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Ces milliards de dirhams qui échappent au développement local

Avec une forte dépendance financière de l’Etat et une gestion chaotique de leurs ressources, les collectivités locales ont du mal à investir dans les infrastructures et autres projets de développement. Pourtant, le bien-être des populations et la création de richesses en dépendent amplement. Décryptage.

Ces milliards de dirhams qui  échappent au développement local
L’investissement des collectivités territoriales s’élève à quelque 11,9 milliards de dirhams en 2012.

La fiscalité des collectivités locales, un grand corps malade. Faute d’un recouvrement efficace, une gestion rationnelle et un système comptable maîtrisé, de nombreuses communes urbaines comme rurales se privent de millions de dirhams et avec, de précieuses opportunités de développement local. Leurs recettes viennent encore en appoint aux transferts de l’Etat qui se chiffrent à plus de 17,8 milliards de dirhams, selon la Cour des comptes. En 2012, plus de la moitié (55%) des recettes globales des communes étaient constituées de leur part dans le produit de la TVA, selon la Trésorerie générale du Royaume.

Le problème, c’est qu’avec cette forte dépendance de l’Etat et une gestion chaotique de leurs ressources, les collectivités locales (CL) ont du mal à investir dans les infrastructures et d’autres actions de développement. Plusieurs projets programmés sont parfois suspendus, voire annulés, faute de ressources financières suffisantes. Un chiffre : l’investissement des collectivités territoriales, quelque 11,9 milliards de dirhams contre 48,5 milliards pour l’Etat, est certes plus élevé que celle les recettes et les dépenses, comme le souligne la Cour des comptes. Mais la réalité montre que ce montant est loin d’être visible sur le terrain. Les périmètres des collectivités locales sont encore avides de projets d’investissement. Dans son analyse des investissements consentis par les CL, la Cour des comptes note un tassement relatif de ces derniers dans la mesure où ils ont enregistré une augmentation ne dépassant pas 20% en dirhams courants sur la période 2009-2012. En plus, l’institution affirme, dans son rapport 2012, que l’investissement mobilisé par les collectivités locales enregistre un taux d’exécution «très» en deçà des objectifs.

Potentiel de recettes propres

Si les CL ont du mal à mobiliser plus de recettes fiscales, ce n’est certainement pas parce que le potentiel est faible. Il est important, très important même, selon plusieurs analyses. «Les collectivités locales sont dans une situation financière leur permettant d’honorer normalement leurs engagements. Elles disposent même d’une large capacité d’endettement et d’un potentiel appréciable de recettes propres les prédisposant à mobiliser davantage de ressources. Des atouts dont les collectivités territoriales pourraient user pour contribuer à plus de bien-être pour les populations et à plus de création de richesses», décrypte la Cour des comptes. Concrètement, le corpus fiscal actuel des collectivités locales comportent 17 taxes dont 11 affectées à 1.520 communes urbaines et rurales, 3 destinées à plus de 70 provinces et préfectures et 3 autres réservées aux 16 régions du pays. Du pain sur la planche pour les collectivités locales si elles veulent réellement doper et diversifier leurs recettes. Pour l’économiste, Mohamed Chiguer, le problème de rentabilité de la fiscalité locale n’est pas lié au nombre des impôts et taxes mais plutôt à la gouvernance du système fiscal local. «La gestion de la fiscalité locale est un peu comme celle du système fiscal national. Vous avez une base contributive qui n’est pas ou mal couverte avec un contrôle boiteux et un système de recouvrement qui n’est pas du tout efficace. Avec ces défaillances, il ne faut pas espérer des performances extraordinaires», analyse Chiguer. Mohamed Rahj, fiscaliste et professeur universitaire, fait valoir un autre point de vue. Il estime que, par leur nature même, les impôts et taxes locaux présentent des assiettes fiscales étroites et des taux d’imposition très faibles. Rahj admet aussi que le taux de recouvrement demeure très faible en raison de l’absence de suivi. Selon son analyse, la faiblesse du rendement et du recouvrement impacte négativement l’autonomie financière des collectivités locales. «C’est normal donc que les ressources fiscales propres actuelles pèsent à peine 20% des ressources financières des collectivités locales», argue Rahj.

La Cour des comptes assure que le recouvrement est le maillon faible pour pratiquement toutes les communes auditées. L’étude de cas concrets montre que le système de recouvrement est plus que défaillant : certaines communes tentent toujours de recouvrer des taxes qui remontent à des exercices antérieurs à 2004. D’autres ne font même pas l’effort de récupérer leur dû. Le manque de contrôle et l’absence de vérification sont également légion. Bon nombre de communes ne se soucient guère de vérifier les déclarations des contribuables. Ce qui laisse apparaître des écarts et un manque à gagner estimés à des millions de dirhams.
A la gestion jugée archaïque et rudimentaire s’ajoute donc une gouvernance «catastrophique», corollaire des conflits politiques qui perdurent au sein des collectivités locales. «Le Commune urbaine de Casablanca peut justement illustrer ce constat. Plusieurs présidents d’arrondissements font parfois exprès de ne pas recouvrer les taxes qui leur sont dues. L’objectif est de mettre les bâtons dans les roues du Conseil de la ville», nous confie une source interne à la commune urbaine de Casablanca qui a requis l’anonymat. Sans oublier les traitements de faveur de certains contribuables, notamment ceux qui disposent de commerces ou autres activités économiques. «Pour des raisons purement politiques, certains élus accordent des avantages à des contribuables. Question de renforcer leur base électorale», nous confirme un conseiller communal. Des pratiques qui servent les intérêts de certains élus mais qui plument les communes et les mettent dans des situations financières très fragiles…

La réforme, c’est pour quand ?

