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La croissance de la population africaine : frein ou levier de développement ?

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.Hicham Hafid,Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

La croissance de la population africaine : frein ou levier de développement ?

Selon le rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef, 2014), d’ici 2050, 25 personnes sur 100 seront des Africains. «Presque la moitié de la population enfantine mondiale sera africaine d’ici la fin du XXIe siècle». En dépit de la pertinence de ces chiffres et de leur capacité prédictive, dont la compréhension par les dirigeants africains s’avère nécessaire, ne serait-ce que pour adapter les politiques publiques à ces nouvelles réalités (statistiques certes) qui exigent une analyse profonde en vue d’être à même de répondre à certaines questions relevant de l’incertitude : sur quoi peut-on se baser, au-delà des statistiques, pour dire que la population africaine continuera à évoluer au même rythme qu’actuellement ? Les projections actuelles tiennent-elles compte dans les modèles abstraits qu’elles utilisent des changements de comportement de consommation, d’éducation, de fécondité, etc., qui affectent la population africaine ? Tiennent-elles compte de l’impact des conflits de quelque nature qu’ils soient sur la croissance économique et démographique de l’Afrique ? Tiennent-elles compte de l’émancipation économique, politique et sociale de la femme africaine et son arrivée sur le marché formel du travail ?

Ce qui classe le continent au premier rang à l’échelle mondiale. Toutefois, cette dynamique démographique contraste largement avec le taux de chômage qui reste des plus élevés. Toujours est-il que le continent africain qui a connu pendant la dernière décennie un taux de croissance régulier et constant, dont la moyenne était de 5 à 6%, n’a pas su tirer profit de cette jeunesse qui aurait pu être un levier de développement. D’où les titres ô combien révélateurs de certains médias africains à l’instar du journal Sud-africain «Mail-Guardian», «Africa raising or uprising».

Force est opportunément de souligner que la croissance en Afrique, en dépit des politiques de diversification mises en place au courant des dernières années, continue à reposer fondamentalement sur l’exploitation des ressources naturelles. D’où une série de défis à relever dans un avenir très proche pour éviter que l’opportunité démographique se transforme en bombe à retardement, à savoir : la diversification de la structure productive, l’investissement massif dans le capital humain ainsi que la mise en place d’une croissance inclusive. Autrement dit, l’Afrique est appelée à emboiter le pas à la Chine en tirant massivement profit du nouveau système productif industriel mondial. Selon les projections des instances internationales (ONU, 2015), entre 2015 et 2100, la population africaine sera multipliée par quatre, passant de 1,031 milliard en 2015 à environ 4,184 en 2100, soit 57% de la population mondiale.

De même, selon le rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef, 2014), la population africaine passerait de 1,2 milliard actuellement à 2,4 milliards en 2050, soit une évolution de presque 100%. Ce qui veut dire qu’en l’espace de 35 ans, la population africaine va doubler. Encore une fois, faut-il préciser que ce ne sont que des prévisions à base d'hypothèses qui peuvent être soient confirmées soit bien infirmées. Il faut aller au-delà des statistiques pour savoir si la fécondité en Afrique continuera sur sa tendance haussière, ou bien les changements intervenus ces dernières années à l’instar de l’amélioration des infrastructures éducatives et sanitaires, l’émancipation de la femme africaine, l’arrivée de la femme sur le marché du travail qu’il soit formel ou informel, etc., conduiront à un changement des attitudes. Les nouvelles perceptions de l’avenir par les Africains sont, d’ores et déjà, marquées par l’importance accordée à la qualité du logement, de l’éducation ainsi que l’avenir des enfants. D’autres analystes, nous rétorqueront que le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour en Afrique ne cesse d’augmenter. Néanmoins, il est important de souligner la tendance de fond relative aux changements socio-économiques affectant les sociétés africaines et que nous ne trouvons nullement incorporés dans les prévisions, trop technicistes et loin des réalités du terrain, par ailleurs.

