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La finance verte pour promouvoir le développement durable

Certes, la globalisation des risques financiers, l’évolution de la technologie de l’information et la dérèglementation du secteur bancaire ont toutes trois révolutionné la finance internationale, néanmoins, une autre variable apporte sa contribution à cette révolution du monde de la finance, c’est le contexte environnemental.

La finance verte pour promouvoir  le développement durable
Ph. Fotolia

L’ampleur du défi écologique que doit affronter l’humanité au XXIe siècle n’est plus à démontrer. Le Millennium Assessment Report a montré que «les principaux services écologiques rendus par la biosphère sont “sous pression” ; qu’il s’agisse des services de régulation (climat, capacité des océans à absorber les déchets, etc.), des ressources (eau, biodiversité, énergie fossile…) ou des services culturels (beauté des sites, sources de méditation...)». Les recherches et rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ont considérablement documenté l’ampleur du défi climatique. Le GIEC propose des améliorations des systèmes de mesure avec comme objectif premier de fournir les éléments pertinents pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques destinées à accroître le bien-être et favoriser le progrès social. Atteindre un tel objectif revient à revoir le paradigme de la croissance. Il est donc question de définir des politiques, et plus généralement les conditions de ce qu’il est convenu d’appeler une «croissance verte».

L’ampleur de la crise écologique et financière qui caractérise le début du XXIe siècle place les enjeux du développement durable au cœur de nos économies de marché et accroit la nécessité de réunir les conditions d’une croissance durable orientée vers le long terme. Plus d’un affirmeront qu’un tel modèle de croissance exige un pilier nécessaire le couple : NTIC et Finance. Ces derniers sont déclinés, dans ce nouveau contexte, en nouvelles technologies de l’environnement (NTE) et la finance verte. Cette dernière représente moins de 1% du marché mondial des obligations, valorisé à quelque 80.000 milliards de dollars, mais on assiste ces dernières années à un intérêt de plus en plus grandissant pour ce type de finance. Ce qui en termes de géofinance (concept introduit par Charles Goldfinger en 1986), va se traduire par l’émergence d’une rivalité autour de ce nouveau créneau sur des territoires bien défini, à tel point qu’on parlera dans les quelques années à venir de la «géofinance verte».

Des organisations internationales aux banques, la finance verte semble intéresser de plus en plus. En 2010, les Nations unies, suite aux recommandations de la COP 16, lancent le fond vert pour le climat (voir encadré). Un autre exemple qui montre l’engouement pour ce type de finance : La Climate Bonds Initiative (CBI), lancée par des acteurs privés, comme HSBC, et publics, dont la Suisse, estime que près de 40% de ces obligations sont chinoises. Les États-Unis se classent au deuxième rang (16%) et l’Inde ne pèse que 2% du marché. Xi Jinping, le Président chinois, souhaite même développer ce type de finance en impliquant le G20, ce qu'on peut considérer comme une suite logique à son soutien à l’accord trouvé lors de la conférence de Paris sur le climat, fin 2015. La Chine cherche, donc, à bien se démarquer sur ce créneau. Un établissement public comme GDF avait lancé en 2014 la plus grosse obligation verte à hauteur de 2,5 d’euros.

La Norvège avait, à son tour, donné le ton, à travers le Fonds de pension public norvégien, le plus gros fonds souverain au monde, dénommé «Norges Bank Investment Management», un fonds qui a choisi de privilégier l'éthique à la rentabilité : «Notre mission est de garantir et de construire une richesse financière pour les générations futures. [...] Un investissement responsable garantit la valeur de notre investissement». Un engagement qui leur a coûté un gros profit d'environ 2 milliards de dollars du fait de son retrait de l’industrie du tabac. En avril dernier, ce même fonds annonçait qu’il bannissait 52 entreprises pour lesquels le charbon génère plus de 30% des revenus ou de l'activité. Le Fonds norvégien est en train d’intensifier ses investissements en Afrique, en vue de tirer profit de la croissance élevée qu’enregistre ce continent, «Après l’Afrique du Sud, nous sommes en train d’étendre nos investissements, notamment au nord et à l’ouest du continent, à la recherche de belles opportunités», a déclaré Yngve Slyngstad, Dceo de Norges Bank Investment Management, l’établissement chargé de la gestion du fonds souverain qui pèse 890 milliards de dollars. «Ce qui est nouveau, c’est que nous avons déjà glissé le curseur vers le Sud, en investissant au Kenya et au Nigeria. Nous cherchons aussi des opportunités dans bon nombre de pays d'Afrique de l'Ouest», a-t-il ajouté. «En Afrique du Nord, nous avons déjà investi au Maroc et en Égypte, et il y aura également des investissements prochainement en Tunisie», a-t-il dit, indiquant que le fonds compte sur des conseillers locaux pour identifier les entreprises à fort potentiel.

Nouvelle frontière de la croissance, l’Afrique devient un territoire privilégié pour rivaliser en termes de finance verte. La COP 22 a vu la naissance, à l’initiative d'Attijariwafa bank, du Fonds africain d’efficacité énergétique (FAEE), premier fonds d’investissement au Maroc dédié à l’efficacité énergétique avec une enveloppe de départ de 200 millions de DH (soit un peu plus de 18,5 millions d’euros). À terme, le fonds sera doté de 500 millions de DH (environ 46,5 millions d’euros). Des capitaux qui vont être injectés dans des projets industriels ou de services, destinés à réduire la consommation énergétique des sociétés cibles. Ce fonds est lancé en partenariat avec SUMA Capital et avec le soutien d’investisseurs institutionnels de premier plan, à l’image de la Société d’investissements énergétiques (SIE), la CIMR, Wafa Assurance, AXA Assurance Maroc et Attijari Capital Développement.


