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L'heure d'une mégafusion franco-allemande n'a pas sonné

Les déboires du secteur bancaire allemand n'entraîneront pas d'opérations majeures de fusion-acquisition avec la France, estiment en privé des dirigeants des banques de l'Hexagone, qui jugent néanmoins réelles, mais limitées, les opportunités offertes par l'affaiblissement de leurs concurrents locaux.

L'heure d'une mégafusion franco-allemande  n'a pas sonné
Les métiers de la banque sont en pleine mutation et la chute des taux d'intérêt n'a fait que mettre au grand jour des problèmes de fond.

Les quelque 2.000 établissements bancaires du pays – banques commerciales, mutualistes et publiques – affichent parmi les plus faibles marges du secteur en Europe avec un ratio d'exploitation moyen de 73%, contre 64% dans le reste de la zone euro, selon l'agence de notation Moody's. Dans ce marché extrêmement fragmenté et concurrentiel, la politique de taux d'intérêt négatifs de la Banque centrale européenne a révélé la dépendance des banques allemandes aux marges d'intérêt, sapé les profits et miné leur capacité à renforcer leurs fonds propres. «C'est le secteur bancaire en Europe, voire dans le monde, qui est le plus exposé à la situation actuelle de taux d'intérêt négatifs», explique Jérôme Legras, directeur de la recherche pour Axiom Alternative Investments. Dans ce contexte, les appels à la concentration du secteur se multiplient dans le pays, suscitant des rumeurs de rapprochement, comme une fusion entre Commerzbank et Deutsche Bank, toutes deux chahutées sur les marchés et arrivées en queue de peloton en juillet lors des tests de résistance de l'Autorité bancaire européenne.

Après des années d'expansion effrénées dans la banque d'investissement à l'international, ces anciens fleurons de l'économie allemande ont engagé des restructurations majeures pour faire diminuer au plus vite la taille de leur bilan et renforcer rapidement leurs fonds propres. Leur contre-performance sur les marchés – les actions Deutsche Bank et Commerzbank perdent environ 40 et 36% depuis le début de l'année contre 26% environ pour l'indice européen des banques de la zone euro – contribue à alimenter les spéculations sur leurs options stratégiques. Une source au sein du gouvernement allemand a indiqué à Reuters que les banques françaises seraient les bienvenues si elles souhaitaient participer à la consolidation du secteur. Jusqu'à présent, les banques hexagonales ont préféré ne pas heurter de front leurs concurrentes, mais ont acquis des parts de marchés importantes dans la banque d'investissement et dans les services financiers spécialisés via des acquisitions ciblées. L'acquisition d'une banque allemande permettrait aux groupes bancaires français – présents dans la banque d'investissement, mais aussi dans de nombreux métiers, du crédit à la consommation en passant par la banque directe ou encore le financement de véhicules d'entreprises – de jouer un rôle central dans l'économie allemande via un réseau d'agences bancaires.

«Est-ce que ça vaut le coup ?
Ma réponse est non !»

«Est-ce que ça vaut le coup ? Ma réponse est non !», dit un ancien patron français, alors que cet appel du pied de Berlin est accueilli avec scepticisme, voire inquiétude chez les investisseurs. «S'ils (les banques françaises) achètent, moi je les vends», s'exclame un analyste financier, pour qui il serait insensé de racheter des établissements financiers en pleine restructuration dans un marché peu rentable. Outre les questions de culture et le risque d'hériter de contentieux avec la justice américaine ou britannique, on note que tant que les nouvelles règles en matière d'exigences de fonds propres ne sont pas connues, il est impossible pour un conseil d'administration d'évaluer le coût d'un rapprochement. «Tant que Bâle IV n'est pas fait, vous ne pouvez rien faire de gros», estime un directeur général français, alors que d'autres spécialistes jugent que la Banque centrale européenne ferait tout pour freiner la création d'un champion européen, «trop gros pour faire faillite». «Une banque française et Deutsche Bank, je pense que ce n'est même pas en rêve», estime Jérôme Legras. Le bilan de Deutsche Bank atteint 1.621 milliards d'euros. Cumulé à celui de BNP Paribas (1.987 milliards), de Crédit Agricole (1.526 milliards) ou de Société Générale (1.326 milliards) il dépasserait largement le PIB français (2.181 milliards en 2015) voire l'allemand (3.032 milliards en 2015). Si la création d'une banque au bilan supérieur au PIB de la première économie de la zone euro semble improbable, certaines voix au sein de la BCE plaident néanmoins pour une nouvelle phase de concentration transfrontalière en Europe, ce qui pourrait se traduire par des concentrations plus modestes. Pour un autre dirigeant d'une banque française, l'époque des mégafusions dans le secteur bancaire est en effet révolue.

Sélection naturelle entre herbivores

«On est passé d'une sélection naturelle entre carnivores, où les forts mangent les faibles (...) à une sélection naturelle entre herbivores où les forts restent sur les pâturages où il y a à manger et regardent les faibles mourir de faim», s'amuse ce responsable. «La question fondamentale c'est : est-ce qu'aujourd'hui BNP a plus d'intérêt à racheter Deutsche Bank ou à regarder Deutsche Bank mourir doucement ?», s'interroge-t-il.
Pour le directeur général d'un autre établissement français, l'hypothèse d'une concentration permettant de résoudre les problèmes structurels allemands constitue une «fausse bonne idée». «Cela permettrait de gagner du temps en masquant les vrais problèmes», estime-t-il, jugeant que les métiers de la banque sont en pleine mutation et que la chute des taux d'intérêt n'a fait que mettre au grand jour des problèmes de fond. «Une fusion ne résout pas le problème de positionnement», juge-t-il, ajoutant que les synergies dégagées permettraient de donner un répit, qui serait toutefois de courte durée. «De toute façon, avec cette politique monétaire on ne peut rien faire», peste un patron pour qui les taux historiquement bas, voire négatifs pour certains actifs, chamboulent toutes les logiques d'investissement. Pour toutes ces raisons, il estime qu'une fusion ne serait possible que si elle avait un intérêt «vital», ce qui n'est pas le cas actuellement.

Un «Mittelstand» très convoité

Si elles excluent une grosse opération, les banques françaises restent quand même à l'affût d'opportunités susceptibles de les renforcer sur les marchés où elles sont présentes, comme la conservation de titres ou d'autres services financiers spécialisés. Même sans procéder à des acquisitions, les opportunités en termes de croissance organique sont nombreuses. D'abord en tentant, à l'international, de remplacer en tant que banque de référence, Deutsche Bank et Commerzbank, auprès de grands groupes internationaux. En Allemagne, le «Mittelstand», cet ensemble d'entreprises de taille intermédiaire qui constitue la colonne vertébrale de l'économie allemande, pourrait aussi être un important levier de croissance. Les replis stratégiques opérés tant sur des métiers de banques d'investissement que sur des zones géographiques par les banques allemandes, constituent autant d'arguments pour leurs consœurs françaises cherchant à convaincre le «Mittelstand» qu'elles sont les partenaires idéaux pour conquérir de nouveaux marchés. Mais les banques françaises devront rivaliser avec leurs puissantes concurrentes américaines, également en course pour profiter des déboires des banques allemandes, qui ne laisseront pas leur marché clé leur échapper sans résister. «Vous ne décrochez pas le “Mittelstand” comme ça, les banques allemandes ne sont pas assez stupides pour se couper de leur cœur de clientèle», juge l'ancien dirigeant français interrogé par Reuters.

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