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Nouvelle puissance économique et locomotive des BRICS

Echkoundi Mhammed,
Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.
Hicham Hafid,
Professeur d’économie ˆ l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

L’ascension économique de la Chine est un des phénomènes majeurs de ce 21e siècle. En effet, sa contribution à la croissance mondiale devient de plus en plus importante et déterminante. Ainsi, le poids de la Chine dans l’économie mondiale est passé de 0,9% en 1980 à 10,5% en 2013. Elle s’est hissée au deuxième rang mondial en 2010 en dépassant le Japon.

Nouvelle puissance économique et locomotive des BRICS
le Made in China ne cesse de monter en puissance avec une évolution considérable des exportations qui sont passées de 3 à 10% entre 1999 et 2009.

Ce pays a enregistré la croissance la plus forte pendant une période de 30 ans sans interruption. Dans l’industrie manufacturière mondiale, la part de la Chine est passée de 5% en 1995 à 16% en 2011. Une contribution qui est appelée à augmenter dans les prochaines années dans la mesure où les analyses prospectivistes tablent sur une contribution chinoise au PIB mondial de l’ordre de 20% à l’horizon 2030, alors que les États-Unis tomberaient sous la barre de 15%. De même, entre 2000 et 2011, le revenu moyen a triplé en Chine. C’est un pays qui impressionne par sa capacité de rattrapage technologique. Aussi, le Made in China ne cesse de monter en puissance avec une évolution considérable des exportations qui sont passées de 3 à 10% entre 1999 et 2009.

La Chine : Un modèle de développement associant marché et socialisme

La particularité du modèle chinois est essentiellement liée à sa capacité à associer marché et socialisme. Aussi, le développement de la Chine s’explique principalement par l’existence d’un «État stratège», porteur d’une vision et producteur d’incitations pour les opérateurs économiques. Il est important de souligner à cet égard que la Chine s’est démarquée dans ses politiques économiques de développement des injonctions des institutions internationales. Le pays a largement tiré profit du dispositif institutionnel mis en place et de ses capacités de négociation, de transfert d’activités économiques du Nord vers le Sud par le biais des délocalisations. Ce n’est pas par hasard que nombre d’analystes qualifient la Chine de l’Usine du monde.
Cependant, la politique chinoise a ceci de particulier qu’elle a réussi à créer les conditions optimales pour l’appropriation de certaines technologies. D'un autre côté, au niveau de la taille géographique et démographique, la Chine est considérée comme un pays-continent en ce qu’elle représente une superficie de 9,64 millions de km² avec une population de 1 milliard et 386 millions.

D’autres pays émergents bouleversent la donne au niveau de la répartition de la croissance mondiale. Ce qui nous permet d’avancer l’idée du déplacement du centre de gravité de la croissance mondiale en leur faveur. En effet, nombre d’indicateurs à l’instar de l’émergence de nouvelles puissances économiques, le déclin économique des anciennes puissances confrontées à une crise protéiforme (financière, vieillissement de la population, raréfaction de l’épargne, problèmes de productivité et baisse du niveau de vie des populations, etc.), renseignent sur l’émergence d’un nouvel ordre économique mondial. Toutefois, la grande inconnue de ce siècle réside dans la capacité des pays émergents à convertir leur puissance économique en puissance politique. Dit autrement, les pays émergents seront-ils et voudront-ils jouer un rôle direct dans la redéfinition d’une nouvelle gouvernance mondiale caractéristique de ce nouveau monde multipolaire ? Tout dépendra de leur capacité à s’organiser politiquement et à proposer des alternatives pour une économie mondiale plus juste, mieux régulée financièrement et des institutions internationales plus inclusives et impartiales. Par ailleurs, nous observons ces dernières années la présence d’une panoplie d’acteurs issus des pays émergents dans le continent africain. Les investissements massifs des entreprises chinoises en Afrique ainsi que le volume des échanges commerciaux avec les pays du continent illustrent parfaitement ce phénomène de diversification des partenaires de développement dans le continent ainsi que la montée en puissance de nouvelles formes de partenariat qualifié de coopération Sud-Sud. D’où le regain d’intérêt que suscitent ces nouvelles puissances pour l’Afrique. Toutefois, aussi bien pour les anciennes que pour les nouvelles puissances, l’intérêt pour ce continent est motivé principalement par des considérations énergétiques et minières. De même, si les raisons d’être de la Chine en Afrique n’ont pas été explorées d’une manière exhaustive par les analyses existantes, les investissements chinois en Afrique semblent, en partie, guidés par une stratégie gouvernementale construite autour d’une politique commerciale et énergétique ainsi que par l’importance des voix des pays africains au niveau des instances internationales. Plus de 2.500 entreprises chinoises investissement en Afrique dans des domaines tels que la construction et l’exploitation des ressources naturelles.

