pouvons lire «Concernant le personnel scientifique et technique dont dispose le Maroc, il approche aujourd’hui un effectif de 20.000. 10.748 sont des enseignants-chercheurs qui exercent dans les universités, 4.020 travaillent dans les établissements publics de recherche (comme le LPEE, l’INRH, l’Institut Pasteur, etc.), 4.000 dans les établissements publics de formation des cadres et seulement 303 dans les établissements privés d’enseignement supérieur. Il y aurait à ce compte, au Maroc, un taux de 6 chercheurs pour 10.000 habitants [ndlr contre 20,3 pour la Chine, 91,8 pour les États-Unis et 81,9 pour la France]. Quant à l’aspect innovation, le nombre de brevets déposés au Maroc entre 2000 et 2004 a atteint 2 154. Sur ce total, les brevets d’origine marocaine ne représentent que 28,5%». Ces chiffres se passent de tout commentaire et indiquent les efforts à fournir en la matière.

 Leçon n° 5 : créer des industries, c’est bien. Leur trouver des débouchés, c’est mieux

Le Maroc est un pays qui donne, grâce aux accords de libre-échange qu’il a signés, accès à des marchés représentant plus de 1,1 milliard de consommateurs, la moitié de la production mondiale et plus de 350 fois son PIB. Et pourtant, il concentre ses échanges sur deux pays, France et Espagne, qui s’adjugent plus du tiers de notre commerce extérieur et reste prisonnier d’une seule zone de libre-échange qui accapare 65% de ses importations et exportations avec un solde largement en sa défaveur. La diversification des débouchés et l’équilibre des échanges avec le reste du monde doivent désormais orienter notre politique de commerce extérieur. Il est presque irresponsable de continuer à confier notre croissance aux taux directeurs fixés par la Banque centrale européenne. Le choix des secteurs industriels et des filières agricoles à investir doit partir d’un examen approfondi des besoins de tous nos partenaires commerciaux pour y répondre. Le PEI doit également veiller à créer un vivier de plusieurs milliers de PME exportatrices avec un accompagnement spécifique, en termes de recherche de débouchés, de lobbying, d’intelligence économique, de conseil et de suivi. Alors, commençons les choses sérieuses !

Par Nabil Adel

M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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