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La gouvernance des multinationales installées en Afrique du Sud

S’il y a un sujet qui reste peu exploré en Afrique, c’est bien celui de la gouvernance des multinationales installées ici et là dans le continent. Ceci est d’autant plus intéressant que nous assistons, de nos jours, à une diversification des partenaires économiques et, partant, des multinationales intéressées par les ressources naturelles et minières du continent.

Il en est ainsi pour les multinationales issues des pays développés et émergents. Toutefois, malgré les ressources dont disposent les pays du continent et les profits faramineux réalisés par les multinationales opérant dans les secteurs miniers et énergétiques, les communautés locales et les salariés demeurent «le parent pauvre» de la gouvernance de ces multinationales. Le massacre de Marikana en Afrique du Sud peut être considéré comme un cas d’école pour l’étude de la prise en compte des intérêts des salariés et de la communauté locale dans la gouvernance d’entreprise. D’où le lien que l’on peut faire entre éthique et gouvernance d’entreprise.

L’exigence des travailleurs d’être considérés comme partie prenante dans la gouvernance des entreprises multinationales

Ce qui se passe actuellement en Afrique du Sud en rapport avec la montée en puissance des ouvriers dans la gouvernance des entreprises multinationales opérant dans le domaine minier peut être considéré comme un précédent historique en ce qu’il constitue un cas qui pourrait être dupliqué dans d’autres pays africains richement dotés en ressources énergétiques et minières. En effet, l’intensification de la concurrence en Afrique entre les multinationales des anciennes et des nouvelles puissances est une fenêtre d’opportunité historique en ce qu’elle donne une marge de manœuvre à la fois aux États africains dans les négociations et aux ouvriers (comme acteurs importants dans la gouvernance d’entreprise de ces multinationales).

L’Afrique du Sud représente un véritable potentiel en matière de ressources minières et énergétiques. Le pays possède d’importantes réserves de charbon qui permettent de fournir 90% de la production d’électricité.
Actuellement, la montée des tensions, liées essentiellement à la persistance de la pauvreté, met les organisations antiapartheid devant des défis économiques et sociaux majeurs. La multiplication des grèves en Afrique du Sud traduit la rupture du «contrat social» entre classes pauvres, Congrès national africain (ANC) et syndicat. Pratiquement vingt ans après la fin de ce qu’il est convenu d’appeler la triple discrimination organisée (économique, politique et sociale), on reproche à l’ANC de rester assez vague sur les politiques économiques et sociales susceptibles d’améliorer le sort des personnes vulnérables.

Si la victoire de Zuma en mai 2009 s’est fondée sur la dénonciation de l’action des gouvernements post-apartheid et leur incapacité à endiguer des problèmes endémiques tels que la criminalité, sa côte de popularité a considérablement baissé en raison des problèmes de gouvernance dans lesquels les membres de l’ANC se trouvent impliqués et le massacre de Marikana qui a créé une sorte de déchirure entre l’ANC et son électorat historique (les classes défavorisées).

Nombre d’analystes reprochent aux membres de l’ANC leur proximité suspecte avec les grandes multinationales. «La classe capitaliste contrôle en Afrique du Sud 90% de la richesse, 87% de la terre ; une négociation qui laisserait intact le pouvoir des monopoles ne représentera pas un transfert du pouvoir» (Beaudet, 1991, p. 19). Ce n’est pas par hasard que Zuma a bénéficié de l’appui d’une coalition hétéroclite de structuralistes et de communistes, opposés à la politique économique néolibérale poursuivie par Mbeki depuis les années 1990. Ceci conduit à s’interroger sur les impacts des politiques dites de «discrimination positive», mises en place en Afrique du Sud après le démantèlement de l’apartheid, sur la réduction des inégalités et le développement de l’Afrique du Sud.

L’Afrique du Sud dans la tourmente économique et sociale

Animé par une volonté inébranlable de restauration d’un régime démocratique destiné à rétablir dans leurs droits les personnes historiquement défavorisées par l’ancien régime, le gouvernement sud-africain a mis en place des politiques de «discrimination positive». Toutefois, l’efficacité de ces politiques qui font l’objet d’âpres débats entre les partis politiques sud-africains semble être remise en question. Nombre de dirigeants concèdent que ces politiques, bien qu'elles aient contribué à l’émergence d’une classe moyenne noire, sont restées sans effet sur les inégalités économiques et sociales (Lomme, 2009). Ainsi, ce programme de discrimination positive, qualifié au début «Black Economic Empowerment» (ou BEE), est devenu depuis 2003 «Broad Based Black Economic Empowerment» (ou BBBEE).