L’Afrique : un enjeu stratégique pour la Chine

L’irruption de la Chine en Afrique s’est faite d’une manière exponentielle. En effet, d’un poids négligeable (1%) dans le commerce des pays du continent en 1990, la Chine reçoit actuellement 16% des exportations africaines et fournit 18% de ses importations. En l’espace de quelques années seulement, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique avec un volume de commerce bilatéral de 210 milliards de dollars en 2013. De même, les investissements directs étrangers chinois en Afrique ont atteint 25 milliards de dollars en 2013. Force est de constater que la présence chinoise est essentiellement concentrée dans les pays richement dotés en ressources manières, à l’instar des pays de l’Afrique Australe, l’Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale.
Les investissements chinois en Afrique sont en pleine expansion. Ils se concentrent sur les ressources naturelles (équipements de forage et de raffinage pour le pétrole, équipements d’extraction de minerai), sur les infrastructures (construction de routes, de ponts de barrages, d’ensembles immobiliers).

Alors que la Chine investit en Europe et aux États-Unis pour acquérir des technologies de pointe, ses investissements en Afrique sont au contraire une aide technologique à ce continent, généralement jugée rapide et efficace et apportée sans condition politique (contrairement à l’aide européenne qui est souvent assortie d’une exigence de transparence démocratique) ni économique (contrairement à l’aide apportée par des organisations internationales comme le FMI et la Banque mondiale, laquelle est soumise au contrôle de l’utilisation des fonds).
La fréquence des visites d’État effectuées par les responsables chinois en Afrique et principalement dans certains pays à l’instar de l’Éthiopie, l’Angola, le Nigeria et le Kenya témoigne éloquemment de la place stratégique qu’occupe l’Afrique dans la politique étrangère de la Chine. Ceci est d’autant plus intéressant que l’empire du Milieu prend de plus en plus conscience de la nécessité de rendre le partenariat avec les pays africains stratégique et pragmatique de peur d’être qualifié de nouvelle puissance coloniale. Ainsi, en plus des contrats portant sur l’exploitation des ressources énergétiques, la Chine tente de signer un ensemble de conventions avec les pays africains qui portent sur la formation professionnelle, la santé, le commerce et l’agriculture.

Une diplomatie économique chinoise en Afrique associant les entreprises publiques et privées
La présence de la Chine en Afrique s’appuie sur une stratégie dont les facteurs constitutifs sont :

1. La diversification géographique du commerce chinois pour des raisons extrêmement liées à la question de Taiwan, surtout à partir de 1972 – date d’obtention par la Chine d’un siège permanent au Conseil de sécurité. D’où le lien étroit existant entre le politique et l’économique pour le cas de la Chine.

2. Les produits échangés sont de faible contenu technologique, adaptés au marché africain.

3. Les investissements chinois en Afrique portent essentiellement sur les infrastructures et les ressources naturelles et ils sont l’œuvre de grandes entreprises publiques privilégiant l’investissement dans le long terme et bénéficiant des prêts subventionnés.

4. Le Forum Chine-Afrique mis en place depuis 2006 est un instrument privilégié de la coopération entre la Chine et l’Afrique. C’est lors de ce sommet que la Chine fait connaître ses grandes décisions par rapport à la coopération avec l’Afrique.

5. La Chine se rend de plus en plus compte de l’importance de l’Afrique dans la consolidation de l’image de puissance internationale qu’elle est en train de se forger. D’où l’importance qu’elle accorde à l’opinion des Africains concernant sa présence sur le continent.

