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Accueil next Salon international de l'agriculture de Meknès

Et ce qui devait arriver arriva !

L’annonce par la Samir de la suspension de l’approvisionnement du marché marocain en hydrocarbures est tombée comme un coup de tonnerre, en pleine canicule estivale. Mais dans le fond, elle ne devait surprendre personne, tant le raffineur national se débat depuis des années dans une crise financière notable que tout le monde voyait, sauf les principaux concernés, l’État, les banques et le CVDM (censé hélas défendre les petits actionnaires). Avec un environnement international chamboulé, un endettement abyssal, des bénéfices d’exploitation incapables d’assurer le remboursement normal du service de cette dette et un actionnaire de référence trainant les pieds pour respecter ses engagements, la crise des hydrocarbures au Maroc devenait une simple question de temps.

Et ce qui devait arriver arriva !
La création de cette société en 1959 devait répondre à l’impératif de mettre à la disposition du pays des produits pétroliers à des prix inférieurs aux prix internationaux.

La privatisation de la Samir en 1997 au même titre que la Société chérifienne des pétroles avec laquelle elle a fusionné, s’inscrivait dans le sillage de l’ouverture du Maroc sur l’économie mondiale et du désengagement de l’État des secteurs stratégiques, consécutivement à une décennie d’ajustement structurel. L’État, étant mauvais gestionnaire dans les gènes, devait céder sa place au secteur privé réputé plus performant et se focaliser sur ses fonctions régaliennes (Défense, Sécurité, Justice et Monnaie). En d’autres termes, la fameuse «bouillie» néolibérale pour justifier le bradage des bijoux de famille et le contrôle des économies des pays en développement, en mettant la main sur leurs secteurs stratégiques (finances, télécoms, hydrocarbures, BTP…) et la propagande qui l'a accompagnée avaient fonctionné à plein régime. La Samir n’allait pas échapper à la règle ou plutôt à cette mode en vogue dans les années 90. Or si on met de côté le principe même de transfert au privé qui peut toujours avoir des défenseurs farouches, c’est le processus de privatisation lui-même qui fut entaché de plusieurs défaillances.

À ce titre, on lira avec beaucoup d’intérêt l’analyse effectuée par Abraham Serfaty, expert pétrolier et membre de l’équipe qui a négocié les premières conventions du raffineur national. La création de cette société en 1959 devait répondre à l’impératif de mettre à la disposition du pays des produits pétroliers à des prix inférieurs aux prix internationaux. Ainsi, après une période d'amortissement décennale des investissements, le prix de vente des produits pétroliers raffinés devait être au maximum égal au prix international.

Il n’en fut rien. Par ailleurs, il est à faire remarquer que sur le plan technique, les raffineries font un mélange de bruts pour les besoins du marché qu'elles desservent. Le panachage effectué par la Samir est dans l’intérêt de son actionnaire (prépondérance du brut saoudien au-delà des normes techniques en la matière), mais pas à l’avantage du consommateur (qui paie des prix plus élevés à la pompe). Ainsi, l’actionnaire actuel réalise des bénéfices tant dans le raffinage (activité de base de la Samir) que dans l’approvisionnement, en privilégiant un certain type de brut qui excède les quantités normales pratiquées par les autres raffineurs. D’autre part, et c’est là où les choses se corsent, le cahier des charges sur la base duquel était lancé l’appel d’offres pour la privatisation était différent du contrat signé doté de la force contractuelle. Ce dernier se révèlera en dessous des normes techniques de l'appel d'offres et serait plus favorable à Corral que ce qui était prévu initialement.

Et maintenant ?

Si les pouvoirs publics et les opérateurs du secteur ont veillé à ce qu’il n’y ait pas d’interruption en plein afflux des MRE et des touristes, c’est à mettre à leur actif. Un pareil scénario aurait été tout simplement catastrophique. Toutefois, le signal d’alarme doit être pris au sérieux et les responsables doivent prendre le dossier en main, car il ne s’agit pas de n’importe quelle entreprise privée pour laisser les seules actionnaires en décider du sort. Or, à en croire le dernier communiqué de presse de la Samir, on s’acheminerait vers un scénario pareil où le problème se résumerait à une simple augmentation de capital. Cette opération de renforcement des fonds propres, dont on ne connaît pas les détails en attendant que les autorités boursières se réveillent de leur longue hibernation, est un mauvais signal envoyé au marché.

Elle suppose que l’actionnaire de référence n’a pas suffisamment confiance en les perspectives de sa propre entreprise et cherche à en financer le sauvetage par l’argent des autres. Ça serait un coup de maître de Corral qui ferait d’une pierre deux coups. Il diluerait sa participation dans une affaire qui commence à sentir le soufre et ferait porter le coût du redressement au marché boursier marocain, car à son niveau d’endettement actuel, aucune banque sérieuse ne mettrait un dirham additionnel dans le projet. Si les autorités boursières octroient un visa d’acceptation de cette opération, elles porteraient le coup de grâce à une place déjà à l’agonie. Le problème est plus profond et l’État doit le gérer, en tenant compte de sa sensibilité. Dans de tels cas, il est préalablement important que le ministère de tutelle sache, au-delà des effets d’annonce, quelles sont les intentions réelles de l’actionnaire majoritaire.

Qu’il s’agisse d’une continuité d’exploitation avec des engagements précis ou d’un retrait négocié, les équipes de négociateurs doivent formaliser ces accords, les planifier dans le temps et confier leur suivi à une instance indépendante du management. L’ouverture d’une enquête indépendante devient indispensable pour jeter la lumière sur les causes de cette défaillance et prévenir que d’autres entreprises aussi stratégiques privatisées ne connaissent le même sort.
À l’heure où le gouvernement envisage sérieusement de se retirer de l’enseignement et de la santé, cette affaire devrait l’amener à nuancer la légendaire infaillibilité du secteur privé. 

Par Nabil Adel
M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’économie, de stratégie et de finance.
nabiladel74@gmail. com www.nabiladel74. wordpress.coms.

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