Menu
Search
Jeudi 25 Avril 2024
S'abonner
close
Jeudi 25 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Le Nigeria aux commandes

C’est le jeudi 28 mai dernier que la Banque africaine de développement (BAD) a élu le successeur du Rwandais Donald Kaberuka pour 5 ans. Akinwumi Adesina, son successeur, a déjoué tous les pronostics et a été élu à la tête de l’institution, alors que pour les experts ce Nigérian, qui n’avait jamais été ministre des Finances, ne pouvait pas y arriver. Faut-il y voir un retour en force du Nigéria dans la gestion de la Banque ?

Le Nigeria aux commandes

Le 28 mai dernier, Abidjan a été le théâtre de l’élection de Akinwumi Adesina. L’homme qui a remporté 58,1% des voix après six tours de scrutin, devant le tchadien Bedrouma Kordje (31,62%) et la Capverdienne Christina Duarte (10,27%), n’était pourtant pas le favori des pronostics.

L’histoire d’une élection

Bien qu'il ait été élu personnalité africaine de l’année par le magazine «Forbes» pour ses réformes dans le secteur agricole au Nigéria, Akinwumi Adesina n’a jamais été ministre des Finances et, surtout, il est ressortissant d’un grand pays du continent. Or une règle non écrite veut que le président de la BAD soit toujours un ressortissant d’un petit pays et au minimum un ministre des Finances de son pays ou ancien cadre de l’institution. Comment dans ce cas faut-il expliquer cette élection ?
Derrière l’élection, il y a d’abord l’homme : Akinwumi Adesina est un agroéconomiste reconnu qui parle aussi bien le français que l’anglais. Grâce à ses nombreux postes en Afrique et en Occident, il peut se targuer d’avoir un carnet d’adresses dense qui lui permet d’être, comme il le dit lui-même, «le maillon essentiel entre l’Afrique et l’Occident». Il y a ensuite une politique gagnante qui a déjà fait ses preuves au Nigéria – en quatre ans de réformes au Nigéria, le ministre de l’Agriculture et du développement rural a augmenté la production agricole du pays de 21 millions de tonnes, réduit d’un tiers les exportations de denrées alimentaires et créé 3 millions d’emplois – et qu’il compte appliquer à la BAD en mettant en avant le développement durable, la relance de l’agriculture rurale et l’emploi des jeunes. Enfin, il y a le soutien de la très puissante ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala qui a joué un rôle vital dans cette campagne en faisant jouer toute son influence pour l’élection de son compatriote. Bien sûr, et on s’en doute bien, les 9,25% de votes que détient le Nigéria au sein de la Banque ont certainement eu un certain poids dans la balance. Et dans ce cadre, quel rôle jouera ce dernier au sein de la BAD ?

Faut-il s’attendre à une domination nigériane à la BAD ?

Même si le nouveau patron de la BAD affirme qu’il est un Africain de cœur et qu’il travaillera pour l’ensemble du continent, il est difficile de ne pas penser au rôle que jouera le Nigeria dans la nouvelle politique de la BAD. L’institution, qui est devenue un organisme bancaire des plus solides avec sa note AAA et ses 91 milliards d’euros de bénéfices, est un organisme stratégique et un des maillons essentiels de la politique de développement du continent. Ses actions sont de ce fait décisives et son soutien aux États également. Plus largement, l’élection de Buhari à la tête du Nigéria a fait souffler un vent nouveau sur l’image du Nigéria. Le nouveau président séduit à la fois dans son pays et à l’extérieur où les chefs d’État francophones d’Afrique, à l’image du Président nigérien qui l’a reçu récemment, semblent lui témoigner du respect et une certaine considération. Et il n’est pas exclu que cette aura nouvelle ait joué un rôle dans l’élection et continue de peser sur la politique de la BAD. Il est difficile d’en juger pour le moment, mais ce qui est certain, c’est que les deux poids lourds de l’Afrique – à savoir le Nigéria et l’Afrique du Sud – sont désormais aux commandes des deux principales institutions du continent que sont l’Union Africaine (UA) et la BAD.

Avec cette élection, le Nigeria devient un rival encore plus redoutable. Cette nouvelle situation risque d’exacerber encore plus la rivalité entre les deux pays, en l’occurrence pour obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Cette nouvelle puissance peut inquiéter, d’autant plus qu’elle est couplée à une puissance économique non négligeable, le pays étant la première puissance économique du continent. Sa croissance devrait tourner autour des 5% cette année contre 1,6% pour l'Afrique du Sud. Cette nouvelle situation peut également susciter des alliances du côté des autres pays du continent où les oppositions au leadership sud-africain sont plus marquées. De nombreux scénarios sont envisageables et il serait souhaitable que le développement de l’Afrique en sorte gagnant. 

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Lisez nos e-Papers