6. La Chine accorde une haute importance à l’Aide publique au développement. La réserve en devise étrangère de la Chine est un moyen mis au service de la politique africaine de la Chine.
L’Afrique a besoin de la Chine et des autres pays émergents, comme elle a besoin des anciennes puissances. En effet, la Chine, de par son niveau de développement, la compétitivité de ses entreprises, son niveau technologique et son expertise dans différents domaines, peut jouer un rôle important dans le développement des pays du continent. C’est aux pays africains d’imposer leurs conditions dans leurs interactions avec l’empire du Milieu. En d’autres termes, si la Chine a une stratégie pour l’Afrique, cette dernière doit en avoir une pour négocier selon une logique de gagnant-gagnant. À ce titre, on peut souligner que la Chine joue un rôle crucial dans le développement des pays du continent, de par l’importance qu’elle accorde à l’investissement dans les infrastructures. Toutefois, les entreprises chinoises sont appelées à respecter les spécificités des pays africains dans lesquels elles s’installent, à tenir compte de l’environnement et des retombées des activités minières et énergétiques sur les communautés locales. De même, l’absence de conditionnalités dans les relations financières Chine-Afrique ne devrait pas donner lieu à une dégradation de la gouvernance qui fut à la base de la consécration de la culture de rente et l’aggravation de la pauvreté.
D’un point de vue économique, l’influence de la Chine est grandissante. Ceci est largement perceptible dans son poids dans les économies des pays asiatiques et des producteurs de matières premières. En effet, elle tire la croissance des pays asiatiques par sa demande en produits manufacturés et celle des pays latino-américains et africains par sa demande en produits primaires.

En plus de sa présence commerciale classique dans les pays asiatiques, la Chine a étendu cette présence à des pays où elle était quasiment absente, à l’instar de l’Amérique latine et l’Afrique. La Chine devient un acteur incontournable sur la scène africaine et elle a réussi en peu de temps à asseoir l’image d’une puissance économique beaucoup plus intéressée par la portée pragmatique que normative (conditionnalités et transfert de certaines valeurs vers les pays partenaires) de la coopération. Elle se sait puissance, mais ne se présente pas en tant que telle sur la scène politique mondiale. Si les puissances classiques ont converti leur puissance économique en puissance normative (la culture des droits de l’Homme), les nouvelles puissances, à l’instar de la Chine, ne se sont pas encore prononcées sur leur vision du monde. Si au nom de l’humanisme, l’Occident a su rendre la démocratie universelle, voire «un bien public mondial», la Chine donne l’impression qu’elle est devenue une puissance mondiale sans le vouloir. D’où certains questionnements sur la place de la démocratie dans ce nouvel ordre mondial, à moins que l’on soit en train de se diriger vers ce que Attali appelle une période «d’hyper conflit» où aucune puissance ne gouvernera le monde. En tout cas, le monde actuel traverse une grande phase d’incertitude et de turbulences.

Toutefois, le sommet actuel des BRICS à Ufa en Russie montre amplement la volonté des pays du groupe et particulièrement la Chine et la Russie de réformer l’ordre financier et politique mondial. Reste à savoir comment et par quels arrangements institutionnels ? En d’autres termes, les BRICS ont fait montre jusque-là de leur volonté d’influencer la gouvernance mondiale moyennant la création de nouvelles institutions faisant contrepoids à celles déjà existantes. Ce qui laisse entrevoir leur remise en cause de l’ordre économique mondial issu des accords de Bretton Woods et de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui permet de parler, d’ores et déjà, de l’émergence d’un monde dans lequel plusieurs puissances s’affirment et souhaitent influencer la marche du monde. Dans ce contexte, la question de la gouvernance mondiale se pose avec acuité. En effet, cette nouvelle situation mondiale qui ressemble, à bien des égards, à la guerre froide, nécessite la coordination des efforts entre les États afin de répondre aux nouveaux défis mondiaux. De ce point de vue, la meilleure option pour éviter la prolifération des institutions de portées internationales serait d’organiser des conférences visant la réforme radicale des institutions internationales avec, en filigrane, l’idée d’accorder aux puissances émergentes toute la place qu’elles méritent dans le nouvel ordre international, si ordre il y a. 

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