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Le développement en Afrique : une affaire de gouvernance

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.Hicham Hafid,Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.Otando Gwenaelle,Enseignante chercheur à l'Université d'Artois (France)

Le développement en Afrique :  une affaire de gouvernance
La Fondation Mo Ibrahim fait partie de ces organisations qui investissent massivement dans l’évaluation du processus de la gouvernance en Afrique.

De nos jours, le concept de gouvernance est de plus en plus mobilisé pour décrypter et analyser les réalités ayant trait au fonctionnement des organisations, à l’instar de l’entreprise et de l’État, ainsi que la manière dont les institutions influencent le processus de développement. D’où l’éclosion d’une myriade d’outils statistiques, d’indicateurs et d’indices qui tentent, tant bien que mal, d’évaluer le niveau de gouvernance d’un pays donné. Par niveau de gouvernance, il faut entendre : la qualité des institutions, des infrastructures et du capital humain (pour aller au-delà du simple développement humain), la sécurité qui renvoie à la capacité d’un pays donné à préserver le droit à la vie (protection des citoyens contre toute menace externe) et le droit à la subsistance (la protection sociale, la santé et le renforcement des capacités des individus pour être en mesure de mener la vie qu’ils souhaitent et de convertir les opportunités en fonctionnement réel, pour paraphraser l’auteur Indien Amartya Sen).

C’est à l’aune de ces dimensions que la qualité de la gouvernance est appréciée. L’Afrique fait partie des continents où la qualité de la gouvernance est minutieusement scrutée en raison du déficit institutionnel, de l’instabilité politique, des transitions parsemées d’obstacles, des faibles niveaux de développement humain et de la croissance économique monosectorielle, qui caractérisent le paysage socio-politico-économique de certains pays africains. Si les mécanismes internationaux d’évaluation de la gouvernance en Afrique furent considérés comme relevant d’une vision normative où l’Afrique devrait par mimétisme institutionnel cheminer vers la «bonne gouvernance», résultante des évolutions économiques, sociales et institutionnelles, qui se sont produites en Occident, nous assistons, actuellement, à l’émergence d'organisations africaines publiant des rapports annuels sur l’état de la gouvernance dans le continent. La Fondation Mo Ibrahim fait partie de ces organisations qui investissent massivement dans l’évaluation du processus de la gouvernance en Afrique. Reste à savoir si la méthode de calcul et de classement des pays africains selon l’indice de gouvernance émanant de cette fondation est exempte de critiques, ou bien s'il y a matière à soumettre au débat et la méthode et les enquêtes à la base de calcul de l’indice. Il est à noter que l’indice de gouvernance calculé par la Fondation Mo Ibrahim est composé de quatre catégories : sécurité et État de droit, participation et droits de l’Homme, développement économique durable et développement humain.

• Sécurité et État de droit : Cette sous-catégorie prend en compte cinq éléments, il s’agit de l’État de droit, la redevabilité, la sécurité individuelle et la sécurité nationale.
• Participation et droits de l’Homme : Cette sous-catégorie évalue les pays à l’aune des critères de participation, des droits et de la parité.
• Développement économique durable : Gestion publique, environnement des entreprises, infrastructures et secteur agricole.
La Fondation publie annuellement un rapport sur l’état de la gouvernance en Afrique (progrès et régressions). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le rapport 2015, fraîchement publié, fait état d’un constat pour le moins étonnant au regard des efforts consentis par les pays africains ces dernières années, aussi bien en matière de gouvernance économique, sociale que politique.

En effet, selon le dernier indice de gouvernance en Afrique publié par la Fondation, les pays du continent réalisent de moins en moins de progrès en matière de gouvernance. Pis encore, certains parmi eux semblent avoir significativement rétrogradé. Faut-il expliquer cette situation par la déstabilisation que connaissent actuellement certains pays africains ici et là (Libye, Centrafrique, Burkina Faso…), des pays où l’État semble complètement aux abonnés absents ? Dans ce cas, la dégradation en matière de gouvernance soulignée par la Fondation peut-être mise sur le compte des reculs majeurs au niveau de la sécurité et l’État de droit. Toujours est-il que cette déstabilisation que d’aucuns qualifient de provisoire, n’annonce-t-elle pas une gouvernance améliorée en raison du processus de dépersonnalisation des règles du jeu qui s’amorce ? En d’autres termes, l’affaiblissement de la gouvernance dans nombre de pays africains peut s’expliquer par la fin d’un ancien mode de gouvernance basé sur l’incarnation du pouvoir dans les personnes plutôt que dans les institutions. C’est cette période trouble de passage d’un mode de gouvernance qui est susceptible d’éclairer les retards accusés. Toujours est-il que ce raisonnement reste valable pour certains pays d’Afrique de l’Ouest (Centrafrique, Burkina Faso…) et d’Afrique du Nord (la Libye).