L’Agence française pour le développement (AFD) est allée jusqu’à lancer le label «SUNREF» (Sustainable Use of Natural resources and Enerygy Finance). Peut-être qu’il faut multiplier les initiatives de ce genre pour aller dans le sens du principal enjeu qui réside dans le fait que le financement d’une croissance durable et à faible teneur en carbone doit être dans la réallocation d’investissements des secteurs intensifs en carbone vers les filières propres, et non seulement le soutien au développement de ces dernières.

Ce qui est clair, c’est que la finance verte, dans un futur très proche, sera répertoriée comme un soft power relevant de la géo-économie. Enfin, un soft power qui sera au service du continent africain, puisque parmi ses outputs figure la réponse à un double questionnement : comment l’économie verte peut-elle contribuer au développement durable en Afrique ? Comment les vastes ressources naturelles de l’Afrique peuvent-elles créer plus de richesses pour les Africains d’une manière plus efficace et plus bénéfique en termes de croissance économique, de création d’emplois et d’accroissement de la compétitivité africaine. 


Les besoins en financement : cas du scénario Blue Map

Le scénario de division par deux des émissions à l’horizon 2050, baptisé Blue Map, implique une transformation radicale de l’approvisionnement et de la consommation d’énergie qui, si elle présente de nombreux avantages en plus de ceux liés au climat (sécurité d’approvisionnement, qualité de l’air), nécessite des montants d’investissement supérieurs à ceux d’un scénario ignorant la contrainte carbone. Ce scénario comprend, entre autres, d’une part, une décarbonisation de la génération d’électricité qui se produit idéalement grâce à une panoplie de technologies connues (nucléaire, hydraulique, éolien, solaire photovoltaïque ou à concentration) ou en phase de test (récupération, transport et stockage du carbone) et, d’autre part, l’électrification d’un certain nombre d’usages, dont l’aspect le plus frappant est sans doute la pénétration du véhicule électrique et du véhicule hybride rechargeable. Le scénario Blue Map, s’il est plus économe en énergie fossile, est fortement consommateur de capital. Son surcoût d’investissement est estimé à 46 billions de dollars, en hausse de 17% par rapport au scénario Baseline de laissez-faire énergétique. Selon les scénarios de l’Agence internationale de l'énergie, la majeure partie de l’investissement supplémentaire se retrouve dans le secteur des transports. Pour 60%, ces dépenses concernent les véhicules personnels, contre 27% pour les bus et camions, et 13% pour les autres transports terrestres, l’aviation et le transport maritime.


Croissance verte : les secteurs les plus budgétivores

Bloomberg New Energy Finance (BNEF, 2010) répertorie, entre autres, les investissements en capital-risque, les dépenses de recherche et développement publiques et privées, et les augmentations de capital qui concernent les technologies propres depuis 2001. Ces investissements recouvrent uniquement les activités dans les énergies renouvelables (biocarburants et petite hydraulique inclus) et la maîtrise de l’énergie. Ceux-ci ont cru de manière spectaculaire, de 11,6 à 173 milliards de dollars de 2001 à 2008. L’année 2009 a enregistré un léger retrait du fait de la crise financière, mais cette évolution cache une croissance continue des investissements de la région Asie et Océanie, qui passent de 30 milliards de dollars en 2008 à 40 milliards en 2009, et dépasseront sans doute l’Europe, jusqu’alors en tête des régions dans les investissements propres, avec 43 milliards de dollars en 2009. Une fois incluses les dépenses de la filière nucléaire, de la récupération et stockage du CO2, des transports et des réseaux électriques, on se situerait aux alentours de 200 milliards de dollars en 2009, d’après l’Agence internationale de l'énergie (2010). Si nous sommes loin des 750 milliards nécessaires en 2030 pour réaliser le scénario Blue Map, la croissance récente reste spectaculaire. Un des faits marquants de cette croissance est la pénétration significative de l’énergie éolienne à l’échelle mondiale, avec 40 à 60% des investissements répertoriés par BNEF. Le solaire, de son côté, totalise 25 milliards de dollars d’investissement en 2009, contre 3,2 en 2005. On estime que les nouvelles énergies renouvelables représentent 40% des 160 gigawatts de capacité électrique installés en 2008.


ONU : Le Fonds vert pour le climat

C’est un organisme financier de l’Organisation des Nations unies, rattaché à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Il a pour objectif de réaliser le transfert de fonds des pays les plus avancés à destination des pays les plus vulnérables. Il a été créé en 2010 lors de la COP 16 à Cancún afin d’aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, à s’adapter aux changements climatiques et pour soutenir leur transition vers un développement à faibles émissions de gaz à effet de serre. Le Fonds vert pour le climat est composé d’un conseil d’administration de 24 membres nommés, à égalité entre les pays développés et les pays en développement, pour un mandat de trois ans renouvelable. À la tête du conseil, deux coprésidents sont élus parmi les membres pour une période d’un an. Le siège du conseil d’administration se trouve à Songdo, en Corée du Sud. Son budget, alimenté par les pays développés, est doté de 10,2 milliards de dollars jusqu’en 2018. La France y contribue à hauteur de 1 milliard de dollars).

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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