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Les pays du continent entre urgence et développement

Les pays du continent entre urgence  et développement
Ph. Fotolia

Les pays africains semblent au carrefour de plusieurs mutations à la fois structurelles et conjoncturelles. Il s’agit, en l’occurrence, des changements profonds intervenus au niveau des régimes politiques où la tendance, malgré quelques anomalies, ici et là, est à la démocratisation et l’affirmation du rôle de la société civile en tant que nouvel acteur dans le champ politique africain. Il en est de même pour l’économie, au regard de la prise de conscience par les dirigeants africains de l’importance de la diversification de la structure productive et des limites des modèles de développement basés sur l’exportation des matières premières et les minerais qui n’ont que peu d'effet, voire aucun impact, sur le développement humain.
À ces changements internes s’ajoutent des mutations externes qui ont des répercussions sur les pays du continent : il s’agit de l’intérêt des nouvelles puissances pour l’Afrique. Un intérêt qui se matérialise par la signature de plusieurs contrats autour de l’exploitation des ressources naturelles, la construction des infrastructures et par une aide publique au développement assez généreuse. La promesse faite par le Président chinois lors du dernier sommet Chine-Afrique (FOCAC, décembre 2015), de débloquer 60 milliards de dollars en guise d’aide pour les pays du continent, et-ce en l’espace de 3 ans, est considérée comme un tournant majeur dans l’histoire de l’aide publique au développement. Autant dire que nous avons affaire à une diversification des sources de financement de développement dont les pays africains peuvent tirer profit.
En parallèle aux mutations qui augurent du déclenchement d’un cercle vertueux où progrès, prospérité et stabilité se renforcent mutuellement, d’autres tendances, et pas des moindres, ont cours en Afrique et dont la durabilité risque de rompre ce cercle vertueux.

En effet, les foyers de tension et les situations d’urgence deviennent de plus en plus fréquents. Il en est ainsi pour la crise politique du Burundi depuis que Nkurunziza a brigué un troisième mandat et la mobilisation populaire contre son maintien au pouvoir ainsi que les réflexes ethniques sous-jacents. La défaillance de l’État libyen à la suite de la chute de Kadhafi est une autre crise, qui ne cesse de se propager aux pays d’Afrique du Nord et sahélo-sahariens. Aussi, la crise liée au terrorisme au Nigeria qui commence à s’exporter aux pays du voisinage, principalement le Tchad et le Cameroun. La crise au Sud-Soudan, un État qui, à peine créé, semble entrer dans une guerre civile sans fin, et qui a fait, selon les chiffres de l’ONU, plus de 50.000 morts et 2,5 millions de déplacés. La crise environnementale de l’espace sahélo-saharien : en effet, les pays de la bande sahélo-saharienne vivent au rythme des changements majeurs. D’où une crise protéiforme frappant une région très étendue. Ce qui peut générer une dégradation des conditions de vie de la population de la région, dans la mesure où la privation revêt des caractères multiples et variés. En effet, la pauvreté dans cette zone peut être conçue à la fois comme une privation sécuritaire, écologique et alimentaire.

La crise de sécheresse qui se profile à l’horizon en Afrique Australe : en effet, les pays de cette région, essentiellement l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Namibie et le Zimbabwe, sont en train de traverser une période de crise liée à la sécheresse qui sévit actuellement et qui est considérée comme étant la plus aiguë de ces 30 dernières années. Ceci est d’autant plus problématique que l’Afrique du Sud est considérée comme le grenier des pays de la sous-région à l’instar du Swaziland, du Botswana et de la Namibie. L’Afrique de l’Est, et notamment la Corne d’Afrique, expérimente à la fois une crise alimentaire et sécuritaire (liée à la piraterie maritime).

Autant de crises qui ont, certes, des origines différentes, mais qui rappellent notoirement la fragilité des acquis démocratiques et économiques engrangés par les pays africains ces dernières années. Une panoplie de crises qui vient, parfois, occulter les dynamiques réelles à la fois d’ordre économique, politique et social que connaissent les pays du continent. Ceci est d’autant plus problématique que les phases de l’urgence, à chaque fois, qu’elles durent et perdurent, finissent par annihiler les efforts économiques et politiques entrepris de longue date. Effectivement, le paradoxe est que l’urgence, dans certains pays africains, devient durable. Ce qui retarde significativement le retour à la phase normale qui est celle du développement. Comment rendre l’urgence moins durable et passer, en peu de temps, de l’urgence au développement ? Telle est la question que se posent «développementistes» et urgentistes. Il est important de souligner, à cet égard, que le passage de l’urgence au développement nécessite la prise en compte de quatre dimensions qui paraissent structurelles, voire structurantes : la gouvernance de l’urgence, la qualité des institutions et des comportements, la nécessité de l’orientation de l’aide publique au développement et la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités sociales.