Mais qu’en est-il des pays d’Afrique australe qui semblent occuper les premiers rangs dans le classement relatif à la gouvernance, en dépit de certaines anomalies majeures qui caractérisent à la fois leur gouvernance politique (perpétuation de la culture du parti unique dans un contexte de pluralisme), économique (forte dépendance de la croissance vis-à-vis de l’exportation des produits miniers) et sociale (des taux importants de pauvreté monétaire et multidimensionnelle) ?
En ce qui concerne l’indice de gouvernance calculé par la Fondation Mo Ibrahim pour 2015, les pays qui figurent dans le top 5 des pays africains sont l’île Maurice, le Cap-Vert, le Botswana, l’Afrique du Sud et la Namibie.
En dépit de la pertinence de ce classement, beaucoup de questions peuvent être soulevées sur la méthodologie de calcul et la manière dont les chercheurs de la Fondation s’imprègnent de la réalité des pays dans lesquels ils effectuent leurs enquêtes. En d’autres termes, une rencontre scientifique entre scientifiques à l’échelle africaine autour de l’Indice de gouvernance Mo-Ibrahim serait une chose souhaitable.

«Les progrès accomplis par le Maroc ces dernières années, on les voit partout sauf dans les chiffres où ils ne sont pas visibles»
Par rapport aux indicateurs de l’indice «sécurité et État de droit», 5 pays se distinguent, à savoir l’île Maurice, le Botswana, le Cap-Vert et les Seychelles. Le Maroc vient à la 20e place avec un score de 57,8. Par contre, le classement du Maroc eu égard aux dimensions liées à l’État de droit, la reddition des comptes, la sécurité individuelle et la sécurité nationale, semble loin de refléter les réformes opérées par le pays ces dernières années.

Ceci est particulièrement vrai pour ce qui concerne la recevabilité, la sécurité individuelle et la sécurité nationale. En effet, le Maroc, comme en témoignent plusieurs rapports, fait partie des pays africains jouissant d’une sécurité individuelle et nationale importante. Décidément, les efforts consentis ces dernières années par le pays en matière de gouvernance politique ne se reflètent pas dans les analyses de la Fondation Mo Ibrahim. Tout se passe comme si les progrès réalisés, pendant la dernière décade, relevaient plus de l’ordre de l’immatériel et donc de «l’inquantifiable», ou bien, et comparativement à d’autres pays africains, la gouvernance politique du pays continue à souffrir de certaines défaillances auxquelles il devient urgent de remédier. En tout cas, seule une étude comparative de la structure institutionnelle du pays avec celle d’autres pays africains à l’instar du Botswana, de l’île Maurice, du Cap-Vert et de l’Afrique du Sud est susceptible d’éclairer ce mystère.

Par contre, les mutations structurelles du modèle de développement économique marocain et les avancées sous-jacentes sont largement perceptibles dans le rapport de la Fondation Mo Ibrahim qui fait état de l’éventuelle émergence du Maroc en tant que puissance continentale. Le Maroc fait, désormais, partie des pays africains les plus performants en matière de développement économique et durable.
A fortiori, le pays s’est engagé pendant la dernière décennie dans un vaste programme de réformes visant à transformer son modèle de développement économique et social. Ces réformes ont visé essentiellement le développement agricole et industriel, le développement humain et la cohésion sociale, la stabilisation macro-économique. Le pays a mis en place une politique de diversification basée sur les plans sectoriels.
Ces programmes sectoriels, qui comprennent essentiellement le Plan Émergence, le Plan Maroc Vert et le Plan Azur, et qui concernent respectivement les domaines industriel, environnemental et touristique, devraient permettre au pays, à la fois, de redresser la situation du commerce extérieur, d'atténuer le déficit commercial et de repenser son insertion dans une économie mondiale en pleine métamorphose.

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