Menu
Search
Jeudi 25 Avril 2024
S'abonner
close
Jeudi 25 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Les propos de Nadine Morano reflètent-ils le malaise de la France ?

Une fois n’est pas coutume, nous abordons aujourd’hui un sujet assez spécial qui est la géopolitique interne. Elle est assez souvent négligée au profit de la géopolitique internationale, mais joue pourtant un rôle clé dans la mesure où elle aide à comprendre les enjeux nationaux et les représentations que les peuples se font d’eux-mêmes et par conséquent du rôle qu’ils ont à jouer dans le concert des nations.

Il était difficile pour nous, dans ce contexte, de ne pas nous intéresser à cette phrase de la députée européenne Nadine Morano au cours de l’émission télévisée «On n’est pas couchés» du 26 septembre : «Nous sommes un pays judéo-chrétien de race blanche». Bien qu’elle ait été critiquée à plusieurs reprises, elle rejoint la pensée d’un nombre croissant de Français. Est-ce le symbole d’un malaise en France ?

Le rejet de l’autre se décomplexe

Est-ce la crise financière qui frappe l’Europe depuis 2008 ou alors seraient-ce des motifs plus profonds qui l’expliquent ? Nul ne peut actuellement le dire, mais ce qui est certain, c’est que le rejet de l’autre ne s’est jamais autant manifesté en France que ces dernières années. Christiane Taubira comparée à un singe il y a encore quelques mois, les petits pains au chocolat de Jean-François Copé ou encore «la race blanche» de Nadine Morano, cela pourrait paraître comme de petits incidents isolés, attribués à une certaine droite et même à l’extrême droite. Toutefois, une fois qu’ils sont additionnés et analysés globalement, ils prennent une ampleur considérable, d’autant plus qu'il n'y a pas que la sphère politique à les employer. L’on se souvient notamment de David Pujadas qui avait lancé le journal de France 2 en janvier dernier en présentant un reportage sur «un musulman marié à une Française» comme si l’islam était désormais devenu une nationalité. L’intéressé avait bien entendu reconnu une «maladresse» pour calmer la colère suscitée sur les réseaux sociaux. Mais il avait en réalité dit tout haut ce qu’une frange non négligeable de la France pense tout bas. Car même si les politiques et les intellectuels de gauche essaient de la cacher, la réalité est bien là : une part non négligeable de la population française adhère aux idées du Front national et voit en lui un parti crédible et tout à fait efficace pour défendre leurs intérêts.

Ainsi, selon un récent sondage Odoxa, effectué pour le journal «Le Parisien» : 23% des Français estiment que le FN est proche des préoccupations des Français, 22% d’entre eux estiment qu’il propose des solutions efficaces et près de 25% d’entre eux pensent qu’il est capable d’exercer le pouvoir. Et c’est sans compter les régions et les mairies que le parti a déjà remportées au cours de l’année, les récents sondages qui donnaient des opinions favorables sur l’élection de Marine Le Pen à la tête du pays ou encore le dernier sondage IFOP qui montre que 61% des Français sont d’accord avec la proposition frontiste de supprimer l’aide médicale de l’État. Il y a donc là un véritable signal d’alarme et il serait vain d’essayer de cacher le soleil avec la main.

Comment expliquer ce phénomène ?

Tout d’abord, il est important de replacer la situation dans son contexte. Il est ici question d’une frange grandissante des Français, mais pas encore de la majorité de la population, heureusement.
Mais sa proportion et surtout son expression de plus en plus directe font qu’il est aujourd’hui difficile de
l’ignorer.

Plusieurs raisons sont à la base de ce phénomène et elles sont assez diverses. Elles sont économiques et essentiellement dues à la crise financière de 2008 et à ses conséquences.
Car il faut bien avouer que le fait de voir des usines et des entreprises supprimer des emplois et les transférer en Asie et dans les autres pays dont les coûts de main-d’œuvre sont moins élevés que ceux de la France contribuent à alimenter l’image de voleur d’emplois et de travailleur à bas coûts de l’étranger. Il faut ajouter à cela la déception d’une grande majorité de Français vis-à-vis de la politique mise en place par les différentes formations politiques de droite comme de gauche.

Un sentiment qui les pousse à chercher dans le Front national un début de solution à leurs problèmes. Et comme la majorité d’entre eux souhaitent la sécurité de l’emploi, l’expulsion des étrangers et la lutte contre l’immigration semble être la panacée. Dans ce cadre, on peut mieux comprendre également la poussée spectaculaire enregistrée par le Front national ces dernières années, car elle correspond en réalité au pic de l’immigration clandestine en Europe.

Un autre élément qui est venu aggraver la situation, de façon circonstancielle, est bien évidemment le terrorisme qui a frappé de plein fouet la France cette année, avec notamment les attentas de Charlie Hebdo et l’Hyper Casher en janvier dernier. Cet élément a bien entendu fait monter la peur au niveau des populations et a installé la suspicion envers la communauté musulmane. En conclusion, il apparaît clairement que la France connaît un malaise profond qu’il est difficile d’ignorer. Il est tout à la fois politique, économique et social et prend une dimension sociologique assez marquée. Car derrière la multiplication de ces actes et de ces propos pour exprimer le rejet de l’autre et sa différence, il y a la peur et la crainte de disparaître et d’être absorbé et la montée d’un nationalisme assumé dans toute la population. Il n’y a qu’à voir l’accent qui est mis sur le «made in France» dans les médias pour s’en rendre compte. 


Un nationalisme qui progresse 

La notion de nationalisme reste assez mal documentée et étudiée, mais elle est une réalité dans la vie sociale. Elle représente pour un peuple la volonté de promouvoir et de faire reconnaître son identité, ses valeurs et sa culture. Et d’une certaine façon, l’excès de nationalisme peut être analysé comme la crainte de disparaître. Elle existe chez tous les peuples, à des degrés divers, même si certains d’entre eux ont réussi à comprendre que la différence enrichit. L’exemple des États-Unis est sans doute le plus éloquent à ce sujet, même s’il reste encore à parfaire.
En France, où la colonisation a fait de la diversité culturelle un fait non négociable, le nationalisme a tendance à se développer ces derniers temps sous des formes diverses. Une forme économique avec la défense des industries et du «made in France» qui est bien sûr un appel aux citoyens à consommer exclusivement des produits fabriqués en France, en oubliant que les produits français se vendent aussi à l’étranger et sont donc consommés par des personnes d’autres pays. Une forme politique des idées désormais bien connues du Front national sur l’immigration et ses dégâts en France, mais aussi les idées bien arrêtées de certains responsables de droite. Et bien entendu, une forme extrême qui s’exprime allègrement dans les actes haineux et violents.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Lisez nos e-Papers