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«La loi 30-09 est truffée d’incohérences»

Publiée en novembre 2010 dans le Bulletin officiel, la loi 30-09 relative à l’éducation physique et aux sports ne fait plus l’unanimité. Elle est considérée, par plus d’un, comme dépassée puisque ses dispositions ne cadrent pas avec les exigences des instances sportives internationales. Pour y voir clair, nous avons interrogé Yahia Saïdi, spécialiste en droit du sport.

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Le Matin : On assiste à une cacophonie à propos des statuts de la FRMF et avant cela sur les statuts de la FRMBB concernant leur conformité aux exigences standards des fédérations internationales, mais aussi à l'esprit de la loi 30-09. Qu'est-ce qui pose problème dans ce cas : les lois internationales ou la loi 30-09 ? Quels sont les articles de ladite loi qu'il faudrait amender ?
Yahya Saïdi : D’abord, je ne peux prétendre à une réponse exhaustive à votre question, car cela nécessite de longs chapitres pour examiner les tenants et les aboutissants de toutes ces problématiques. Nous sommes face à un désordre normatif dont la responsabilité incombe au ministère de la Jeunesse et des sports. Dans la loi 30-09, il y a un hiatus. Cette loi a été mal conçue, mal élaborée et n’obéit pas à la plus élémentaire des exigences de la légistique, c'est-à-dire de l’ensemble des techniques et des méthodes qui régissent la rédaction d’un texte de loi. C’est une loi plus prolixe et capitonnée d’incohérences. Même entre la version arabe et française, il y a des incohérences déroutantes. In fine, c’est une loi molle que les légistes qualifient de «neutron législatif» du fait de l’absence de son caractère obligatoire.
Soit, il faut réécrire cette loi et l’amender bien évidemment non pour élaguer les articles qui posent problème avec les statuts des fédérations sportives internationales, mais pour l’adapter aux préceptes de la nouvelle Constitution clairement énoncés dans les articles 12 et 26.
Concernant cette obligation de mise en conformité avec les statuts types des fédérations qui ont été édictés en vertu de l’article 23 de la loi 30-09, elle doit être abrogée, car on ne peut pas vassaliser les fédérations sportives et en être leur tutelle du fait qu’elles sont des personnes morales de droit privé et non de droit public. Les fédérations sportives émanent des associations sportives qui sont elles aussi de droit privé. Le ministre parle des fédérations comme si elles étaient des annexes administratives qui dépendent de lui.

Si c'est le cas, pourquoi le MJS n'exerce-t-il pas de tutelle sur les associations qui sont l'épine dorsale des fédérations ?
L'ambivalence est là, car ce que l'État donne de sa main droite, il le prend de sa main gauche. La main droite, pour moi, c'est le dahir des libertés publiques qui constituent le socle de la fondation des associations. Quant à la main gauche, c'est la loi 30-09 qui est indispensable, mais doit être conçue pour réguler le secteur du sport et non pour le régenter.
Encore faut-il ajouter que les statuts types relatifs aux fédérations sportives ne précisent pas les DOS (Dispositions obligatoires statuaires) auxquelles il faut se conformer. Se conformer en droit ne veut pas dire reprendre en toute crue les statuts types. Se conformer, c’est ne pas contredire. Or quand on se réfère au texte de la loi dans sa version en arabe notamment l’article 112, on parle d’adaptation. La nuance sémantique entre mise en conformité et adaptation n’est pas explicite dans la loi. Il faut abroger les statuts types des fédérations, sinon, il faut légiférer afin que les fédérations sportives puissent se conformer aux DOS en prenant en considération les exigences statutaires des fédérations sportives internationales auxquelles elles adhèrent.
Pour la FRMF, le même problème se pose avec acuité avec la FIFA. Dans les statuts de cette dernière, il n’est pas explicitement énoncé que c’est la FIFA qui valide les statuts des fédérations nationales, mais de se conformer aux exigences de ses statuts standards (Article 13, lettre «f»). Là aussi, il y a un flou artistique, car ni les statuts ni les règlements de la FIFA ne précisent ce que sont ces exigences statutaires. Pour débloquer la situation, je crois que la FRMF peut provoquer son AGE pour adopter les nouveaux statuts en prenant en considération ce qui a été recommandé par la FIFA. Le ministère de la Jeunesse et des sports n’a pas droit de cité et j’ai du mal à le voir s’ingérer dans cette histoire de statuts quand on sait qu’il a déjà accordé à la FRMF une dérogation à l’obligation de se mettre en conformité aux statuts types des fédérations. C’est ce qu’on lit en substance dans la lettre signée du secrétaire général de la FRMF et adressée à la FIFA en novembre de l’année dernière. Mais il semble que le MJS ne veut pas lâcher prise en essayant d’imposer sa drôle tutelle qui nous rappelle celle des États totalitaires.

Le ministre de la Jeunesse et des sports a souvent déclaré que la loi marocaine prévalait sur la loi internationale, mais en même temps, il se soumet aux dispositions statutaires de la FIFA, est-ce qu'il existe une incompatibilité entre la loi 30-09 et les dispositions de la FIFA ?
Parlons d’abord de la loi 30-09 : outre un tollé d’incohérences qui la plombent, il faudrait focaliser d’abord l’attention sur la contradiction principale qui réside dans la controverse sur son entrée en vigueur. Les textes nécessaires pour son application ne sont pas encore promulgués. C’est ce que stipule l’article dernier (118). D’autant plus qu'une loi n’est intelligible et applicable que lorsqu’elle est codifiée. Le pouvoir normatif de la FIFA prohibe l’ingérence sous toutes ses formes alors que la législation sportive marocaine est altérée par une tutelle mal définie. L’ancienne loi 06-87 et l’actuelle loi 30-09 ont été calquées d’une manière grotesque sur la législation sportive française. Aujourd’hui, la France s’apprête à refonder sa législation sportive sur la base d’un projet intitulé : «Passer d’une nation de sportifs à une nation sportive». La tutelle sera reconfigurée en clarifiant le rôle de chaque acteur en vue d’une mise en place d’une organisation sportive efficiente, en optimisant les ressources et en responsabilisant les fédérations dans des domaines d’intervention où elles sont plus efficaces.
Pour répondre à ta question, ce qui m’intrigue, c’est le fait de constater qu’au niveau des pouvoirs publics, on n’ose même pas poser le problème pour le résoudre, car comme disent les mathématiciens, un problème posé est à moitié résolu.
On n’est pas dans une arène de courses de taureaux pour parler de prévalence de la législation nationale sur celle des instances sportives internationales. Il ne s’agit pas d’adaptation de textes nationaux à des textes internationaux.
La balle est dans le camp du Parlement qui doit prendre l’initiative pour proposer de nouveaux textes et amender ce qu’il faut amender. À l’occasion du cinquantenaire du Parlement marocain, S.M. le Roi avait, dans sa lettre, incité les députés à prendre l’initiative de proposition des lois. Si on adapte la loi 30-09 à la nouvelle Constitution et à son esprit, il n’y aura plus de problème avec la législation des instances sportives internationales. Notre Constitution est avant-gardiste et est fondée sur la séparation des pouvoirs, sur l’indépendance de la gouvernance des organisations privées et sur la démocratie participative, voire la prévalence des conventions internationales.

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