En somme, les politiques dites de «discrimination positive» se donnent pour objectif de rétablir le droit de la majorité, longtemps marginalisée par la minorité. Ce rétablissement des droits en faveur des Noirs sud-africains passe par la réduction des inégalités, l’accès égal aux opportunités ainsi que l’accès non exclusif aux services publics. L’économie de marché héritée de la période de l’apartheid est appelée à jouer un rôle important dans la mise en œuvre de ces politiques de discrimination positive. Le marché se trouve mis à contribution comme mécanisme d’instauration de la démocratie non raciale. En définitive, la crise politique et sociale que traversent à la fois l’ANC et son bras syndical, le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU), est révélatrice de l’effritement de l’idéologie de l’ANC, basée sur la défense des intérêts des noirs historiquement défavorisés par l’apartheid. Certains partis politiques n’hésitent pas à mettre en avant la collusion entre les élites noires au pouvoir (l’ANC) et le capital. Cyril Ramaphosa traduit ces contradictions qui traversent l’ANC, dans la mesure où il en était à la fois secrétaire général et membre du conseil d’administration de Lonmin.

La grève menée par les travailleurs de la mine de Marikana en août 2012 s’est soldée par un massacre au cours duquel 34 mineurs en grève ont été abattus par la police. Le «pire drame de ce genre depuis la fin de l’apartheid en 1994» (OIT, 2012), est considérée par nombre d’analystes sud-africains comme un échec lamentable de la «sherholders» théorie qui ne prend en compte que les seuls intérêts des actionnaires et ignore extraordinairement ceux des salariés et des communautés locales qui subissent de plein fouet les externalités négatives de l’exploitation minière (Muswaka, 2014). Au lieu de reconnaître la dégradation des conditions de vie des travailleurs et de leurs familles, le gouvernement sud-africain et l’entreprise Lonmin ont créé un scénario dans lequel les mineurs étaient décrits comme des êtres potentiellement dangereux susceptibles de déstabiliser l’ensemble de l’économie sud-africaine (Schutte, 2013).

L’augmentation des salaires était la revendication principale des mineurs grévistes. La crise de Marikana trouve ses origines, d’une part, dans les conditions socio-économiques des mineurs liées au statut du travailleur migrant resté inchangé depuis la fin de l’apartheid et, d’autre part, dans l’incapacité des institutions de négociation collective à entendre les signes de mécontentement et par voie de conséquence à les traiter. L’augmentation des salaires était la revendication principale des mineurs grévistes. La crise de Marikana trouve ses origines, d’une part, dans les conditions socio-économiques des mineurs liées au statut du travailleur migrant resté inchangé depuis la fin de l’apartheid et, d’autre part, dans l’incapacité des institutions de négociation collective à entendre les signes de mécontentement et par voie de conséquence à les traiter.
Le 16 août 2012 fut un tournant majeur dans l’histoire contemporaine de l’Afrique du Sud au vu des transformations radicales aussi bien politiques, sociales qu’économiques qui lui sont sous-jacentes. Le massacre de Marikana a révélé au grand jour la question des inégalités sociales et celle de l’exacerbation de la pauvreté parmi les Noirs sud-africains en dépit de la mise en place du BEE. En outre, la manière dont la crise de Marikana a été gérée révèle la fragilité de l’État sud-africain, largement soumis aux exigences du capitalisme financier.

La même crise a mis à nu la fragilité des anciennes modalités de négociation collective et partant des institutions représentatives des travailleurs auprès des grandes entreprises opérant dans le secteur minier. Au-delà de cette double crise à la fois de l’État sud-africain (l’effritement de l’idéologie de l’ANC basée sur la défense des intérêts des personnes historiquement défavorisées) et du mouvement syndical (défiance des travailleurs vis-à-vis des syndicats classiques et leur adhésion à de nouvelles organisations), Marikana est l’illustration parfaite de l’absence de «bonne gouvernance» au sein des multinationales opérant dans le secteur minier dans cette zone et en Afrique d’une manière générale. 

Echkoundi Mhammed, Professeur d’économie à l’Institut des études africaines Université Mohammed V, Rabat

Gwenaëlle Otando Echkoundi,Enseignante chercheur à l’Université d’Artois.

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