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Nouveau rôle de l’Afrique dans la gouvernance mondiale

● Hicham Hafid
Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines

Nouveau rôle de l’Afrique  dans la gouvernance mondiale
Afrique• il existe aujourd’hui relativement plus d’organisations régionales que sur les autres continents.bPh. Fotolia

Dans un monde de plus en plus globalisé et marqué par l’intensification des échanges de biens et services, et l’émergence de nouveaux acteurs (ONG, multinationales et groupes terroristes faisant fi des frontières), ainsi que de nouvelles puissances économiques faisant basculer le centre de gravité de la croissance économique mondiale, la question de l’intégration économique se pose avec acuité. Elle permet à un bloc de pays d’échanger entre eux et de mettre en place des dispositifs de mise en valeur des ressources collectives, d’exploitation des complémentarités et de transformation des ressources sur place. De ce point de vue, l’intégration économique devient la réponse idoine à la mondialisation économique qui est, comme le souligne Stiglitz, allée plus vite que la mondialisation politique (absence d’un gouvernement mondial).

Ceci est d’autant plus important qu’un État à lui seul semble trop petit pour faire face à des enjeux économiques et sécuritaires régionaux, voire mondiaux, de grande ampleur. En effet, qu’il s’agisse des nouvelles ou des anciennes puissances, elles semblent avoir une stratégie régissant leur rapport à l’Afrique, la question qui se pose est de savoir si celle-ci a une stratégie pour faire face à ces puissances et partant s’imposer comme acteur majeur dans la réforme embryonnaire de la gouvernance mondiale.

Effectivement, l’Afrique, qui devient de plus en plus une nouvelle frontière de la croissance économique en raison de ses potentialités importantes, des dynamiques internes de réformes et de la nouvelle géographie de la croissance mondiale, suite à l’arrivée de nouvelles puissances, est appelée à jouer un rôle primordial dans la réforme de la gouvernance mondiale en gestation. Force est de se convaincre de la croissance régulière que connaissent les pays du continent depuis le début du 21e siècle, qui contraste considérablement avec les faibles taux réalisés par les pays occidentaux et qui plaide pour une révision de la place de l’Afrique sur la scène mondiale. A fortiori, le continent qui devient l’épicentre de la nouvelle géopolitique mondiale se trouve devant une situation historique, assimilée par nombre d’analystes à une nouvelle indépendance.

En vue de tirer profit de cette fenêtre d’opportunité, l’Afrique, qui n’a été jusqu’alors qu’une fiction juridique sur la scène mondiale, devrait s’ériger en un acteur majeur de ce nouveau monde. Ce qui renvoie à la question relative à la capacité des pays du continent à se constituer en bloc afin de peser sur le processus de prise de décision au niveau international. D’où l’importance de revoir les modalités d’intégration à l’œuvre en Afrique. Il est important de souligner qu’il existe, aujourd’hui, davantage d’organisations régionales en Afrique comparativement aux autres continents. De même, les pays africains participent à plusieurs initiatives d’intégration régionale. Si, dès les premières années de l’indépendance, l’établissement des communautés économiques sous-régionales a été un volet important de la stratégie de développement de l’Afrique, le foisonnement de ces initiatives d’intégration ainsi que la multiple appartenance des pays du continent aux groupements régionaux, de par la multiplication des engagements et des accords qu’ils entrainent, créent une espèce de confusion et de redondance qui risquent de réduire à néant les efforts d’intégration. Dès lors, il devient nécessaire de rationaliser le processus d’intégration afin de le rendre plus efficace et profitable aux pays du continent.

Le foisonnement des CER et des groupements économiques régionaux : chevauchements des accords et confusion

