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Émergence, les faits qui fâchent !

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Émergence, les faits qui fâchent !
Là où notre modèle de développement montre réellement ses limites, c’est au niveau humain.

En plein débat sur le développement économique, aucun économiste sérieux ne peut s’aventurer à classer le Maroc parmi les économies émergentes, même si le pays y aspire légitimement. En effet, nos fondamentaux économiques et institutionnels sont loin de réunir les conditions de ce stade de développement. Or les chiffres sont bornés et la réalité est têtue. Ce n’est pas parce que nous discourons sur l’émergence que nous y sommes déjà. C’est du moins l’impression que nous donnons au vu de la teneur des débats sur la question. N’en déplaise à beaucoup, nous ne sommes pas encore un pays émergent, pas plus que nous l’étions quand le Maroc était pourtant décrit comme le futur dragon africain. C’était en 1994 déjà !

En 2001, le Professeur Fouad Zaïm, alors conseiller économique de M. Youssoufi, a écrit, en réponse au rapport du sénateur français Michel Charasse qui qualifiait le Maroc de pays moins avancé : «Alors le Maroc, pays moins avancé (PMA), en 1994 (même année où le pays était candidat à être un futur dragon !), peut-être, mais sans doute pas en 2001». Quinze ans plus tard, le Maroc n’est certainement pas un PMA, mais il n’est pas non plus un pays émergent. Depuis la fin du fameux Programme d’ajustement structurel (PAS), notre développement a été retardé par des réformes inachevées, des problèmes structurels de gouvernance et par l’incapacité du secteur privé à être la locomotive d’une économie qui ne manque pourtant pas d’atouts. Pis encore, au regard des critères objectifs d’émergence, nous en sommes encore loin. Prétendre le contraire n’est que de la consommation médiatique inutile qui ne résiste pas un instant à l’examen des faits. Ainsi, dans sa classification des pays en fonction de leur stade de développement, la Banque mondiale considère quatre catégories de pays :

• Pays à revenu élevé : 12.616 dollars ou plus.
• Pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure : de 4.086 à 12.615 dollars.
• Pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure : de 1.036 à 4.085 dollars.
• Pays à faible revenu : 1.035 dollars ou moins.
Le Maroc, avec un revenu par habitant de 3.080 dollars en 2014, est considéré comme un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (alors que l’Algérie et la Tunisie sont dans la tranche supérieure). Les économies de cette catégorie sont communément désignées sous le terme d'économies en voie de développement. Certaines économistes adoptent une autre classification :
• Pays développés : États-Unis, pays de l’Europe de l’Ouest, Japon et les quatre dragons asiatiques (Corée, Taïwan, Singapour et Hong Kong).
• Pays nouvellement industrialisés : tigres asiatiques (Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines et Vietnam) et jaguars (Mexique, Chili, Colombie et Argentine).
• Pays en transition : il s’agit des anciens pays européens du bloc de l’Est, qui disposaient déjà d’une bonne base industrielle et auxquels ne manquait que la transition vers l’économie de
marché.
• Pays émergents : Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), auxquels on pourrait ajouter la Turquie.
• Pays en voie de développement et pays les moins avancés.
Selon cette classification également, le Maroc est un pays en voie de développement et ne fait donc pas partie des «émergents». Plusieurs autres analyses le rangent également dans cette catégorie.
Même si certains observateurs saluent les réformes que nous avons réalisées, celles-ci tardent, toutefois, à produire la rupture escomptée. Selon les réalisations économiques factuelles, nous sommes encore loin du décollage. Ainsi, selon la Banque mondiale :
• Notre revenu national brut (RNB) par habitant de 3.080 dollars est inférieur à la moyenne du monde arabe (7.540 dollars) et de la zone MENA (4.598 dollars), même en excluant les pays arabes à revenus élevés (8.717 dollars).
• La croissance de ce revenu entre 1999 et 2014 pour le Maroc (+5,4%) a été moindre que la moyenne de la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (+9,2%), celle du monde arabe (+8,2%) ou encore celle de la zone MENA (7,9%).

Quant à la production de richesses, alors que nous étions la 55e économie mondiale en 2000, nous sommes désormais 62e en 2014, selon le Fonds monétaire international (FMI). Là où notre modèle de développement montre réellement ses limites, c’est au niveau humain.

Ainsi, selon l’Indice de développement humain (IDH), nous sommes classés 126e sur 188 pays et dans notre catégorie de «pays à IDH moyen», nous sommes classés 20e sur 37 pays de cette classe. La note moyenne mondiale de cet indice est de 0,711 (avec un maximum pour la Norvège de 0,944 et un minimum pour le Niger de 0,348), celle du monde arabe est de 0,686, celle des pays à IDH moyen est de 0,630 et celle des pays en développement de 0,660. La nôtre est hélas de 0,628 ! Sans commentaire. Même lorsqu’on retient le classement selon le capital immatériel, nous étions 49e sur 125 pays en 1995 et nous sommes passés au 56e rang sur 149 pays en 2000 et au 55e sur 152 pays en 2005. Par habitant, nous sommes 87e sur les 152 pays de ce classement.

Au-delà des discussions passionnées, seule une évaluation froide de notre point de départ nous permettra d’élaborer les politiques à même de nous permettre de rejoindre le club des émergents. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la forte dose d’obsession de nos responsables à présenter des comptes publics en ordre au FMI, au détriment des politiques agressives de croissance, nous en éloigne
considérablement. n

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