La gouvernance de l’urgence

La gouvernance de l’urgence renvoie aux acteurs susceptibles d’intervenir à chaque fois qu’un risque se concrétise et débouche sur une crise. Elle est synonyme aussi de coordination : qui coordonne les intervenants ? Ces derniers suivent-ils un plan de gestion préétabli à l’avance ? Quel est le rôle des acteurs étrangers dans la gestion ? Sont-ils des acteurs parmi d’autres dans la gouvernance de l’urgence ? Ou bien les acteurs principaux ? Qui est chargé d’identifier les besoins des populations en situation d’urgence ? En quoi l’aide humanitaire cadre-t-elle avec ces besoins ?
En d’autres termes, la gouvernance de l’urgence se doit de permettre une meilleure coordination entre les acteurs. Les institutions publiques sont censées centraliser le dispositif de gestion des situations d’urgence. Sinon, l’action en court-circuitant les institutions nationales et locales ne fait qu’aggraver le problème du déficit institutionnel et renforcer les facteurs à l’origine de la crise. Autrement dit, la gouvernance de l’urgence devrait être considérée comme une occasion de renforcer les institutions par le biais de l’appropriation, la responsabilisation et l’évaluation. Au terme de chaque situation d’urgence, un travail d’évaluation devrait être fait afin de permettre aux acteurs locaux de tirer profit du retour sur expérience. Une gouvernance d’urgence qui ne fait que renforcer la fragilité des institutions en les rendant vulnérables et dépendantes de l’extérieur jette les bases durables de l’urgence plutôt que d'éradiquer les facteurs à son origine. De ce point de vue, le passage de l’urgence au développement suppose que la phase de gestion des situations d’urgence, par le biais de la coordination des acteurs, le ciblage des populations et leurs besoins et le renforcement des capacités des institutions nationales, contribue à améliorer les règles du jeu (les institutions) plutôt que de les dégrader.

La qualité des institutions et des comportements

Le nouveau paradigme de développement (North, Rodrik, Acemoglu, etc.) accorde une place importante non seulement au contenu des politiques économiques, mais aussi à la manière dont elles sont mises en œuvre. Le débat sur la gouvernance s’oriente de plus en plus vers le rôle des institutions dans le développement.
Une question cruciale pour les pays africains où le processus de création de véritables institutions et de dépersonnalisation des règles du jeu est à peine entamé. En effet, beaucoup de crises politiques et économiques en Afrique sont dues à la personnalisation des institutions, voire l’incarnation du pouvoir dans les personnes. Un mécanisme dans lequel l’institution devient «une coquille vide».
En outre, le processus de dépersonnalisation des règles du jeu et d’incarnation du pouvoir dans les institutions devient un chantier de réforme titanesque en Afrique. Dit autrement, l’avenir démocratique du continent est largement tributaire de la mise en place des institutions effectives. Ce qui suppose un ensemble de réformes liées à la socialisation disciplinaire des individus moyennant l’éducation. En effet, la nature ayant horreur du vide, le processus de dépersonnalisation des règles du jeu a besoin d’être accompagné par le renforcement du rôle de l’individu dans la société.
Effectivement, une bonne institution, au regard des objectifs qui lui sont assignés, peut rapidement se transformer en mauvaise institution quand le changement institutionnel et celui des mentalités ne sont pas concomitants. Toujours est-il que les institutions et les individus s’influencent mutuellement. D’où l’importance d’investir massivement dans le renforcement des capacités des individus. En définitive, les mentalités doivent, désormais, être considérées comme un ingrédient majeur de développement institutionnel, économique et social. N’oublions pas que l’individu peut influencer l’institution et être influencé par cette dernière.

Orientation de l’aide publique au développement

Il est à souligner avec acuité que le contexte dans lequel se déploie l’aide publique au développement est marqué par des changements profonds et rapides.
En effet, la diversification des bailleurs de fonds et les besoins croissants des pays africains en termes d’infrastructures, de santé, d’éducation et de développement industriel, interrogent à maintes reprises son efficacité et ses enjeux économico-politiques.

La lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités sociales

Cet axe constitue une préoccupation majeure tant pour les différents bailleurs de fonds que pour la majorité des pays africains. Plusieurs pistes peuvent être avancées dans ce sens :
• Le renforcement de la cohésion territoriale
Force est de constater que les collectivités locales jouent un rôle prépondérant dans la lutte contre la pauvreté et la réduction des inégalités. Autrement dit, elles sont l’un des domaines fondamentaux où s’opère le processus de développement par le biais de la décentralisation, la valorisation des ressources locales et le renforcement de la gouvernance. En effet, la réunion de ces trois facteurs contribue non seulement à mobiliser les acteurs locaux pour accéder à un ensemble de services vitaux au profit de la population locale, à l’instar de l’éducation, des conditions de logement décent, de l’infrastructure et de l’assainissement, mais également pour trouver un moyen de les généraliser et de les rendre pérennes et durables.
• La mise en place d'activités génératrices de revenus
Quant à la mise en place des AGR, il convient de mettre l’accent sur une panoplie de mesures relatives à la mise en place des politiques de ciblage dont l’objectif principal est de répondre aux besoins de la population concernée d’une manière efficace et efficiente.
L’aide publique au développement, malgré son importance pour le développement des pays africains, devrait être réformée pour en améliorer la coordination et l’efficacité. En effet, elle a toujours été considérée comme un instrument de politique étrangère, utilisée par les États développés pour mieux promouvoir leurs intérêts économiques et politiques. 

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

Hicham Hafid,Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

Gwenaëlle Otando Echkoundi,enseignante chercheur ˆ l’Université d’Artois (France)

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