On recense en Afrique quatorze Groupements économiques régionaux classés en CER et en groupements d’intégration. Il est pertinent de souligner que le traité d’Abuja du 3 juin 1991 fut un tournant majeur dans l’histoire de l’intégration africaine, dans la mesure où il a jeté les bases de l’établissement d’une Communauté économique africaine (CEA) prévue à l’horizon 2027. La mise en place des Communautés économiques régionales (CER) est considérée comme une première étape de cheminement vers la Communauté économique africaine. L’objectif étant la rationalisation du cadre institutionnel en vue de l’intégration africaine, à travers des projets communs compatibles avec les programmes de développement intégré au niveau national et régional, et l’harmonisation des politiques et des pratiques sur le plan économique et en matière d’investissement (CNUCED, 2009).
De même, la fragmentation des initiatives régionales (les multiples appartenances aux CER régionales africaines à l’instar de l’UMA, la CEN-SAD et la COMESA) est un obstacle qui se dresse sur le chemin de l’intégration régionale des pays africains. Effectivement, l’intégration africaine est caractérisée par la multitude d’initiatives régionales, marquées par la participation des pays africains à divers accords commerciaux régionaux. Force est de constater que sur les 54 États que compte le continent africain, 27 sont membres de deux groupements régionaux, 18 sont membres de trois groupements régionaux. Cet imbroglio institutionnel est de nature à nuire à l’intégration africaine en ce qu’il introduit une espèce de concurrence entre États et entités.

En Afrique du Nord, nous constatons que certains pays de cette sous-région, qui font partie de l’UMA, appartiennent à d’autres CER. En effet, des pays tels que la Mauritanie, le Maroc et la Libye sont engagés dans d’autres initiatives d’intégration régionale. Il s’agit, en l’occurrence de la CEN-SAD, l’UEMOA.
Il en est de même pour les pays d’Afrique centrale qui compte, à son tour, deux CER, à savoir CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale), CEMAC (Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale). La première comprend tous les pays d’Afrique centrale. Quant à la CEMAC, elle regroupe six pays de cette sous-région. En effet, à l’exception de Sao Tomé et Principe, qui n’est membre que dans la CEEAC, tous les pays de cette région appartiennent à au moins deux CER. La RDC détient le record en faisant partie de trois CER qui ne sont pas forcément géographiquement limitées. Elle est membre à la fois de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), le COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe) et la CEEAC. Le COMESA, la SADC et la SACU (Union douanière d’Afrique australe) sont les trois principales communautés de l’Afrique australe. Six pays (Malawi, Maurice, RDC, Seychelles, Zambie et Zimbabwe) sont membres des deux premières CER en dépit de la similitude de leurs programmes. Force est de reconnaître que cette situation est délicate dans la mesure où cinq de ces pays sont signataires de l’accord de libre-échange du COMESA qui fonctionne selon les règles d’origine des différents arrangements commerciaux préférentiels accordés aux membres de la SADC. Quant à l’Afrique de l’Est, elle compte le plus grand nombre de CER et tous les pays sont membres d’au moins deux d’entre elles.

Cet éparpillement des Communautés économiques régionales africaines ainsi que des regroupements régionaux est largement perceptible dans le poids de l’Afrique dans la gouvernance mondiale. En effet, malgré le fait que cette dernière est de plus en plus affectée par les défaillances de la gouvernance mondiale, sa faible représentation au niveau des instances internationales, essentiellement le FMI et la Banque mondiale, ainsi que son faible poids dans les négociations commerciales au sein de l’OMC ne lui permettent pas de jouer le rôle qui lui incombe dans la refonte de la gouvernance mondiale.

À cela s’ajoute l’engagement simultané des pays africains dans plusieurs processus : multilatéral (OMC), régional, bilatéral et national. En effet, la représentation de l’Afrique au FMI et à la Banque mondiale est loin de refléter son potentiel économique et démographique. Effectivement, si les conseils de direction de la Banque mondiale et du FMI comprennent 24 directeurs exécutifs, avec un directeur exécutif pour chaque groupe de pays, l’Afrique subsaharienne n’est représentée que par deux groupements qui possèdent moins de 5% du nombre de votes.

