Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Vers un renforcement du partenariat entre un continent et un «pays continent»

Depuis les deux dernières décennies, nous assistons à l’émergence spectaculaire de nouveaux pôles de croissance économique, qui deviennent de plus en plus influents sur la scène régionale et mondiale. En effet, en raison de leur poids démographique, leur dynamisme économique ainsi que leur insertion grandissante dans le commerce mondial, l’Inde et la Chine sont en passe de redessiner la carte géopolitique tout en s’affirmant comme de vraies puissances économique, démographique, politique et militaire. Dans ce sillage, une pléiade d’acteurs asiatiques (Japon, Inde, Singapour, Malaisie, etc.) font irruption, voire se redéploient, sur le continent africain. Ce qui montre, à n'en plus douter, que la coopération Sud-Sud est loin de se résumer aux relations Chine-Afrique. D’où la multiplicité des stratégies de ces puissances asiatiques en Afrique.

Vers un renforcement du partenariat entre  un continent et un «pays continent»

C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre l’intérêt grandissant de l’Inde pour l’Afrique. Effectivement, l’Inde, de par son histoire et sa puissance démocratique, économique, technologique et démographique, est appelée à jouer un rôle capital dans la coopération Sud-Sud.
Elle fait partie des pays les plus industrialisés du monde disposant d’un puissant secteur industriel, d’une technologie et d’un capital humain des plus prisés au niveau mondial. Toutefois, le taux de pauvreté qui y sévit la fait apparaître à mi-chemin entre le Nord et le Sud.

Les relations Inde-Afrique : des liens ancestraux marqués par la proximité géographique et le rôle de la diaspora indienne
En effet, le pays entretient des relations historiques, sociales et culturelles ancestrales avec les pays du continent, notamment avec ceux de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique Australe, qui se sont converties majoritairement en relations économiques et politiques marquées par le renforcement des capacités entrepreneuriales et la poursuite des intérêts mutuels par le biais de l’organisation des sommets Afrique-Inde, dont le premier s’est tenu en 2008 à New Delhi et le second en 2011 à Addis-Abeba, en Éthiopie. Sur le plan officiel, le pays compte plus de 34 ambassades, hauts commissariats et consulats généraux sur le continent.
Une question importante peut-être soulevée ayant trait au type de relations que l’Inde entend instaurer et développer avec le continent africain. Force est de souligner que les frontières maritimes de l’Inde jouxtent la côte orientale du continent africain. L’océan Indien lie géographiquement et stratégiquement les intérêts de l’Inde et ceux d’une partie de l’Afrique. D’où l’importance de mettre en évidence la politique africaine de l’Inde sous ses trois aspects politique, économique et stratégique.
La politique africaine de l’Inde
Même si les relations entre l’Inde et l’Afrique sont anciennes, ce n’est qu’à partir des années 80 que l’Inde a commencé à se doter réellement d’une stratégie vis-à-vis de l’Afrique. Quelques points majeurs méritent d’être soulignés à cet égard :
• La tendance à la diversification géographique des partenaires commerciaux africains de l’Inde.
• Des échanges commerciaux diversifiés qui ne se concentrent par exclusivement sur les matières premières.
• Des IDE (investissements directs étrangers) indiens stratégiques portés par des entreprises privées familiales.
• Un rôle éminent de la diaspora indienne.
Concernant le premier volet, il est opportun de souligner que l’Inde ambitionne de renforcer ses échanges commerciaux avec un ensemble de pays africains. Ce qui contraste fondamentalement avec la situation qui prévalait avant où les échanges commerciaux de l’Inde se focalisaient sur certains pays tels que le Kenya, l’Éthiopie, la Tanzanie, l’île Maurice, l’Égypte et le Soudan. Cette tendance à la diversification des partenaires commerciaux est largement perceptible dans l’évolution caractérisant le fonctionnement du sommet Inde-Afrique. En effet, si pendant les deux précédents sommets, l’Inde fut sélective dans le choix des pays
à inviter, pratiquement l’ensemble des pays africains a été invité pour assister au sommet qui se déroulera fin octobre 2015 en Inde. En plus de l’attractivité économique de l’Afrique, la diversification des partenaires africains de l’Inde peut s’expliquer aussi par les nouveaux objectifs de la diplomatie indienne, au premier rang desquels figure l’admission du pays en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.

Concernant échanges économiques entre l’Inde et l’Afrique, ils ont connu une nette amélioration. En effet, en l’espace de vingt ans, ils sont passés de presque 1 milliard de dollars en 1991 à plus de 34 milliards en 2014, soit une évolution de presque 400%. Des flux qui, tout de même, restent en deçà des potentialités commerciales. À titre de comparaison, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique tourne autour de 180 milliards de dollars. Quant à la structure productive et la nature des produits échangés entre l’Inde et les pays du continent, les principaux produits exportés vers l’Afrique sont les véhicules automobiles (11,1%), les produits raffinés (22,9% du total des exportations indiennes), les céréales (8,3%), et les produits pharmaceutiques (8,1%). Quant aux produits importés en provenance de l’Afrique, ils se constituent principalement des produits pétroliers et des combustibles qui représentent plus de 71,8% des importations totales du pays, l’or constitue le deuxième poste d’importations indiennes avec un pourcentage de 11%.

