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La complexité fiscale, premier talon d’Achille

La complexité fiscale, premier talon d’Achille
L’évasion fiscale et le développement de l’informel sont également le résultat direct d’un système sclérosé par de lourdes charges déclaratives qui pèsent sur les contribuables.

La mauvaise campagne agricole générera, sans surprise, une faible croissance de l’économie en 2016, récemment confirmée par plusieurs sources. Cette atonie annonce, non seulement, une hausse des chiffres du chômage, mais peut amener à terme à de forts déséquilibres macroéconomiques. Étonnamment, ce sont ces déséquilibres que toute la politique économique cherche à éviter depuis les années 1980. En sacrifiant la croissance aux équilibres, on finira par n’avoir ni l’une, ni l’autre. Les boulets que nous trainons sont multiples, à la tête desquels une fiscalité presque cynique.

De l’impôt
La philosophie générale de l’impôt est que chaque agent économique contribue aux ressources de la Nation, en fonction des revenus que celle-ci lui permet de réaliser. Dans une économie moderne, la fiscalité joue trois rôles fondamentaux. D’abord, c’est un moyen de répartition des richesses et d’organisation de la solidarité dans un pays. Ensuite, la fiscalité est, dans la plupart des pays, la principale source de financement de l’État. Enfin, la fiscalité joue un rôle moteur dans la stimulation de l’activité économique, à travers les différentes incitations qu’offre un gouvernement aux entreprises pour qu’elles contribuent à réaliser les objectifs de sa politique économique, à savoir soutenir la croissance de l’économie (donc de la fiscalité future) et inciter à la création d’emplois (en tant que réservoir électoral). Au Maroc, les ressources de l’État d’origine fiscale se chiffreraient en 2016 à 192 milliards de dirhams (en hausse de 2,7% sur 2015). Elles représentent 88,7% de l’ensemble des recettes de l’État. Ainsi, les impôts directs (impôt sur le revenu et impôt sur les bénéfices des sociétés) constituent le premier poste des recettes du Budget général (41,3%), suivis par les impôts indirects, constitués principalement de la TVA (39,1%), les droits d’enregistrement (8,3%), les produits des monopoles (4,0%), les droits de douane (3,8%) et enfin les dons et legs (0,6%).

Philosophie de la réforme
Il est important avant de répondre à la question de la réforme, de définir le modèle de société dans laquelle nous voulons vivre et le type de politique économique que nous mènerons pour atteindre ce modèle. En d’autres termes, cherchons-nous à travers la fiscalité, l’efficacité économique ou la justice sociale ? On peut difficilement, dans le cadre d’un même Code fiscal, atteindre les deux simultanément. L’objectif de toute réforme fiscale, une fois ce débat identitaire et sociétal tranché, n’est pas d’augmenter les ressources fiscales de l’État (cette augmentation est le résultat de la dynamique de ses agents économiques), mais de veiller à ce que chacun contribue à hauteur de ses revenus à la solidarité collective. Cette dernière peut être à minima dans les sociétés fortement libérales (où l’impôt est considéré comme un moyen de financer des assistés et de créer un État oppresseur) ou plus forte dans les sociétés plus partageuses (où l’impôt a un rôle social et de solidarité).

État des lieux
Le Code général des impôts au Maroc est un document de presque 500 pages, sans compter les différentes circulaires internes à la Direction générale des impôts. Et malgré cette lourdeur inexplicable, l’évasion bat son plein au Maroc. À titre d’illustration, plus de 70% de l’IS collecté par l’État est payé par les 74 sociétés cotées à la Bourse de Casablanca.
Ce phénomène est expliqué, en grande partie, par la complexité de notre législation fiscale qui fait peur aux entreprises. Cette complexité est le résultat des différents avantages qu’accorde l’État pour stimuler l’activité économique. Ils sont devenus, au fil du temps, la règle au lieu d’être l’exception et sont octroyés à toutes les entreprises d’un secteur indépendamment de l’atteinte des objectifs pour lesquels ces avantages ont été imaginés, au lieu de réduire les taux d’imposition, en les lissant sur tous les contribuables.

Sources du problème
Les principales limites de notre système fiscal sont l’absence d’équité et l’inutile complexité dans le traitement fiscal des agents. Ainsi, la pléthore d’avantages fiscaux octroyés introduit non seulement de l’injustice fiscale (certains agents bien informés profitent mieux du système que les contribuables de bonne foi), mais rend tout le dispositif illisible aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. L’évasion fiscale et le développement de l’informel sont également le résultat direct d’un système sclérosé par de lourdes charges déclaratives qui pèsent sur les contribuables.

À titre d’illustration, une très petite entreprise (TPE) de moins de 10 salariés doit traiter plusieurs déclarations par mois pour différentes administrations (impôts, sécurité sociale, douanes, changes, etc.).
D’autre part, cette même TPE doit faire face à une inflation de taux d’imposition, de bases imposables, de délais de dépôts et de lieux de déclaration. C’est cette lourdeur qui encourage l’évasion fiscale et l’informel.
En connectant l’ensemble des acteurs à un système d’information unique, le grand service que rendra l’administration fiscale à l’économie et à la société marocaines est de procéder par voie de rôle à une imposition annuelle unique, sur des critères indiscutables, car très simples et libérer les contribuables de cette machine infernale qui fait tellement peur (risque de passer par la case prison) qu’on préfère ne pas être repéré par ses radars.

Quant à l’équité, elle est obtenue en limitant les avantages accordés aux contribuables au strict minimum pour simplifier et clarifier les règles d’imposition. Pour stimuler l’activité économique, il faut transformer les avantages fiscaux aux contribuables concernés (en fonction de critères bien précis)
en remboursements directs de la part de l’État.

Ainsi, on passera d’une approche sectorielle uniforme (où toutes les entreprises d’un secteur bénéficient d’un avantage, même si elles ne sont pas en ligne avec les objectifs de la politique économique), à un ciblage plus pointu par entreprise, en fonction de l’atteinte par celle-ci des objectifs qui ont été assignés à l’avantage fiscal. Alors qu’on parle dans plusieurs pays d’un Code des impôts de moins de 10 pages, nous avons augmenté le nôtre de 23 pages entre 2014 et 2015 ! 

 

Par Nabil Adel M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’Économie,
de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.

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