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Des préoccupations sécuritaires pour les pays d'accueil

Derek El Zein,
Avocat à la Cour Maître de conférences à Paris Descartes.

L’espace méditerranéen a été, depuis qu’il existe, tant un lieu d’échanges que de conflits. La déstabilisation de la rive africaine de «mare nostrum» suscite l’inquiétude de nombreux pays de la rive européenne.

Des préoccupations sécuritaires pour  les pays d'accueil
Qu’ils viennent de la Corne de l’Afrique ou d’ailleurs, ces candidats à l’asile politique sont souvent présentés comme le danger ultime assiégeant la forteresse Europe.

En effet, l’instabilité politique découlant du Printemps arabe et de ses conséquences, qui se rajoute aux conflits contemporains, mais également la crise économique dans laquelle sont plongés de nombreux pays du sud de l’Europe, accentuent la distance qui semble se créer entre les peuples riverains de ce même espace maritime.
Le sujet qui semble le plus préoccuper la classe politique européenne est celui des migrants. Qu’ils viennent de la Corne de l’Afrique ou d’ailleurs, ces candidats à l’asile politique sont souvent présentés comme le danger ultime assiégeant la forteresse Europe. Souvent utilisés par certains pays européens de transit comme levier politique auprès de leurs partenaires, ces demandeurs d’asile sont également l’un des sujets de préoccupation de tous les partis dits populistes. Les préoccupations sécuritaires qui découlent du danger de l’utilisation potentielle de ces migrants comme vecteurs du terrorisme ne font qu’amplifier ces crispations.

Cependant pour remettre les choses dans leur contexte et sans minimiser les problèmes que peuvent poser des vagues migratoires en termes d’accueil décent et d’infrastructures, il est bon de rappeler quelques chiffres. Les pays européens ont eu à faire face en 2014 à une recrudescence des demandes d’aide de la part de personnes ayant subi ou craignant de subir des persécutions. Les demandes d’asile sont également dans ce contexte en constante augmentation en 2015. Pour la France, 65.000 demandes d’asile ont été déposées pour l’année 2014 quand pour l’Allemagne elles ont été de l’ordre de 200.000 demandes, sur un total d’un peu plus de 600.000 pour l’Union européenne. Les demandes d’asile accordées pour les 28 pays européens n’ont été que d’un peu plus de 160.000 pour la même année 2014.

Les conflits du Proche et du Moyen-Orient et les nombreux régimes autoritaires qui alimentent des exodes de population auxquels sont confrontés les Européens ne doivent néanmoins pas faire oublier, malgré le caractère croissant de cet afflux, son importance relative eu égard aux capacités d’absorption d’un espace de 28 pays européens comptant plus de 500 millions d’habitants. Précisons par ailleurs qu’en termes de destinations, ces migrants fuient les zones de persécution ou de conflits pour se réfugier dans les pays frontaliers et que, par conséquent, les principaux pays d’accueil sont des pays en voie de développement.

Ainsi, dans le cas de la crise syrienne, un pays comme le Liban, accueille sur son sol plus d’un million et demi de réfugiés syriens, pour une population totale estimée à environ 4 millions d’habitants : l’Europe des 28 devrait pouvoir accueillir environ 125 millions de réfugiés pour respecter des proportions similaires. Rappelons que l’Union européenne peine à répartir quelque 30.000 Syriens entre ses pays membres. La comparaison reste malgré tout difficile, tant les conditions sont différentes entre un pays frontalier comme le Liban, aux liens si anciens et complexes avec la Syrie, et l’Union européenne. Il n’en demeure pas moins que la situation institutionnelle, confessionnelle, économique et géopolitique du Liban rend la gestion de cette crise des réfugiés pour le moins délicate.

Comment, en effet, demander à un pays d’environ 10.000 km², dont la densité moyenne de la population est d’environ 440 habitants par kilomètre carré et dont seuls les plaines côtières et les plateaux de moyenne montagne sont habitables, d’accueillir un nombre de réfugiés plus important que tous les autres pays de la région ? Comment également assurer la stabilité intérieure et la sécurité aux frontières du Liban, en ne comptant que sur ses propres ressources ? Ce ne sont pas les fonds débloqués par les États donateurs pour doter enfin les forces armées du Liban d’un équipement à la hauteur de leur engagement humain, qui seront suffisants pour faire face à la menace qui plane tant à ses frontières qu’à l’intérieur.

Rien n’est non plus prévu depuis deux années pour nourrir le quart de la population libanaise en plus afin de faire face à la catastrophe humanitaire qui a été évitée de justesse jusqu’à présent. Les aides internationales promises et arrivées en quantités limitées ne sont pas même une goutte d’eau dans un océan de besoins. Le Liban est livré à lui-même ainsi qu’à la générosité et à l’engagement de sa population à tous les niveaux de la société. Qu’il soit permis ici de rendre hommage à tout un peuple qui assume tant bien que mal une situation qu’aucun autre pays au monde ne connaît aujourd’hui dans de pareilles proportions.

Le Liban est par ailleurs un pays dont la taille est inversement proportionnelle au degré de complexité qu’il implique tant sur le plan de la diversité de sa population (18 communautés religieuses le composent) que sur celui de ses liens avec les pays proches ou lointains qui l’entourent. Le problème majeur que posent les réfugiés aux pays d’accueil réside dans le fait qu’ils ne rentreront probablement pas rapidement dans leur pays d’origine. Ceci est devenu une constante au Proche-Orient comme ailleurs. Le risque de déstabilisation des pays concernés est par conséquent posé si des solutions permettant une «vie normale» aux réfugiés ne sont pas trouvées. La situation des camps palestiniens par exemple, qui ne sont que des zones de non-droit, atteste depuis plusieurs décennies cette difficulté. Une des solutions passe par la mise en place d’infrastructures en tout genre, mais surtout par la scolarisation des enfants ainsi que par la construction d’établissements de soins et par le maintien d’une sécurité intérieure.

Sans aide financière massive de la part de la communauté internationale, ni le Liban, ni d’autres pays voisins ne réussiront à surmonter ces défis. Le danger imminent étant l’influence encore plus grande qu’est susceptible de gagner l’État islamique. Son terreau est la fragilité des pays dans lesquels il s’étend avec pour conséquence un risque toujours plus grand d’une dissémination de foyers d’instabilité, toujours plus
nombreux. 

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