Dans un contexte mondial marqué par le vieillissement, faut-il s’inquiéter de l’exception africaine en la matière : une population de plus en plus nombreuse et jeune ?
Beaucoup d’analystes tirent la sonnette d’alarme, à tort ou à raison, sur les retombées de l’évolution démographique fulgurante que connaît l’Afrique depuis les indépendances. La population africaine est passée en l'espace d'un siècle de 100 millions en 1900 à 700 millions en 2000, de 700 millions à 1 milliard en 2015. En 2050, l’Afrique aura une fois et demie la population de la Chine, mais les jeunes en âge de travailler y seront trois fois plus nombreux. Où seront les emplois ? (Serge Michailof, 2015). Pour Bernard Lugan (2015), si rien n’est fait pour maîtriser la natalité, l’Afrique est condamnée à vivre une série de catastrophes humanitaires, sécuritaires et migratoires. Donc, l’Afrique, d’après ces analyses, se trouve devant un choix stratégique à faire : mettre en place des politiques familiales de maîtrise des natalités à l’instar de ce qu’a fait la Chine. En effet, pour Bernard Lugan (2015), l’explosion démographique annule tous les efforts consentis en matière de développement, qui sont remarquables par ailleurs. Il est indéniable que les pays africains (qui sont loin d’être homogènes, tant les réalités diffèrent d’un pays à l’autre), doivent faire des efforts au niveau de l’éducation aussi bien d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Mais contrairement à l’analyse conventionnelle, soulignée plus haut, qui consiste à voire en l’évolution démographique des pays africains une bombe à retardement, il s’agit, tout en versant dans un «afro-optimisme» scientifiquement fondé, de nuancer ces corrélations «démographie-famine», «démographie-sous développement», et reprendre les travaux théoriques les plus récents en matière d’économie de développement, principalement ceux d’Amartya Sen, où le développement est conçu comme une extension de libertés, c'est-à-dire le champ des possibilités pour un individu de mener la vie qu’il souhaite et de convertir les opportunités en fonctionnement réel.

Effectivement, la nouvelle économie de développement accorde une place de choix à l’Homme qui fut le parent pauvre des anciennes politiques de développement imposées aux pays africains par les experts des institutions internationales. De même, les théories de gestion accordent, désormais, une place centrale à l’Homme dans la gouvernance des entreprises. Il devient une ressource au service de l’entreprise, dotée de la faculté d’évoluer et de s’adapter aux nouvelles situations. C’est ainsi que nous parlons de la gestion des ressources humaines.
Ce n’est pas fortuit que de nombreux travaux fassent la part belle au rôle du capital humain dans le développement. En d’autres termes, le problème n’est pas d’avoir plus d’individus, mais plutôt des individus qui soit mal ou pas du tout bien éduqués et formés. En définitive, l’Afrique peut faire de son évolution démographique un levier, voire même une ressource au service de développement. Pour ce faire, certaines conditions doivent être remplies :

• L’investissement massif dans l’éducation aussi bien d’un point de vue qualitatif que quantitatif.
• L’amélioration de la productivité agricole par la formation, la mécanisation et l’innovation.
• La valorisation de l’agriculture de subsistance.
• L’adaptation d’un regard imaginatif envers le secteur informel (une institutionnalisation intelligente).
• La mise en valeur de l’économie sociale et solidaire.
• La mise en place des politiques publiques de transformation locale des ressources.
• La montée de gamme dans les exportations par l’industrialisation par insertion dans la chaîne de production mondiale par l’amont et l’aval.
• La création d'espaces dédiés à la culture et à l’épanouissement personnel (musées, salles de sport, ateliers créatifs).

• L’investissement massif dans la gouvernance, le civisme, l’État de droit et la culture démocratique, et pas seulement dans l’organisation des élections.
• La mise en place de politiques équilibrées et durables d’aménagement territorial.
• Le renforcement des capacités institutionnelles et infrastructurelles de la gouvernance urbaine.
• Le renforcement de la coopération avec les pays à population nombreuse (Chine, Inde, Indonésie, etc.). Pourquoi les autres continents ont-ils réussi à faire face à une population nombreuse ? Les pays de l’Asie du Sud-est ont simultanément investi dans l’éducation et la planification familiale.
• La lutte contre le chômage à travers l’éducation, la formation de qualité et la mise en place de mesures incitatives pour l’entrepreneuriat.
• La convergence des politiques publiques pour plus d’efficience et d’efficacité.

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