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Choix économiques du Maroc : l’heure du bilan

À l’heure du bilan de la politique économique adoptée depuis 15 ans et de ses effets économiques et sociaux, il est important que le diagnostic soit neutre et sincère, voire blessant, car nous devons nous regarder droit dans les yeux. À la traditionnelle satisfaction de l’action publique bien familière des hommes politiques, à l’approche des échéances électorales, les responsables à tous les niveaux doivent répondre, sans ambages, à des questions simples qui taraudent l’esprit des Marocains : qu’est-ce qui n’a pas marché dans notre modèle de développement qui ne profite pas à tous ? Pourquoi une bonne partie des Marocains ne se sent-elle pas concernée par tous les grands projets menés ? Que faire pour que la croissance soit plus inclusive ? Il y va de l’atout fort dont dispose le Maroc, à savoir sa stabilité, et qu’il y a lieu de maintenir coûte que coûte dans un environnement régional et international tumultueux.

Choix économiques du Maroc : l’heure du bilan

Le Maroc est un pays qui étonne à bien des égards. Nous lançons de grands projets et concevons d’ambitieux plans de développement par secteur, censés transformer le pays et son économie, et pourtant nos taux de croissance restent dans la moyenne historique et continuent de dépendre de la générosité du ciel. Nous voulons être la locomotive de l'Afrique et sa porte d'entrée pour les investisseurs étrangers, alors que nous créons moins de richesses que la moyenne du continent. Le problème central de tout modèle de croissance est d’en partager les fruits. Le nôtre est que cette croissance est molle et versatile et que nous avons commencé à répartir prématurément le peu de richesses que nous avons créées. Notre pays a d’abord un problème de création de richesse, puis de sa répartition et enfin de sa mesure ; problème exacerbé par les politiques économiques adoptées durant la dernière décennie.

Un contexte singulièrement favorable et une opportunité historique ratée

Au début des années 2000, le Maroc avait bénéficié d’une conjoncture extrêmement favorable, liée à la concomitance de plusieurs événements propices. Les caisses de l’État étaient pleines, en raison de l’attribution de la deuxième licence GSM et du programme de privatisations des plus grosses participations de l’État (Maroc Telecom, Régie des tabacs et Banque Populaire). D’autre part, les comptes extérieurs ont été considérablement dopés par l’augmentation significative des transferts des MRE, la poussée des recettes du tourisme et les prix fort intéressants des phosphates à l’export, tandis que les sorties de devises avaient été limitées par les niveaux de cours particulièrement bas du pétrole (17,92 $ en 1999 contre 104,62 $ en août 2014). Enfin, l'économie mondiale avait enregistré en 2000 l'une de ses meilleures performances depuis le premier choc pétrolier de 1973. Le taux de croissance du PIB mondial de 5% correspondait à un rythme observé seulement quatre fois au cours du dernier quart du vingtième siècle. En somme, un contexte idéal pour adopter une politique de rupture et de décollage industriel, mais les choix économiques et leur mise en œuvre ont hélas failli.

