Le Grand Marché transatlantique (GMT) en est la première étape. Dans le sillage de son option pour l’économie du marché et l’ouverture commerciale, le Maroc doit d’ores et déjà se préparer à cette nouvelle mutation.
Le bloc occidental
Également connu sous le nom de Traité de libre-échange transatlantique, GMT est un accord de commerce et d’investissement en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Il prévoit la création en 2015 d’une zone de libre-échange transatlantique. Le projet instituera la zone de libre-échange la plus importante de l’Histoire, couvrant plus de la moitié du PIB mondial et constituera une première étape vers l’unité économique du bloc occidental. Cette initiative, dont le premier jalon a été posé en 1990 au lendemain de l’effondrement du bloc communiste, se veut une réaction au déclin de l’empire américain, à la menace militaire russe et au danger économique chinois, à la montée en puissance des pays émergents, réclamant plus d’équilibre dans les relations économiques internationales, et aux dangers en provenance du Moyen-Orient en proie à toutes les instabilités. Cet accord, dans la lignée de la pensée économique des avantages comparatifs (théorie démontrée par David Ricardo selon laquelle, en situation de libre-échange, le pays se spécialisant dans la production pour laquelle il dispose de la productivité la plus forte ou la moins faible, comparativement à ses partenaires, accroît sa richesse nationale), est de nature à présenter des avantages pour chacune des parties participantes à la négociation, du fait de la facilitation des échanges économiques, censés être une source de richesses. Selon une étude commandée par la Commission européenne, les effets sur la croissance du PIB associés à la suppression des barrières douanières seraient de +0,10% pour l’Union européenne et de +0,04% pour les États-Unis. Une fois les mesures relatives aux barrières non tarifaires prises en compte, le gain de PIB pour l’Union européenne s’établirait entre +0,27 et +0,48% pour l’Union européenne, et entre +0,21 et +0,39% pour les États-Unis. Il va sans dire que ces projections sont difficilement vérifiables, tant les paramètres entrant en compte dans de tels modèles sont sujets à de fortes mutations sociales, économiques, culturelles, politiques et même idéologiques.
Les négociations portent sur la suppression des droits de douane, déjà très faibles, en raison d’une intégration économique avancée entre les deux zones. Les deux protagonistes maintenaient jusqu’à présent des droits de douane significatifs dans certains secteurs, tels l’agroalimentaire, le textile, l’habillement et la chaussure, ainsi que dans le secteur des véhicules de transport terrestre.
L’accord vise également l’élimination des «barrières non tarifaires» à travers une harmonisation progressive des réglementations et de la reconnaissance mutuelle des règles et normes en vigueur. Les pays signataires s’engagent à une «mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures» avec les dispositions du traité. Les textes en discussion contiennent des mesures visant à l’harmonisation des réglementations affectant le commerce, notamment celles concernant l’alimentation et la sécurité, la santé publique, la protection de l’environnement, le contrôle de l’impact carbone, la protection des données numériques personnelles, la réglementation de la finance et l’accès des entreprises étrangères aux marchés publics et certaines conventions collectives.
La fin de l’État nation
Les tractations autour de ce projet sont conduites dans une grande opacité, loin du contrôle des Parlements des futurs pays signataires. Ceux-ci devront s’exprimer en bloc, une fois les négociations achevées et le projet fin prêt. Ce manque de transparence du processus et le caractère asymétrique des informations, dont peu d’éléments filtrent, sont dénoncés comme une atteinte à la démocratie.
Toutefois, l’élément qui suscite le plus débat dans cet accord est le dispositif de règlement des différends entre investisseurs et États. Le projet inclut un paragraphe qui énonce que «l’accord devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs – État efficace et à la pointe, assurant la transparence, l’indépendance des arbitres et la prévisibilité de l’accord, y compris à travers la possibilité d’interprétation contraignante de l’accord par les parties». Le 21 janvier 2014, la Commission européenne annonçait une consultation publique relative au mécanisme de règlement des différends entre les entreprises et les États qui s’est tenue du 27 mars au 6 juillet 2014. Ce mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États accorde un pouvoir considérable aux entreprises face aux États. Il permet à une firme d’attaquer directement un État, pour politique entravant son activité commerciale, devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Il s’agit d’un tribunal arbitral supranational dépendant de la Banque mondiale basé à Washington ! Cette révolution juridique met les États sur un pied d’égalité avec les firmes devant une Cour étrangère aux lois nationales. Chacune des parties étant représentée par un arbitre : un arbitre nommé par l’entreprise, un par l’État et le troisième par la secrétaire générale de la Cour.
Cette régression du pouvoir des citoyens au profit des entreprises, impensable il y a à peine quelques années, marque un tournant historique dans les relations entre le Capital devenu transnational et des États nations dont la conception est demeurée figée depuis des siècles. La capacité de l’État à réguler l’économie, et a fortiori, les marchés, est désormais un lointain bon souvenir.
Une opportunité pour le Maroc ou une menace ?
Notre pays, déjà engagé avec l’Union européenne et les États-Unis par des accords de libre-échange, peut pleinement profiter de ce nouvel ensemble commercial et en faire une locomotive pour son développement économique. Si l’intégration à ce bloc suppose une renonciation à certains attributs de la souveraineté qu’il faut préserver vaille que vaille (régulation des affaires, politique économique et monétaire, conformité juridique, exception religieuse et culturelle), ses avantages sont toutefois indéniables, en termes d’accès à d’importants marchés, d’attraction d’investissements étrangers, de création de dizaines de milliers d’emplois et d’ouverture culturelle dans la préservation de notre identité millénaire.
Il est, toutefois, à regretter que le Maroc ne soit pas suffisamment préparé à tirer profit de cette manne pour le moment et il est à craindre qu’en l’absence d’une réelle redéfinition de notre modèle de croissance et d’une sérieuse restructuration de notre tissu productif, pareille ouverture ne se traduise par une forte dégradation de nos comptes extérieurs et un amenuisement de nos réserves en devises, surtout si nous optons pour une politique de changes flottants et une convertibilité totale du dirham. Le Maroc, de par son statut avancé avec l’Europe et son accord de libre commerce avec les États-Unis, sera certainement invité à faire partie de ce grand espace qui peut lui être grandement profitable. C’est une occasion à saisir vite et bien, à condition de s’y préparer. Qu’attendons-nous ?
Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant
et professeur d’économie,
de stratégie et de finance.
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www.nabiladel74.wordpress.com