Les IDE indiens en Afrique
L’Inde est l’un des rares pays à avoir une stratégie cohérente et ciblée pour certains États africains. «L’assistance financière est souvent couplée avec l’IDE, les accords commerciaux, l’accès aux marchés et l’obtention d’énergie.» (ONU, 2010, p. 58).
De même, l’aide de l’Inde à l’Afrique n’est pas liée à des conditionnalités politiques et de gouvernance, mais à d’autres vecteurs d’IDE et de commerce. Elle essaie d’intégrer ses activités dans les trois vecteurs de commerce, d’aide et d’IDE. C’est une source de demande pour les produits africains, notamment le pétrole et les minerais ainsi que quelques produits agricoles tels que les noix et les fruits. Selon l’ONU (2010), en plus de l’importance de l’Inde dans la fourniture des intrants et des produits technologiques bon marché, les entreprises indiennes ont la capacité d’aider l’Afrique dans le secteur des produits de base, dans l’agriculture et dans les secteurs des médicaments et des télécommunications. Le troisième point porte sur le développement des investissements indiens en Afrique sous forme de collaborations multisectorielles (joint-venture) indo-africaines dans les secteurs stratégiques à l’instar des télécommunications, de l’agriculture, de l’industrie pharmaceutique, des infrastructures, de la biotechnologie, de l’énergie, des projets miniers et des services tels que l’assistance technique, hôtellerie et la restauration.

Contrairement aux grandes entreprises, publiques ou semi-publiques, d’autres pays, qui s’implantent majoritairement dans les grands sites d’extraction des produits pétroliers et miniers, les entreprises indiennes, à l’image de Tata, Malinka, Bharti Airtel, deviennent une source de diversification et de transformation structurelle des ressources naturelles sur place. À titre d’exemple, le constructeur d’automobile Tata a contribué, ces dernières années, à la diversification de la chaîne productive à travers la mise en place d'usines d’assemblage dans certains pays d’accueil comme la Zambie et l’amélioration de la valeur ajoutée de certains produits destinés à l’exportation (transformation des grains de café en Ouganda).
En terme de stock, les IDE indiens en Afrique sont estimés, selon les instances internationales, entre 30 et 50 milliards de dollars américains répartis sur un grand nombre de pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, les pays d’Afrique de l’Est, l’Égypte et le Nigéria.

La diaspora indienne : un acteur majeur dans les relations Inde-Afrique
La présence de l’Inde en Afrique se distingue nettement de celle des autres puissances asiatiques en ce qu’elle s’appuie sur une diaspora nettement active en Afrique de l’Est et Australe. Le gouvernement indien a mobilisé cette relation historique pour entrer en contact avec l’Afrique.
En plus de l’accroissement des flux d’investissement indiens en Afrique, les milieux d’affaires dans ce continent bénéficient largement de la présence d’une communauté indienne importante, notamment dans les sphères du commerce et de la petite manufacture (plus de 80% du commerce du détail s’effectue au Kenya). Cette diaspora indienne, généralement des professionnels ou des propriétaires de petits commerces, constitue une force motrice de la diplomatie indienne consistant à faciliter les engagements économiques et valoriser les liens historiques. Elle se montre, par conséquent, intéressée à construire de nouveaux liens commerciaux avec les autres régions africaines. Elle est estimée à 8% de la diaspora mondiale et est fortement concentrée en Afrique du Sud, l'île Maurice, Madagascar, Kenya, Tanzanie, etc. En définitive, l’intérêt grandissant de l’Inde pour l’Afrique peut être perçu comme une opportunité que les pays africains sont appelés à saisir. En effet, le contact entre l’Afrique et l’Inde peut être prometteur et synonyme d’une meilleure insertion des pays du continent dans l’économie mondiale. Quatre éléments majeurs caractérisant la politique africaine de l’Inde peuvent être mis à profit pour le développement de l’Afrique :
• Le lien étroit entre commerce et investissement : une occasion pour les pays africains de s’insérer dans la chaîne de valeur mondiale par le biais de l’importation des intrants et la réception des investissements nécessaires pour une montée de gamme dans certaines industries.
• L’aide financière déliée est orientée vers le soutien technique et la mise en place de projets structurels et structurants.
• Le poids important des entreprises familiales dans les IDE indiens en Afrique, ce qui offre l’opportunité aux hommes d’affaires africains de s’inspirer de l’expérience indienne en matière d’entrepreneuriat.
• L’innovation frugale : l’Inde fait partie des rares pays où la satisfaction des besoins des pauvres a généré ce que nombre de spécialistes qualifient «d’innovation frugale». Le renforcement de la recherche entre les laboratoires africains et indiens pourrait dans ce sens s’avérer bénéfique pour l’ensemble des pays africains. 

---------------------------

Echkoundi Mhammed,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.

Hicham Hafid,Professeur d’économie à l’Université Mohammed V Institut des études africaines.


Lisez nos e-Papers