Les grands projets d’infrastructure : du pain béni, mais pas pour le Maroc

Le discours est devenu classique. À chaque fois qu’on parle de croissance, les «experts» de la politique économique nous renvoient à l’importance des projets d’infrastructure réalisés. Si la dépense publique, associée à ces projets, est l’une des trois sources de croissance dans une économie ouverte (les deux autres étant la demande privée et la demande extérieure) et que ces infrastructures ont changé la face du Maroc, il n’en demeure pas qu’il y a une question qui se pose. Comment expliquer qu’avec tous ces investissements, la croissance est restée si timorée, qu’elle nous rappelle celle des années de l’ajustement structurel ? Et pour cause, les grands projets d’infrastructure ont servi juste à financer la relance économique des pays fournisseurs, et les plans sectoriels à rémunérer les cabinets de conseil qui les ont conçus. La relance par la dépense publique et les gros travaux d’infrastructure, prônée depuis 2000, n’est favorable qu’à deux conditions. Il faut que ces grands projets soient menés par des entreprises locales (marocaines ou étrangères basées au Maroc), exerçant des effets d’entrainement sur les secteurs en amont et aval, créant ainsi des emplois locaux, générant de la demande, elle-même satisfaite, en grande partie, par une offre locale. La seconde condition est que la dépense publique cible des projets, tels que l’éducation, la télécommunication, l’énergie et le transport, de nature à réduire le coût des facteurs de production et donc à améliorer la compétitivité des entreprises, les amenant à réinvestir et à créer des emplois et de la richesse. La première condition est utile ponctuellement et à court terme pour donner un stimulus à l’économie, en temps de récession ; la seconde doit correspondre à une vision intégrée à plus long terme visant à soutenir la compétitivité de nos entreprises. Or, le fait que ces projets soient, en grande partie, sous-traités à l’étranger (y compris l’idée même du projet !) et en l’absence d’une doctrine économique forte, les pays fournisseurs ont eu la relance et nous avons eu le déficit budgétaire et la pénurie en devises. Nous avons investi, ils ont profité.

Au Maroc, nous avons l’art de ne traiter que les sujets que nous voulons, puis ceux que nous pouvons et enfin ceux que nous devons. Essayons de faire l’inverse, et c’est là que commence l’efficacité et aussi la difficulté de gestion des affaires publiques. Or, tant que nous n’avons pas fait l’essentiel et que nous continuons à escamoter les vraies priorités parce qu’elles sont laborieuses à concevoir et politiquement risquées à mettre en œuvre, nous nous enfermerons à l’intérieur d’un cercle vicieux. Et ces priorités ont deux noms : productivité du capital humain, en insistant sur l’éducation et en réformant l’enseignement ; et compétitivité de nos entreprises, en enlevant tous les freins à l’investissement productif. Sur ces deux sujets, nous avons un sérieux retard à rattraper.

Le Béton, encore le béton et enfin le béton : l’histoire de la fabuleuse bulle immobilière

L’un des chantiers prioritaires du Maroc, dès le début des années 2000, fut la réduction du retard important accumulé dans la construction de nouveaux logements et la résorption de l’habitat insalubre. Plusieurs mesures ont été prises dans ce sens : mobilisation du foncier public, avantages fiscaux aux promoteurs et facilitation de l’accès au financement d'une population jusque-là inéligible. Les résultats ont été globalement positifs et plusieurs Marocains ont aujourd’hui, grâce à cette politique, un toit au-dessus de leur tête. Si socialement, ce fut une nécessité, économiquement ce fut un désastre. En effet, elle a alimenté une fabuleuse spéculation foncière, détourné les circuits de capitaux du financement de l’économie réelle (industrie, agriculture et services), permis parfois la constitution de fortunes indécentes (souvent dans des opérations d’intermédiation) et causé la désertion de l’industrie et des secteurs productifs devenus moins rentables et donc moins attractifs.
Si aujourd’hui le Maroc perd, selon la note du Haut Commissariat au plan, environ 24.000 emplois industriels par an depuis 2009, c’est, certes, en raison du retard en compétitivité que nous avons accumulé, mais surtout à cause de la fuite de capitaux de l’industrie et de l’agriculture vers la spéculation immobilière, à la recherche de meilleurs rendements. L’exemple de la cession du terrain abritant l’usine d’une grande enseigne à Salé à des promoteurs est à ce titre assez anecdotique.

Ce fut le cas de beaucoup d'unités industrielles qui, par chance ou malchance, se sont retrouvées face à l’extension monstrueuse des villes. Le problème de l’immobilier, notamment à usage résidentiel, c’est qu’une fois le projet achevé, il génère très peu d’activité et ne crée presque plus d’emplois. Aujourd’hui, certes, beaucoup de Marocains ont un toit (même plusieurs), mais d’autres n’ont même pas de travail.
En résumé, nous avons fait le choix de distribuer une rente à quelques-uns, avant de produire assez de richesses au bénéfice de tous. 

Par Nabil Adel

M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant 
et professeur d’économie, 
de stratégie et de finance.
[email protected]
www.nabiladel74.wordpress.com

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