Le paradoxe de l’intégration africaine : plus d’intégration, mais moins du commerce intra-africain

Eu égard à l’impact des Communautés économiques régionales sur les échanges intra-africains, les résultats sont loin d’être homogènes. En effet, pour la CAE, les efforts en matière d’intégration entre les pays de cette CER sont largement perceptibles, dans la mesure où la part des échanges intra-communautaires dans le total des exportations de cette CER est passée de 17% en 1995 à 19% en 2011. On s’attend à ce que cette part augmente considérablement du fait de la mise en place de l’Union douanière et les négociations engagées entre les pays de la sous-région pour la mise en place d’une organisation fédérale. De même, on constate une tendance à la diversification des partenaires commerciaux de la CAE. Ainsi, si la part de l’UE dans les exportations des pays de la sous-région a connu une nette diminution en passant de 48% à 29% entre 1995 et 2011, il n’en a pas été de même pour l’Asie, dont la part est passée de 6 à 16%. Tout se passe comme si les partenaires traditionnels cédaient la place à de nouveaux partenaires. Tout compte fait, les efforts consentis par les pays de la CAE en matière d’intégration se sont traduits par une amélioration considérable du volume des échanges commerciaux intra-communautaires. Ce qui n’est pas le cas de la SADC et de l’UMA. En effet, la part des exportations intra-communautaires dans le total des exportations de la SADC est passée de 38% en 1995 à 10% en 2011. Cette baisse a été concomitante à la diminution de la part de l’Afrique dans les exportations de la SADC (cette part est passée de 40% en 1995 à 13% en 2011).

Ce qui contraste avec les efforts considérables entrepris en matière d’intégration régionale signalés plus haut. Autrement dit, la baisse considérable des exportations entre les pays de la SADC devrait s’expliquer par des raisons qui ne sont pas forcément liées au défaut d’intégration. Cet effritement des exportations intra-communautaires dans le total des exportations de la SADC s’explique essentiellement par la tendance à la diversification des partenaires dans la sous-région. En effet, en plus des partenaires classiques (Union européenne et États-Unis), dont la part dans les exportations des pays de la sous-région est restée stable (c’est le cas des États-Unis) voire a diminué (c’est le cas de l’UE), nous constatons la montée fulgurante de nouveaux partenaires (les puissances asiatiques). Effectivement, la part des pays asiatiques dans les exportations de la SADC est passée de 10% en 1995 à 35% en 2011. De ce point de vue, l’émergence de nouvelles puissances issues de l’Asie et leur irruption en Afrique australe explique, en grande partie, la diminution des exportations intra-communautaires.

L’UMA peut être considérée comme la CER la moins intégrée. En effet, la part des exportations intra-communautaires dans le total des exportations de cette sous-région ne dépassait pas les 4% en 1995, pour passer à 6% en 2011. De même, la part de l’Afrique dans les exportations de cette CER est négligeable (à peine 6%). Ceci s’explique essentiellement par les obstacles à l’intégration dans la sous-région. Les divergences politiques entre les États et le poids des nationalismes étriqués constituent de véritables obstacles à l’intégration des pays de l’UMA. Pire encore, devant l’échec de l’intégration, les pays de la sous-région se sont engagés dans une course effrénée à la signature des accords commerciaux avec d’autres partenaires. Ce qui explique la forte concentration des exportations de l’UMA sur l’UE (qui absorbait en 2011 presque 59% des exportations des pays de l’UMA).

De même, les parts des États-Unis et de l’Asie dans le total des exportations de la sous-région sont passées respectivement de 6 et 4% en 1995 à 10 et 13% en 2011. Au final, le processus d’intégration régionale en Afrique, quoiqu’en nette évolution, semble souffrir d’un ensemble d’anomalies qui empêchent les pays du continent d’en tirer profit par le biais de la diversification de leur structure productive, l’amélioration de la compétitivité des entreprises en leur facilitant l’accès à un marché plus vaste ainsi que l’exploitation des complémentarités. En effet, l’engagement des pays africains dans plusieurs Communautés économiques régionales ainsi que dans des accords régionaux et internationaux semble produire l’effet inverse, à savoir un détournement du commerce au profit de nouvelles et anciennes puissances. De même, la multiplication des groupements régionaux en Afrique fait que cette dernière continue à se présenter dans les instances internationales comme un ensemble de blocs plutôt qu’un seul acteur. Ce qui amoindrit son poids dans la gouvernance mondiale et affaiblit sa capacité de négociation. D’où l’importance de rationaliser les CER africaines en incitant à leur fusion ou bien à la création des zones de libre-échange entre elles. L’accord de libre-échange, en cours entre le COMESA, la SADC et la CAE est un exemple qui est appelé à être dupliqué pour que l’Afrique puisse se réinsérer autrement dans l’économie mondiale. 

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