Le diagnostic est assurément là et les pistes de réforme sont également explorées. Les questions essentielles qui se posent : que compte concrètement faire le gouvernement pour enclencher la réforme de ce système qui est stratégique pour le développement local ? Quelle est sa vision, ses choix et ses pistes de réforme ? Des questions qui sont demeurées sans réponse. Interpellé, le ministère délégué en charge du Budget s’est refusé à tout commentaire. Son argument : la fiscalité locale est du ressort de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) relevant du ministère de l’Intérieur. Joint par nos soins, ce dernier nous affirme à travers sa cellule de communication qu’il «ne souhaite pas se prononcer sur le sujet pour le moment». Du côté de la Direction générale des impôts (DGI) pourtant présentée par la Cour des comptes comme un partenaire externe aux CL, on nous précisera aussi que toute question relative à la politique fiscale au niveau local est du ressort de la DGCL.

Finalement, le gouvernement a-t-il réellement une vision pour réformer la fiscalité locale ? Lors des Assises de la fiscalité, tenues en avril 2013 à Skhirate, les intervenants avaient notamment recommandé d’orienter les impôts liés à l’immobilier vers le financement des projets locaux, de canaliser certaines taxes de l’Etat vers les collectivités locales et de créer un fonds dédié au financement des projets de développement. Ils ont même recommandé des Assises de la fiscalité locale. Signalons que bien avant les Assises, des propositions de réforme existaient déjà. Elles figurent dans le rapport réalisé en 2012 par le CESE sur la fiscalité. L’institution dirigée par Nizar Baraka a recommandé notamment d’adapter le système de fiscalité local à la nouvelle donne de la régionalisation avancée. Ainsi, ce système devrait, selon les experts du Conseil économique, social et environnemental, être réaménagé pour pousser les collectivités locales à rechercher de manière dynamique des recettes propres. Une piste que ne défend pas le fiscaliste Rahj. A l’en croire, la faiblesse des ressources fiscales mobilisées par les collectivités locales ne cadre pas avec la donne de la régionalisation avancée du fait de l’expansion rapide des villes dont les populations expriment, de plus en plus, de fortes demandes pour le transport, le logement, les espaces verts, etc. Pour lui, il est plutôt nécessaire d’enrichir le système de nouveaux impôts qui relèvent actuellement du système fiscal de l’Etat comme les impôts fonciers. Pour le CESE, la taxation locale doit être revisitée avec un mécanisme à trois piliers : le premier basé sur la création de richesses locales. Ainsi, une partie (à définir) des grands impôts nationaux (IS et IR et taxes sur les profits immobiliers) qui correspondent à la création locale de richesses doit être reversée aux communes qui les génèrent.

Le deuxième pilier doit également comprendre les mécanismes de solidarité et de péréquation régionale prévus par la constitution (Fonds de mise à niveau sociale destiné à la résorption des déficits en matière de développement humain, d’infrastructures et d’équipements et Fonds de solidarité interrégionale), en définissant les modalités d’alimentation de ces fonds (via la TVA reversée ou d’autres mécanismes), ainsi que les modalités de leur utilisation et de leur gestion, détaille le CESE. Enfin, un troisième pilier purement local, doit comprendre les taxes d’habitation, les taxes professionnelles exclusivement orientées vers les commerçants, les professions libérales et les métiers non soumis à l’IS ainsi que certaines taxes liées à l’usage de l’espace urbain. Le CESE recommande aussi la simplification des modes de calcul de ces taxes locales de manière à ne pas compliquer les déclarations et le suivi pour le tissu productif. Les bases doivent être limitées dans la mesure du possible, soit à l’activité (chiffre d’affaires), soit au résultat (résultat imposable à l’IS ou à l’IR).
Et que recommande la Cour des comptes ? Dans son rapport 2012, l’institution rappelle avec insistance que la Constitution a instauré les principes sur lesquels devrait reposer l’organisation territoriale du Royaume, à savoir la libre administration, la coopération et la solidarité. «Pour ce qui est les collectivités territoriales, le texte constitutionnel a prévu, dans son article 146, qu’une loi organique (…) définira les règles de gouvernance relatives au bon fonctionnement de la libre administration, au contrôle de la gestion des fonds et programmes, à l’évaluation des actions et à la reddition des comptes». Précision : cette loi se fait toujours attendre.

Référentiel comptable

En termes de transparence financière, la Cour, qui affirme que les CL ne disposent pas encore d’états financiers à même de donner en temps réel une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et des engagements, recommande de doter dans l’urgence les collectivités territoriales d’un référentiel comptable et budgétaire qui s’inspire des meilleurs standards et normes en la matière. Un référentiel qui se fonde, selon la Cour, sur le principe de la comptabilité d’exercice et de la constatation des droits et obligations. De même, l’Institution rappelle qu’il est temps d’engager une opération de préparation de comptes consolidés du secteur des collectivités territoriales, en y introduisant la dimension patrimoniale et en y intégrant toutes les entités contrôlées par ces collectivités (établissements publics locaux et participations financières directes et indirectes). Ses recommandations spécifiques à la fiscalité locale, la Cour devrait probablement les consigner dans son prochain rapport sur la fiscalité locale. Le gouvernement tiendra-t-il compte de ces recommandations ?

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