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La fragilité n’est pas qu’économique

Par Nabil Adel M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.

La fragilité n’est pas qu’économique
Très peu d’entreprises marocaines ont une dimension internationale, car le mieux qu’elles puissent espérer atteindre, c’est la performance, mais presque jamais l’excellence, condition sine qua non de compétitivité à l’international.

Tous les gouvernements ont mis à la tête de leurs agendas le soutien à l’entreprise et surtout à la PME et TPE. Chacun est venu avec une batterie de mesures et de solutions toutes faites. On a ratissé très large : fiscalité, climat des affaires, mise à niveau, aide au financement, formation professionnelle, développement à l’international, accès aux marchés publics, encouragement à l’emploi, etc. Et pourtant les résultats de notre économie continuent à décevoir et à dépendre tantôt du soleil (tourisme) tantôt de la pluie (toute l’économie). Nous avons péché, car nous pensons que le problème est seulement économique. Tant s’en faut.

De la structure de propriété…

La structure de propriété renvoie, d’une part, à la répartition du capital dans une entreprise et, d’autre part, aux relations entre propriété et gestion au sein de celle-ci. Certains y incluent également la répartition de la valeur créée entre actionnaires et salariés. Schématiquement, on peut distinguer deux types de structures de propriété. Celles où la propriété (capital) et la gestion (management) sont séparées, par opposition à celles où elles sont confondues.

La relation entre structure de propriété et performance d’une entreprise, en particulier, et dynamique d’une économie, en général, reste l’un des thèmes de prédilection de recherche économique et d’observation empirique. Si les économistes considèrent habituellement les entreprises où la propriété et la gestion sont séparées comme étant plus modernes, car plus transparentes et focalisées sur la création de valeur, la comparaison des performances sur le terrain (croissance, marges et rentabilité) des deux types de structures apporte beaucoup plus de nuances à cette affirmation. Ainsi, la performance est loin d’être catégoriquement en faveur d’un type ou d’un autre. Ce qui est certain, en revanche, c’est que leur impact sur la dynamique de croissance d’une économie n’est pas neutre. Au Maroc, si on exclut quelques groupes de sociétés, l’essentiel du tissu productif, composé de PME et de TPE, correspond à une structure où non seulement propriété et gestion sont confondues, mais où la propriété est concentrée sur la famille, voire limitée à celle-ci. Cette configuration en soi n’est pas mauvaise, si elle était accompagnée du souci de performance qui anime tout créateur d’entreprise. L’entreprise marocaine porte, en fait, dans sa relation problématique avec la propriété, les gènes de sa contre-performance et du retard de toute notre économie.

… à la culture de propriété

L’entreprise marocaine, d’un point de vue culturel, devient l’extension pure et simple d’un foyer qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas partager avec des étrangers. Elle est non seulement un investissement devant générer du profit, mais d’abord un pourvoyeur d’emplois pour le fondateur et les membres de sa famille, indépendamment de leur qualification pour les postes qu’ils occupent. Souvent, le second objectif (employer la famille) l’emporte sur le premier (créer de la richesse). Les relations extérieures de l’entreprise (clients, fournisseurs, salariés et financeurs) sont d’abord centrées sur la famille et par extension sur la tribu, puis sur l’ethnie.

Dans cette configuration, la confiance et la sécurité priment sur la compétence et la performance. C’est la raison pour laquelle très peu d’entreprises marocaines ont une dimension internationale, car le mieux qu’elles puissent espérer atteindre, c’est la performance, mais presque jamais l’excellence, condition sine qua non de compétitivité à l’international. C’est ainsi que l’excellence suppose une révolution culturelle, que nous ne sommes pas encore prêts à amorcer. Ainsi, le peu d’engouement des entreprises marocaines à s’introduire en Bourse et la faiblesse du flottant de celles qui ont osé le faire ne sont que l’illustration de cet état de fait. Même pendant les années de folies boursières (quand l’indice faisait plus de 70% de croissance en une année), le nombre d’introductions est resté très faible.

Tout se passe comme si la croissance et la taille critique faisaient peur aux entreprises marocaines, car, dans leur esprit, elles sont synonymes de perte potentielle de contrôle et de risque de faillite. Nous avons vu des entreprises refuser des commandes importantes, parce qu’elles sont sources de «casse-tête» pour elles et sous prétexte que les propriétaires-dirigeants n’en ont pas besoin pour survivre. C’est ce qui explique également le manque d’agressivité de nos PME à l’international où d’énormes opportunités se présentent sur des créneaux où elles ont déjà un savoir-faire reconnu (artisanat, agroalimentaire, tourisme, textile…). Les politiques économiques au profit de l’entreprise marocaine n’intègrent malheureusement pas cette réalité anthropologique et socioculturelle. Les freins à la compétitivité de nos entreprises sont d’ordre génétique. Les opérations de cosmétique qu’on leur applique ont montré leurs limites, car elles se contentent d’importer des recettes toutes faites et ne traitent pas les racines du problème. Les programmes de mise à niveau de l’entreprise marocaine ont donné des résultats maigres, car leurs concepteurs n’ont pas effectué le travail nécessaire de bonne connaissance du fonctionnement du capitalisme marocain. Au lieu d’essayer de changer la réalité de notre tissu économique, il faut simplement adapter les mesures d’accompagnement à notre contexte socioculturel, car l’entreprise n’est pas une entité universelle à laquelle peuvent s’appliquer les mêmes recettes partout et aboutir aux mêmes résultats. Ce constat têtu est reflété dans nos faibles taux de croissance qui continuent à dépendre de la générosité du ciel, dans les chiffres du chômage qui frôlent le danger social et dans le recul de notre part dans le commerce international, malgré la clémence des cours du pétrole. Les plans se suivent, mais les résultats ne suivent pas, car à la complexité de la réalité de l’entreprise marocaine, nous répondons par des mesures simples, voire simplistes.

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