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Deux visions de la coopération Sud-Sud

Deux visions  de la coopération  Sud-Sud
Ph. AFP

La semaine dernière s’est ouvert le Forum Chine-Afrique. Les représentants des pays africains et des principales organisations panafricaines se sont rendus à l’événement. De son côté, Xi Jinping a fait le déplacement accompagné d’une délégation bien étoffée de ministres, de banquiers et de chefs d’entreprise. L’occasion d’échanger sur la manière de faire face à la morosité ambiante en Afrique suite au ralentissement de l’économie mondiale – et chinoise – et suite à la baisse des prix des matières premières. Une situation qui ne manquerait pas d’augmenter la vulnérabilité et l’endettement de nombreux pays africains. Comme ce fut le cas lors des trois précédentes éditions, le Président chinois a consenti une forte augmentation des financements chinois et quelques annulations de dettes. Mais est-ce suffisant pour aider l’Afrique à émerger ?
Certes, l’Afrique est le continent considéré par tous comme la nouvelle frontière de la croissance, mais c’est aussi une terre de disparités, de risques et d’énormes enjeux géopolitiques. Parler du contexte géopolitique africain, c’est aborder plusieurs questions géopolitiques  : la géopolitique du terrorisme, la géopolitique de la criminalité transfrontalière du fait de la porosité de certaines frontières (trafic de drogue, retour du grand banditisme, trafic d’armes), la géopolitique des matières premières. Cette dernière connaitra une plus grande ampleur avec l’initiative de la Banque mondiale appelée «la carte à un milliard» qui vise à scanner l’Afrique afin de revaloriser les ressources du sol et du sous-sol africain. La perception du risque est bien réelle dans certaines régions en Afrique, ce qui ne manque pas de déclencher un cercle vicieux : instabilité, désinvestissement, chômage, pauvreté, exaltation djihadiste et toxicomanie, instabilité. Une des solutions pour échapper à ce cercle vicieux est d’arrêter la gestion événementielle des crises et la remplacer par une gestion structurelle, et ce par l’établissement d’une cartographie des risques susceptibles de se transformer en crise ; pour par la suite, mettre en place des plans prédéfinis de gestion de l’urgence. Des plans qui précisent, à l’échelle africaine, les intervenants, le partage des responsabilités et les autres acteurs à mobiliser pour une meilleure efficacité.

L’Afrique se trouve aussi face à un triple enjeu géopolitique : bénéficier des négociations de l’Organisation mondiale du commerce, mettre fin aux conflits pour la terre et pallier le risque d’accaparements des terres. Ces dernières années, les conflits interafricains trouvent leur explication dans les différends sur les terres agricoles. L’ampleur de cette situation s’intensifie avec la course effrénée des pays occidentaux, des nouveaux émergents et de certains pays du Golfe pour acquérir les terres arables africaines. Les premiers pour produire des biocarburants et les seconds pour leur propre sécurité alimentaire. Ces acquisitions menacent la sécurité alimentaire sur le continent, attisent les tensions sur la terre, alimentent la corruption et génèrent des dégâts écologiques.

De surcroît et malgré une décennie de forte croissance, les économies africaines continuent d’occuper une place marginale dans la production manufacturière mondiale, une réalité due aux erreurs des politiques industrielles africaines et à la rigidité des programmes d’ajustement structurel.
Des mines au pétrole ou à l’énergie, en passant par les télécoms, la construction et toutes les infrastructures de transport, plus de 2.500 entreprises chinoises sont implantées sur le continent. Il convient de souligner que la Chine et d’autres pays d’Asie s’orientent vers la production industrielle à forte valeur ajoutée, et l’Afrique pourrait éventuellement mettre en place une stratégie pour tirer profit de la relocalisation de certaines activités de fabrication de l’Asie vers des pays où les coûts de production sont moins élevés et qui ont un accès à de vastes marchés. À titre d’exemple, on peut citer l’investissement chinois dans l’industrie électronique en Égypte pour la production de téléviseurs et l’investissement d’une société de Hong-Kong dans la production de plastiques, de carreaux de céramique et de cuir au Nigeria. Cependant, la coopération sino-africaine est problématique du fait de la concurrence des produits chinois, des relations sociales tendues, de la création de peu d’emplois relativement aux investissements… Le Maroc quant à lui se démarque par une coopération avec l’Afrique sur la base d’un triple objectif : codéveloppement, co-émergence et co-création.

Le Maroc et la Chine ne partagent pas la même perception de l’espace.

Au moment où pour beaucoup de pays, dont la Chine, l’Afrique est un continent dont la valeur est liée à la richesse de son sol et de son sous-sol, la perception de la valeur du territoire africain par le Maroc est fondée sur la proximité et la dimension identitaire. Sur le plan sécuritaire, le Maroc est un acteur stratégique qu’il convient de solliciter plus pour la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, aussi bien à travers ses services de renseignement performants qu’à travers son armée bien classée au niveau régional. Une armée expérimentée et dotée de technicité pour servir la paix et la stabilité en Afrique. En 2015, Global Fire, qui analyse les armées sur la base de 50 critères, a classé le Maroc au 49e rang mondial, septième puissance d’Afrique, cinquième puissance du monde arabe.
En juillet 2014, la revue britannique «Monthly report» annonce que le Maroc dispose de la meilleure puissance aérienne en Afrique du Nord. Une autre problématique persiste en Afrique : dynamiser le commerce intra-régional. Pour y faire face, la littoralisation et la métropolisation s’imposent, à l’image du modèle de l’Asie orientale. En s’organisant en Hubs and Spokes, autrement dit, en accueillant des ports aux standards internationaux et en disposant de villes parfaitement intégrées aux échanges interplanétaires formant un axe de croissance.

Ce type d’organisation du territoire doit constituer le socle de la stratégie africaine pour accroitre le commerce intra zone et l’attractivité territoriale. Cette dernière peut être améliorée par l’organisation économique des territoires africains qui permet la spécialisation des différents pays selon leurs atouts. Le couple investissement-territoire peut constituer un réel catalyseur de la croissance, à condition de s’inscrire dans une logique bottom-up qui reste le meilleur moyen pour impliquer la population africaine via le diagnostic et le marketing territorial.

Le Maroc a bien fait ses preuves dans l’ensemble de ces domaines et pourra faire profiter le continent de son savoir-faire dans le management territorial, dans l’implication des citoyens dans leur destin à travers la société civile. Depuis plus de dix ans, le Maroc, sous le leadership de S.M. le Roi, a initié en Afrique une coopération Sud-Sud innovante, agissante et performante sur la base d’une vision intégrée fondée sur deux principales règles : la règle de la pertinence et la règle de la profondeur de champ qui font que, contrairement à beaucoup de pays qui pratiquent la tectonique stratégique en Afrique, le Maroc a une vision claire, honnête et précise et des projets correctement construits qui répondent aux attentes des peuples africains. 

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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