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Le grand retour de la Russie sur la scène politique internationale

Le grand retour de la Russie sur la scène politique internationale
L’attitude impériale qui caractérisait tant la Russie Blanche que la Russie Rouge ne se dément pas dans la Russie contemporaine du Président Poutine.

Depuis la chute de l’Union soviétique, la Russie se trouve marginalisée sur la scène politique internationale. Ce gigantesque pays d’environ 17 millions de km² est, comparativement à sa superficie, sous-peuplé puisqu’il ne compte que 140 millions d’habitants. L’attitude impériale qui caractérisait tant la Russie Blanche que la Russie Rouge ne se dément pas dans la Russie contemporaine du Président Poutine. La souffrance qu’a représentée la période de transition et de reconstruction post-soviétique est sans doute l’un des facteurs pouvant expliquer que toute occasion permettant de jouer un rôle de premier plan est désormais à saisir pour la Russie. Il est vrai que le Proche et le Moyen-Orient offrent une occasion rêvée pour ce grand pays de faire la preuve de sa détermination à ne se laisser dicter par quiconque sa ligne de conduite.

On est décidément bien loin de «la fin de l’histoire», chère à Fukuyama. Bien au contraire, d’une configuration unilatérale de transition telle que nous l’avons connue dès la chute du Mur de Berlin, émerge un monde qui doit composer avec de plus en plus d’acteurs d’envergure régionale et sur lesquels il faut désormais compter. Loin d’un ralliement pacifique au vainqueur de la Guerre froide, une multiplication des affrontements caractérise notre temps. Dans ce contexte, l’Union européenne tout comme les États-Unis ne sont plus seuls à pouvoir imposer leurs ambitions régionales à l’est de la Méditerranée, mais doivent aujourd’hui admettre la présence d’un partenaire qui ne reculera devant aucun sacrifice pour s’imposer, au risque de faire basculer ce qui peut être qualifié de conflits mineurs s’ils sont pris isolément, en un conflit majeur et planétaire. Ainsi, la Russie joue en Syrie la dernière carte d’un ultime allié qui lui est resté fidèle depuis la période soviétique.
En effet, la région, qui ne manque pas de facteurs de confusion, est aujourd’hui plus que jamais une véritable poudrière où chaque acteur joue de son influence et se mesure en permanence à tous les autres. De véritables «accrochages» entre pays par ailleurs alliés, ont par exemple lieu dans le ciel syrien, rapprochant par ce fait le risque lié à un dérapage aux conséquences difficilement prévisibles. L’escalade est rendue encore plus aisée par ce retour notable et généralisé aux fondamentalismes religieux et politiques, de nature à aggraver plus qu’à apaiser les mésententes et les conflits.

L’arrivée de la Russie de manière officielle et offensive sur le terrain syrien ajoute à la confusion dans une région déjà largement déstabilisée. La Turquie d’Erdogan, dont on sait que face à des élections à venir et le risque de voir un parti pro-Kurde remporter un grand nombre de voix, est également prête à tous les excès. Certains évoquent même la possibilité que les récents attentats sanglants soient purement et simplement mis en scène par le pouvoir à des fins électorales. Plus grave encore, cette Turquie qui navigue dangereusement entre sa hantise de voir émerger du chaos un Kurdistan et ses alliances occidentales anti-EI (État islamique), voit régulièrement violée son espace aérien par des avions de chasse russes. L’acteur majeur de la région qu’est la Turquie est dans une position politique et institutionnelle très fragile qui ne la met pas à l’abri de coups d’éclat aux conséquences désastreuses pour l’ensemble de la région.

La Russie, quant à elle, poursuit des objectifs divers, mais voit surtout une opportunité, dans son soutien sans faille à la Syrie de Assad, de limiter l’attention et la pression des Occidentaux sur elle dans l’affaire ukrainienne. La passivité des États-Unis face à la crise ukrainienne est interprétée comme une faiblesse et donne la possibilité à la Russie de revenir et de s’imposer par le biais de la crise syrienne comme un interlocuteur majeur. Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergei Lavrov, s’était à ce propos clairement et de manière continue positionné en faveur d’une association du régime de Damas aux frappes aériennes des pays de la coalition contre l’État islamique (EI), sinon jugées illégales. Le fait que cette proposition n’ait pas été acceptée n’a fait qu’inciter la Russie à agir seule. La mollesse des Occidentaux face à cette initiative a laissé la Russie libre de bombarder les cibles de son choix, selon un mode opératoire qu’elle est la seule à déterminer. Il va de soi que les objectifs visés par la chasse et la marine russe sont prioritairement des opposants de tous bords au pouvoir syrien en place et à ses alliés iraniens et libanais.

Alors bien entendu les États-Unis voient dans cette situation instable et chaotique un moyen de contrôler la région dont il est dit que 90% des exportations de pétrole seront destinées aux pays asiatiques en 2035. Moins que de sécuriser leurs propres approvisionnements, ils tentent ainsi indirectement de contrôler ceux de leurs créanciers européens et asiatiques. Une approche similaire justifiant une intervention est celle de la Russie qui a un besoin vital de faire augmenter les prix du pétrole et du gaz. Contrôler les territoires riches en hydrocarbures de Syrie et poursuivre la coopération militaire avec l’Iran pour contrôler indirectement l’Iraq attestent cette volonté russe et place ce pays en opposition directe avec les États-Unis. En réalité, plus la présence et l’implication russes seront grandes au Proche et au Moyen-Orient, plus ce pays pèsera sur les marchés des hydrocarbures et moins les sanctions internationales auront prise sur lui. Conscients de ce risque, il n’est pas étonnant de voir fleurir les propositions turques et européennes prônant la création d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, même sans l’aval de l’ONU.

Face à un tel émiettement des forces en présence, un retour des fondamentalismes, une vraie faiblesse européenne, une politique pragmatique des États-Unis dans la région et une si grande détermination russe qui se positionne à nouveau comme un acteur international incontournable, il y a fort à parier que le moindre dérapage pourrait avoir des conséquences incalculables. 

Derek EL ZEIN, Maitre de conférences en Sciences politiques à l’Université Paris Descates, il compte à son actif de nombreuses publications sur l’Afrique (cosignature de la « Géopolitique du Burkina Faso » et
de la « Géopolitique de la Côte d’Ivoire »).

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